« Spleen, j’ai plus de souvenirs... », Baudelaire
Commentaire de texte : « Spleen, j’ai plus de souvenirs... », Baudelaire. Recherche parmi 301 000+ dissertationsPar annafauquie • 27 Janvier 2025 • Commentaire de texte • 3 940 Mots (16 Pages) • 12 Vues
Nous pouvons laisser les circonstances de notre vie nous dominer, ou nous pouvons prendre le contrôle de nos attitudes. »Proposition de corrigé texte 1 : « Spleen, j’ai plus de souvenirs… », Baudelaire
Corrigé en commentaire linéaire
- Introduction
- Présentation : section « Spleen et Idéal », poème appartenant à la série des « Spleens » (on peut rappeler l’étymologie : rate, bile noire, mélancolie…) qui vient illustrer concrètement ce sentiment de mal être absolu où l’homme est condamné à une existence rongée par une souffrance intérieure qui le détruit (aux multiples formes, la plus élevée semble être l’Ennui, cf poème « Au Lecteur »)
- Observation de la structure : Ce poème est assez singulier dans le recueil puisqu’il est composé de 3 strophes irrégulières qui révèlent le caractère chaotique de son propos : un monostiche (à valeur d’épigraphe, voire d’épitaphe), une strophe de 13 vers et une autre de 10 vers (dizain), le tout en alexandrin et en rimes suivies
- Caractérisation : poème écrit à la première personnage, caractérisé par une tonalité lyrique, pathétique, voire tragique, mettant en scène une atmosphère lugubre et morbide où le locuteur fait un bilan désespérant de son existence, une existence marquée par le spleen
- Problématique : Comment Baudelaire représente-t-il le spleen en retraçant l’histoire des différents « maux » qui le constituent ?
- Annonce des mouvements : nous étudierons 4 mouvements : « le mal de la vie : l’inventaire chaotique de ses souvenirs » (du v.1 à 5), « le mal intérieur : un cerveau macabre et effroyale » (du v.6 à 14), « le mal existentiel : une existence insupportable et interminable marquée par l’Ennui » (du v.15 à 18), et « l’adresse finale à soi-même : un être solitaire et inexistant » (jusqu’à la fin)
- Analyse des mouvements
1er mouvement : Le mal de la vie : l’inventaire chaotique de ses souvenirs (du v.1 à 5)
- Tout d’abord, il faut s’attarder sur le 1er vers qui est textuellement isolé et qui donne d’emblée le ton et le thème du poème
- Il apparaît comme une épigraphe (inscription en haut d’un monument), voire une épitaphe (inscription sur une tombe). En tout cas, le vers résonne comme un constat grave ou une profonde lamentation
- Il annonce le thème de la mémoire et du vécu qui semble immense, saturé, trop plein : le comparatif de supériorité (plus… que) est dès lors spectaculaire avec sa valeur hyperbolique puisqu’il renvoie à une mémoire surchargée de souvenirs, et surtout insupportable car inhumaine (mille ans !)
- L’affirmation de ce constat (la phrase est assertive) renforce la gravité du propos qui apparaît comme une fatalité, une fatalité bien personnelle (le vers contient deux fois « je ») = dimension lyrique
- Ce vers contient quelque chose d’immense, un poids irreprésentable (comment imaginer une telle sensation ?) et pourrait se lire avec une variété de ton (de la plainte au constat le plus impassible). En somme, c’est un vers très énigmatique qui laisse libre court à l’imagination du lecteur (quelle est cette existence ?) et qui s’apprête à plonger au cœur de cette mémoire effroyable
= remarque : le terme « souvenir » semble ici s’opposer à son étymologie (subvenire = venir au secours). Au contraire, les souvenirs terrassent l’être et le condamnent
- Les 4 prochains vers constituent une seule phrase et déroule l’inventaire des souvenirs de cette mémoire mystérieuse et surchargée
- Le locuteur « explique » (c’est-à-dire déroule ») son vécu à l’aide d’une métaphore filée
- Il ouvre littéralement au lecteur ce « gros meuble » qui symbolise la mémoire et les différents souvenirs qu’elle contient (on est presque sur une allégorie qui représente concrètement l’idée abstraite de la mémoire)
- Le meuble renvoie à un objet ancien, immobile, poussiéreux qui ne cesse d’accumuler des objets de toutes sortes (il est « encombré »). Cette surcharge est bien traduite par l’énumération qui commence dès la fin du 2ème vers (comme s’il débordait), ces objets sont en grand nombre (pluriels indéfinis « de ») renvoyant encore à une immensité incalculable et infinie. On peut également observer les rimes en [ã] et [ãs] qui font résonner le poids des « ans » ou du temps.
