L’adieu au voyage – Vincent Debaene et Le discours anthropologique et le siècle des lumières. Ou comment construit-on l’histoire de la discipline ?
Fiche de lecture : L’adieu au voyage – Vincent Debaene et Le discours anthropologique et le siècle des lumières. Ou comment construit-on l’histoire de la discipline ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar AzalaÏs Legendre • 13 Décembre 2018 • Fiche de lecture • 3 222 Mots (13 Pages) • 576 Vues
Étude de textes anthropologiques
L’adieu au voyage
–
Vincent Debaene
et
Le discours anthropologique et le siècle des lumières. Ou comment construit-on l’histoire de la discipline ?
-
Mondher Kilani
2017-2018
Mme D. Corrèges
Introduction
Lorsqu’une discipline veut s’établir officiellement, elle doit passer par différentes étapes, notamment la construction d’un projet scientifique (trouver un objet d’étude concret), la professionnalisation (former des individus à une méthodologie et aux conditions de réflexion de la discipline envisagée), et enfin l’institutionnalisation officielle de la discipline via l’université. Généralement, c’est trois étapes se succèdent rapidement dans le temps, du moins pour les deux dernières. Mais l’Anthropologie fait exception à la règle, ses fondements théoriques étant séparés de plus d’un siècle de son institutionnalisation, cela a amené certains chercheurs à la qualifier de « discipline récente » et a établir une distinction nette entre anthropologie et ethnologie1 . De là découlent certains conflits qui ont animé les débats sur l’Anthropologie (et plus généralement les sciences de l’homme) au cours des deux derniers siècles. En plus du flou quant à l’origine théorique de la discipline, il faut ajouter un flou quant à son objet d’étude qui engendrera des conflits entre différentes disciplines. De plus, nous développerons ici un autre point important du discours anthropologique : sa méthode, qui, elle aussi, a engendré de vifs débats.
Pour cela, nous nous appuierons sur le livre L’adieu au voyage de Vincent DEBAENE ainsi qu’un extrait de Le discours anthropologique et le siècle des lumières. Ou comment construit-on l’histoire de la discipline de Mondher KILANI. Ce travail ce propose donc de traiter de l’évolution de la construction du discours anthropologique, que ce soit la définition de son champs dans la première partie, de sa méthodologie dans la seconde, mais aussi des modalités de la diffusion de son message dans la dernière.
I. « La querelle des propriétés »2
La sociologie critique la littérature. A l’inverse, la littérature accuse la science d’être trop froide et de ne pas pouvoir rendre compte de la globalité de son objet d’étude, cela impliquerait donc que la science a des lacunes que la littérature doit combler. Pour comprendre ce débat au niveau de l’Anthropologie, il faut d’abord saisir la notion de « faits sociaux totaux » définie par M. MAUSS comme étant « [des faits sociaux] mett[ant] en branle dans certains cas la totalité de la société et des ses institutions […] et dans d’autres cas, seulement un très grand nombre d’institutions […] »3 Ces « faits sociaux totaux » définissent ce qui est habituellement appelé « l’atmosphère » d’une culture, et si le débat est si houleux entre littérature et anthropologie c’est parce que les anthropologues eux-mêmes se sont retrouvés confrontés à la difficulté d’exprimer cette « atmosphère » dans un langage scientifique à leur retour de mission. C’est donc une opposition binaire : la science permet de connaître, la littérature permet de faire ressentir et ces deux langages sont excluant.
Chronologiquement, le discours anthropologique s’est en premier construit grâce au discours littéraire sur l’humain, puis, la science s’en mêlant, autour d’un projet d’élaboration de méthode. La rhétorique littéraire devient mal vue, c’est ainsi que les écrits sensés rendre compte des autres cultures deviennent plus impersonnels, la narration du « deuxième livre » ne se fait plus à la première personne du singulier, les formules grandiloquentes disparaissent, les introductions et les conclusions ne parlent plus de l’ethnologue mais plutôt de la discipline, en somme, c’est une radicalisation du scientisme qui mène à un raidissement de la discipline. On pourrait alors soulever le paradoxe suivant : comment une science sensée étudier l’homme peut-elle faire sortir de son objet d’étude une variable typiquement humaine, à savoir ce qui est qualifié d’« atmosphère » ? Il y aurait alors des éléments humains que l’anthropologie ne tolère pas.
Ce paradoxe amène certains penseurs tel que George BATAILLE à proposer le raisonnement suivant : l’œuvre littéraire se caractérise par son ouverture poétique, que la poésie est une dimension propre à l’homme et que seule elle peut rendre compte de l’homme, donc, en toute logique, l’anthropologue doit faire de la poésie. Ici, la littérature devient le but ultime du discours anthropologique, elle surpasse la science. Mais cette façon de voir ne viendra que renforcer la mauvaise image de la littérature, que l’on associera au romantisme. On peut trouver en la personne de G. LANSON l’opposé à cette théorie, et une bonne illustration est le nom de ses publication telle que Contre la rhétorique et les mauvaises humanités.
Comme souvent lors de débat, il n’y pas que les vois de l’extrême, ici le « tout science » ou le « tout littéraire », il y aussi un entre-deux. Hybridation entre science et littérature est notamment prônée implicitement par M. MAUSS. Dans son Manuel d’ethnographie, il pose les bases méthodologiques de la pratique de l’anthropologie en y explicitant les manières d’observer ou encore en listant les différents domaines qu’il est bon d’étudier et comment, mais il réclame aussi une littérature « qui ne serait pas dénuée de sens »4, c’est à dire qui serait capable de faire preuve de sensibilité, d’évocation. Il considère d’ailleurs que ce sont des domaines dans lesquels nous sommes en retard comparé aux sociétés « primitives ». C. LÉVI-STRAUSS lui aussi trouve à redire sur ces oppositions simplistes entre littérature et science, et c’est au moment de publier Tristes tropiques, 15 ans après avoir effectué le voyage, qu’une nouvelle conception de ce débat va émerger. Un point important à soulever ici est celui de la justification a posteriori de la narration : celle-ci rend nécessaire un comportement qui ne l’était pas sur le moment, c’est ce mécanisme qui rend épique et héroïque les récits d’aventures.
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