Les Pélerins dans Gargantua, Rabelais
Guide pratique : Les Pélerins dans Gargantua, Rabelais. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Mathias Osuagwu • 26 Avril 2023 • Guide pratique • 2 489 Mots (10 Pages) • 806 Vues
Chers élèves, je vous propose dans ce cours audio une lecture cursive de l'épisode des pèlerins dans Gargantua. Cet épisode des pèlerins se trouve pour l'essentiel au chapitre 38 et au chapitre 45. On retrouve brièvement les pèlerins au chapitre 42 et 43, puisque les pèlerins qui se retrouvent mangés en salade, puis sortis au Cœur d'Andes à la bouche de Gargantua au chapitre 38, on les retrouve brièvement au chapitre 42 et 43. Donc, en pleine guerre entre Grangouziers et Picrocol, les pèlerins sont faits prisonniers de Picrocol et frère Jean les délivre. Mais pour l'essentiel, l'épisode des pèlerins, c'est deux chapitres, le chapitre 38 et chapitre 45. Cet épisode participe de la deuxième structure du Gargantua, c'est à dire la structure de la ligne brisée. Je vous rappelle qu'on peut dégager une première structure qui est une ligne continue d'élévation de Gargantua depuis son enfance jusqu'à la fin, l'abbaye de Telheim, en passant donc par ses éducations et la guerre. La deuxième structure du Gargantua, c'est celle de la ligne brisée, c'est à dire que la ligne du récit principal est constamment brisée par des interruptions, des digressions, des épisodes secondaires. Donc, l'épisode des pèlerins participe de cette deuxième structure du Gargantua à double titre.
D'abord parce que c'est un épisode secondaire, très secondaire, qui n'est pas du tout essentiel au récit principal, je veux dire. C'est donc une digression. Et puis, ça participe de la deuxième structure du Gargantua, parce que cet épisode lui même est brisé en deux, puisqu'il y a deux chapitres éloignés l'un de l'autre, chapitre 38, chapitre 45, qui racontent cet épisode des pèlerins, au point qu' à une première lecture, quand on lit Gargantua, on voit apparaître les pèlerins au chapitre 38 et puis on les oublie jusqu'à ce qu'ils reviennent au chapitre 42, 43 et surtout donc au chapitre 45. On peut se poser la question « Pourquoi cet épisode des pèlerins ? À quoi sert il ? Quel sens a t il ? » Cet épisode des Pèlerins expose une satire de la religion sur un mode comique, bouffon, carnavalesque. Ce n'est pas le seul. Il y en a d'autres des épisodes qui participent de cette critique de la religion, cette critique satirique de la religion. Mais cet épisode en est un. Quelques remarques générales sur ces deux chapitres et puis ensuite, j'en reviendrai sur deux extraits de manière plus précise. D'abord, le chapitre 38 exprime la satire de la religion en utilisant toutes les ressources du comique gigantale.
Et ensuite, l'aventure des pèlerins est interprétée par l'un des pèlerins, le dénommé « l'as d'aller » de façon allégorique. Pour lui, le psaume 124 aurait prophétisé cet épisode. Donc, à la critique religieuse se mêle une critique d'un mode de lecture allégorique abusif tel qu'il avait été moqué à la fin du prologue de Gargantua. Le chapitre 45 est surtout caractérisé par une longue harangue de grand gousiers contre le culte des saints qui s'inscrit dans le sillage des scènes où des personnages en fâcheuse posture ne savent qu'invoquer les saints, en particulier les moines de l'abbaye de Seuilly, lorsque celle ci est attaquée par les soldats de Picrochole. De même d'ailleurs que les soldats de Picrochole invoquent les saints au chapitre 27. On retrouve là la position des humanistes qui associent ce culte des saints, non pas à de la religion, mais à de la superstition. Ces deux chapitres sont très différents l'un de l'autre. En effet, du chapitre 38 au chapitre 45, il y a un changement d'échelle qui est manifeste. Dans le chapitre 38, les pèlerins sont des humains de taille ordinaire confrontés à des géants, donc les deux mondes se mêlent sans se comprendre. Dans le chapitre 45, tout se passe comme si Grand Gouzier et ses semblables prenaient d'un seul coup la taille humaine pour s'adresser d'égal à égal aux pèlerins.