- L’énumération est impressionnante car elle résume une vie en quelques vers. Les objets semblent renvoyer à des souvenirs douloureux ou pénibles. Tout est objet de souffrance mais surtout bien conservés : les souvenirs financiers (bilan, quittance), juridique (procès), amoureux (billet doux/ romance), son travail de poète (vers), … et sont mélangés, désordonnés, en fouillis… On trouve ici de nombreuses références biographiques à Baudelaire qui était plein de dettes, qui a vécu des idylles amoureuses et dont le recueil a entraîné un procès (ce poème paraît dans l’édition de 1861).
= malgré l’immensité de ce vécu encombrant, débordant, le vrai mal ne se trouve pas dans les événements de sa vie. C’est un mal plus profond, plus énigmatique, plus insaisissable que Baudelaire va tenter de nous livrer… le mal intérieur de son « triste cerveau ». En effet, toute l’énumération est prise à contrepied et renversée « cache moins de secret » : le mal intérieur est donc beaucoup plus fort que le mal extérieur
2ème mouvement : Le mal intérieur : un cerveau macabre et effroyable (du v.6 à 14)
- L’origine du mal provient donc du cerveau, un cerveau où règnent le chaos et la mort. Le poète tente de le décrire à l’aide d’images aussi spectaculaires qu’effroyables, tension entre grandeur et décadence qui symbolise bien le projet de la section de Baudelaire : « Spleen et Idéal »
- Toutes les métaphores sont hyperboliques pour représenter la grandeur de cette souffrance
- La pyramide et le caveau forment une sorte d’antithèse (l’un à la grandeur tournée vers le ciel, l’autre à la profondeur tournée vers la terre) mais se rejoignent surtout dans le rapport à la mort : ce sont tous les deux des tombeaux. Cependant, ces images traduisent une noblesse, un prestige (de roi ou de noble) : ce cerveau contient une grandeur terrifiante, car c’est une immensité remplie de chaos et de mort (« immense »/ « plus de morts que la fosse commune »). Cette mémoire est totalement inhumaine et funeste. D’ailleurs, qu’a-t-elle de vivant ? Le mal est peut-être ici, c’est une vie sans vie, rongée par la mort.
- Les images construisent une forme de gradation toujours plus impressionnante et macabre. Sa mémoire est un champ de cadavre (cimetière) qui n’est pas que noirceur (même la lune le rejette ! il est donc seul !). Le poète ne cesse de descendre toujours plus bas, dans les abysses et les profondeurs de son âme. C’est une véritable « catabase intérieure » (descente en enfer)
- Son cerveau est un cadavre rongé par les « vers » qui symbolisent les « remords », donc en plus d’être hanté par la mort il est rongé par les remords. Il est la proie d’une souffrance psychologique perpétuelle. Il est comme martyrisé et persécuté (« qui s’acharnent ») sur tout ce qu’il a de précieux (« les plus chers ») et tout ce qu’il a connu (« mes morts »). Les « remords » font bien résonner la thématique macabre, et donne l’impression d’une persécution (jeu de mot : « re-mort »). L’homonymie « longs vers » renvoient évidemment à sa poésie, à celle que nous lisons (la rime « cher/ vers » renforce la préciosité associée au langage poétique)
- Baudelaire passe d’un tableau macabre à un tableau plus raffiné mais tout aussi décadent
- L’anaphore des « je suis » nous montre un « je » qui cherche à se saisir et qui passe par plusieurs moyens et images pour nous en donner l’accès
- Dans cette nouvelle métaphore, ce n’est plus vraiment la mort qui règne, c’est la présence d’une vie qui n’existe plus. C’est le temps qui a passé : il est « vieux », les roses sont « fanées », les modes sont « surannées ». Les tableaux ont perdu leur couleur (« pâles bouchers »), et le parfum s’est évaporé dans l’air (« flacon débouché »)
- On peut observer que cette métaphore le réifie : son existence est sans vie. A l’inverse, tous les objets sont personnifiés et prennent vie (« pastels plaintifs/ seuls respirent »), une vie cependant marquée par la souffrance. Cette inversion est symbolique et nous montre à quel point le locuteur est réduit à l’inexistence et que l’existence est marquée par la douleur.
