Arrêt 21 décembre 2007
Recherche de Documents : Arrêt 21 décembre 2007. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 28 Mars 2013 • 5 689 Mots (23 Pages) • 1 211 Vues
L'office du juge à la recherche de sens, à propos de l'arrêt d'assemblée plénière du 21 décembre 2007
Olivier Deshayes, Professeur agrégé à l'Université de Picardie - Jules Verne, Membre du CEPRISCA, directeur du M2 Droit privé approfondi »
L'essentiel
Dans le procès civil, les juges du fond ont-ils le devoir de rechercher si la demande dont ils sont saisis sur un fondement déterminé ne doit pas être accueillie sur un autre fondement ? C'est à cette question que la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, vient de répondre le 21 décembre dernier. Destinée à mettre fin aux divergences observées entre les chambres, la solution est déroutante. L'attendu de principe qui en constitue le coeur est ambigu et la conception du rôle du juge qui en est le ressort profond a peut-être été adoptée pour des motifs critiquables. A un double titre, l'office du juge est donc à la recherche de sens : d'un sens-signification et d'un sens-direction.
1 - C'est une décision capitale pour la délimitation de l'office du juge que celle que vient de rendre l'assemblée plénière de la Cour de cassation le 21 décembre 2007(1). Capitale pour deux raisons. Tout d'abord, parce que s'y trouve enfin fixée la doctrine de la Cour dans l'épineux débat du relevé d'office des moyens de droit par les juges du fond. Ensuite, parce que cette décision intervient dans le contexte d'une mutation profonde de la place du juge dans le procès civil, mutation dont un arrêt du 7 juillet 2006(2) a récemment révélé l'ampleur et dont l'orientation se trouve ici confirmée(3).
2 - La Cour de cassation s'est trouvée saisie d'un pourvoi formé par l'acquéreur d'un véhicule tombé en panne contre un arrêt d'appel qui avait rejeté presque toutes ses demandes dirigées contre le vendeur. Pour l'essentiel, le pourvoi reprochait à l'arrêt d'appel de n'avoir pas recherché d'office si les défauts du véhicule ne constituaient pas un manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme, étant entendu que l'acquéreur n'avait lui-même pas invoqué ce fondement devant les juges du fond mais s'était contenté d'agir sur le terrain de la garantie contre l'éviction, de la garantie contre les vices cachés et de la garantie commerciale(4).
3 - La première chambre civile ayant sollicité le renvoi de l'affaire devant l'assemblée plénière, c'est cette dernière qui eut à connaître de la question, « celle de l'étendue de l'office du juge au regard de la règle de droit et, plus précisément, la question de savoir si le juge du fond a la faculté ou l'obligation de requalifier les actes ou faits litigieux lorsque le fondement de la demande lui paraît inapproprié en droit »(5). Par la décision rapportée, la Cour de cassation rejette le pourvoi au motif « que si, parmi les principes directeurs du procès, l'article 12 du nouveau code de procédure civile oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes ». Dès lors, la juridiction qui constate qu'elle « était saisie d'une demande fondée sur l'existence d'un vice caché dont la preuve n'était pas rapportée (...) n'était pas tenue de rechercher si cette action pouvait être fondée sur un manquement du vendeur à son obligation de délivrance d'un véhicule conforme aux stipulations contractuelles ».
4 - La décision soulagera les juges du fond puisqu'ils s'y trouvent « exemptés de tout reproche d'incuriosité »(6) : ils n'ont pas à rechercher si une demande peut être accueillie sur un fondement différent de celui qui est expressément invoqué. Les plaideurs (et surtout leurs conseils) mesureront en revanche l'effort que cette solution exige d'eux : ils doivent proposer tous les itinéraires
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juridiques susceptibles de faire aboutir leurs prétentions car le juge est autorisé à demeurer passif devant l'éloignement du train des demandes mal aiguillées. Eloignement qui n'est pas un simple au revoir mais un véritable adieu. Car si l'autorité de la chose jugée ne s'opposait pas, il y a encore peu de temps, à ce que le convoi revienne en gare en suivant de nouvelles voies, tel n'est plus le cas. Dans sa décision précitée du 7 juillet 2006, la Cour de cassation a en effet décidé qu'« il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ». Toute nouvelle demande « invoquant un fondement juridique (que le demandeur) s'était abstenu de soulever en temps utile », c'est-à-dire lors du premier procès, échouera désormais au pied de l'article 1351 du code civil.
5 - La présente décision marque un tournant dans la définition de l'office du juge. L'évolution était certes pressentie(7), voire souhaitée(8). Est-elle pour autant opportune ? A vrai dire, nous en doutons. Avant toutefois d'en débattre, il faut chercher à s'assurer que le message délivré par la Cour est en lui-même bien compris. Car ce sont en réalité deux problèmes de sens que pose l'arrêt : celui du sens, comme signification (I) et celui du sens, comme direction (II).
I - Le sens de l'arrêt, comme signification
6 - Par une coïncidence remarquable, l'assemblée plénière a tranché la question de la requalification et du relevé d'office des moyens de droit par le juge le jour même où a été publiée la loi supprimant de l'intitulé du code de procédure civile la référence à la nouveauté que lui valait la concurrence de l' « ancien » code de procédure civile, désormais abrogé(9). Peut-être la nouveauté s'est-elle déplacée ? Ce que le code a perdu de nouveau dans son intitulé, l'office du juge l'aurait gagné dans sa définition. Enquêtons.
A - L'état des questions
7 - Par 24 articles, contenant les fameux « principes directeurs du procès », les rédacteurs du (nouvellement nommé) code de procédure civile ont cherché à définir les places respectives des parties et du juge dans le procès. L'équilibre est subtil. La logique est celle d'un balancement, d'un
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