Leur condition de géant semble oubliée, alors même qu'elle constitue le moteur de toute l'action et la source de tous les effets du chapitre 38. En effet, les géants doivent être humanisés pour soutenir des discours humanistes. Dans Le Gargantua, c'est constant. À certains moments, on insiste énormément sur le gigantisme de Gargantua ou de Grangouzié, et puis à d'autres moments, on a l'impression que ce sont des personnages comme les autres qui sont de taille humaine. Maintenant, ces considérations générales sur les deux chapitres, je vais les préciser à travers deux extraits, un du chapitre 38 et l'autre du chapitre 45. Premier extrait. Chapitre 38. De la ligne 30, page 227 jusqu'à la ligne 67, même si je parlerai un petit peu de la fin du chapitre. Petite lecture du passage. Les pèlerins, ainsi dévorés, se sauvèrent du mieux qu'ils purent des meules de ses dents, pensant qu'on les avait jetés en prison dans quelques trous de base fausse. Quand Gargantua but sa longue rasade, ils crurent se noyer dans sa bouche. Le torrent de vin faillit les emporter dans le gouffre de son estomac. Toutefois, sautant avec leurs bourdons comme font les micolos, ils se mirent à l'abri au bord des dents.
Mais par malheur, l'un d'eux tâtant le terrain avec son bourdon pour savoir s'ils étaient en sûreté, frappa rudement dans le trou d'une dent creuse et toucha le nerf de la mandibule. Cela causa une très forte douleur à Gargantua, qui se mit à crier de rage. Donc, pour soulager son mal, il fit apporter son cure dent. Sortant en direction du noyer grôlier, il vous dénicha, messieurs, les pèlerins. Il les attrapa l'un par les jambes, l'autre par les épaules, l'autre par la besace, l'autre par la bourse, l'autre par l'écharpe. Quant au pauvre air qu'il l'avait frappé de son bourdon, il l'accrocha par la braguette. Toutefois, ce fut une chance pour lui, car ce geste lui perça une bosse chancreuse qui le martyrisait depuis qu'il était passé par Ancenis. Les pèlerins ainsi dénichés s'enfuient à vive allure à travers la vigne, ce qui apaisa la douleur. À ce moment là, Gargantua fut appelé par Edémon pour dîner, car tout était prêt. « Je m'en vais donc pisser mon malheur », dit il. Il pissa si copieusement que l'urine ne coupa le chemin aux pèlerins. Ils furent alors contraints de passer par la Grande Boire. De là, passant par l'orée du bois de la Touche, ils tombèrent tous, excepté Fournier, dans une fosse qu'on avait creusée en plein milieu du chemin pour attraper les loups.
Ils s'en échappèrent grâce à l'ingéniosité du dit Fournier qui coupa tous les nœuds et cordages du filet. Une fois tirés d'affaires, ils couchèrent pour le reste de la nuit dans une cabane près de Couray. Là, ils trouvèrent un réconfort à leur malheur dans les bonnes paroles d'un de leurs compagnons nommé l'as d'aller, qui démontra que cette aventure avait été prédite par David dans le psaume. Quelques indications sur ce passage. Le comique de ce passage repose sur la disproportion entre les pèlerins et les géants. En effet, dans le premier paragraphe, c'est à dire celui qui commence à la ligne 31, on superpose deux récits différents ou plus exactement deux focalisations différentes pour un même récit. L'effet de disproportion joue ici à plein puisqu’un même élément peut être désigné aussi bien comme une partie du corps du géant, ses dents, son estomac, ou comme un lieu terrifiant et gigantesque, les meules le gouffre. Les pèlerins sont ainsi dans la bouche de Gargantua, mais imaginent être en une basse fosse de prison. Lorsque Gargantua boit, il pense se noyer dans un torrent. Et Rabelais joue avec les deux échelles pour amuser ses lecteurs et lectrices aux dépens des pèlerins qui n'ont pas accès à une vision d'ensemble de la situation.
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