- Baudelaire représente donc les désastres du temps et la vie qui a régné dans cet endroit. Les images sont saisissantes car ce n’est plus le chaos qui est source d’effroi, mais bien l’impression que la vie a laissé des traces qui disparaissent. Le lieu est comme hanté par des présences qui ne sont plus, un lieu comme abandonné par la vie qu’il a jadis connue.
= Donc le poète est comme un fantôme, un esprit qui erre sur une terre dans laquelle règnent le chaos et les souvenirs de ce qui a existé. Il est isolé, rongé par son vécu et lassé de tout ce qui peut exister.
3ème mouvement : Le mal existentiel : une existence insupportable et interminable marqué par l’Ennui (v.15 à 18)
- « L'ennui naît de l'absence de curiosité, de désir. Ce que je sens c'est une absence totale de désir. A quoi bon ceci ? A quoi bon cela ? C'est le véritable esprit du spleen. », Lettre de Baudelaire à sa mère en 1857
- Dans cette existence, il ne reste plus rien mis à part l’ennui, c’est-à-dire le sentiment du spleen le plus terrible. Le poète ne désire plus rien, cette vie est donc un véritable enfer sur terre, un enfer qui semble n’avoir jamais de fin. C’est une tragédie sans mort ! C’est le seul à ne pas mourir bien qu’il soit rongé par la mort ! C’est sa fatalité paradoxale…
- Après avoir déploré le temps qui a passé, Baudelaire déplore ici le temps qui ne passe pas assez rapidement. Le temps est insupportable car il n’attend plus rien
- La lenteur et la pesanteur est très bien traduite par le rythme et les sonorités : l’allitération en [l] (égale, longueur, les, lourds, flocons), l’insistance sur les voyelles nasales (an/ un/ on) créent de la résonance … on assiste à un ralentissement des vers
- La personnification « boiteuse journée » donne l’impression d’un vieillard (d’autant plus que la couleur blanche domine, pouvant renvoyer à la vieillesse des cheveux) + sorte de paysage état d’âme avec l’image d’une journée d’hiver où il n’y a rien à faire, où tout est figé, saison de la mort... tout est lassitude
- Les mots à la rime (journée/ année/immortalité) créent une gradation temporelle soulignant le rapport au temps (une journée = une année = l’immortalité)
- « L’ennui » est mis en relief avec le rejet et crée un effet d’attente (au 3ème vers) pour le présenter comme le mal le plus terrible qui existe. Il le caractérise « d’incuriosité », car l’ennui entraîne l’absence de tout désir. Cet ennui est rendu insupportable par le rapport au temps qui torture le poète, un temps qui ne s’arrête jamais bien que très lent (« l’immortalité »). C’est une sorte de tragédie sauf que la mort n’est pas là pour dénouer le drame, donc tragédie permanente (Baudelaire considérait la mort comme une échappatoire à la souffrance sur terre)
4ème mouvement : Une adresse à soi-même : un être solitaire et inexistant/ mort-vivant (v.19 à la fin)
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