Apollinaire, "Mai"
Commentaire de texte : Apollinaire, "Mai". Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Vicwawi • 16 Juin 2023 • Commentaire de texte • 1 686 Mots (7 Pages) • 198 Vues
Poème qui illustre bien la croisée d’influences et l’indépendance de l’auteur qui constituent la poésie d’Apollinaire. Le titre « mai » semble reprendre et annoncer le topos poétique du printemps comme temps de la naissance amoureuse, de l’élan du désir, de la promesse (voir le poème de Victor Hugo « Je ne songeais pas à Rose »), qu’Apollinaire exploite d’ailleurs avec la description d’une nature grisante, évoquant le corps de la femme, mais qu’il modifie aussi de manière surprenante en court-circuitant le motif par l’expression d’une nostalgie, d’un manque sous-jacents, d’un boitillement du souvenir qu’intègre discrètement l’absence de ponctuation, à la manière dont l’annonçait « Zone ». Apollinaire joue en outre avec l’anagramme de « Mai », « ami », greffant au printemps le réseau de la symbolique amoureuse et de la séparation que suggère le poème, reprenant ici les motifs mêmes de la très ancienne poésie élégiaque.
L’intérêt de ce poème réside dans la manière subtile dont le poète joue sur la polysémie des correspondances (voir, pour la culture poétique, le cours à apprendre en fin de document)[1].
- Correspondance femme-nature définie par deux qualités contrastées (fraîcheur et renouveau/saison passée) se déploie dès le début du poème
Strophe 1 :
- Topos poétique de la promenade printanière avec la femme aimée, que le poème va décaler peu à peu : Apollinaire décrit un tableau pittoresque, dans tous les sens du terme, ie qui évoque la peinture, digne de faire un sujet de tableau et qui dépeint particulièrement bien; qui a de la couleur, du relief, du mouvement, une originalité qui captive l'attention (atilf.fr) : poème descriptif, évocateur des paysages qui ont tant charmé les romantiques : la barque sur le Rhin (v.1), le « haut de la montagne » (v.2), les saules (v.4), les « vergers » (v.5). Evocation romantique de la projection des sentiments sur le paysage que les anglophones appellent « pathetic fallacy » depuis John Ruskin
- Apollinaire crée une comparaison « in absentia » qui associe, dès la 1ère lecture, le moi de mai, les « dames », par la répétition commune de l’adjectif « joli » dans la 1ère strophe, en épithète de « mai » v. 1 et en attribut des « dames » reprises par le pronom personnel « vous » v. 3. D’emblée, donc, le poème inscrit un lien de comparaison entre la description de la saison printanière que le titre du poème annonce, et celle des « dames ». Les figures féminines évoquent le printemps, mais tout est dans la suggestion de cette saison et de ce qu’elle peut évoquer dans l’esprit du lecteur (fraîcheur, nouveauté, beauté, promesse), mais rompu brutalement par les derniers vers de la 1ère strophe, puisqu’à l’hémistiche du vers 3 la conj de coord « mais » rompt le tableau galant, et annonce la tristesse du poète projetée, par hypallage, sur le paysage puisque ce sont les saules qui « pleurent ».
- Correspondance dames dans la barque/courant de l’eau et « saules riverains » qui « pleurent », où Apollinaire reprend le sens littéral de l’épithète « pleureur » qui qualifie normalement les saules par comparaison seulement associe ici les « dames » à une peine, incarnée par hypallage par les saules », et non plus à la promesse printanière du moi de Mai.
Dès la 1ère strophe, Apollinaire s’approprie des motifs poétiques traditionnels (expression d’un souvenir amoureux annonçant la perte, cadre bucolique d’une nature reflétant les impressions du poète) et les travaille de manière nouvelle : la rupture est dans la forme, dans les images, et non dans le discours explicite de la plainte.
Strophe 2 :
- La seconde strophe renforce l’impression plus douloureuse, car éphémère, associé à la femme printanière : à l’imagerie positive des arbres en fleurs des vers 5 et 6 (« fleuris », « pétales »), la blancheur, la légèreté suggérées par cette image sont connotées négativement par leur caractère éphémère, imposé par l’imparfait du verbe « se figer » (v. 5), rappelant par le cc de lieu le passage de la barque qui ne peut laisser les « jolies dames » à proximité du poète. Le décor printanier est celui de la chute, de la fin, d’un temps qui n’épargne pas la sensation plaisante du printemps ni le sentiment amoureux, puisque les pétales « tombent », et deviennent, pas comparaison, les « ongles » et les « paupières » de celle qui n’est plus là, comme le signale le passé composé « que j’ai tant aimée » v. 7. La structure embrassée des rimes accompagne d’arrière cette impression plus négative, plus douloureuse, puisque les sonorités gutturales en « ère » encadrent, voire enferment, la rime plus douce, labiale, de « mai » avec « aimée » (2ème strophe).
🡪 en deux strophes, Apollinaire, par un réseau très subtil d’association d’images et de correspondances, joue avec l’ambivalence de ces dernières et construit la structure d’un poème qui va se déployer sur l’antagonisme qu’offre la comparaison entre la femme aimée et le printemps, à la fois symbole de renouveau et de promesse, de jeunesse et de gaieté, mais aussi synonyme de temporalité éphémère.
- Aux 3ème et 4e strophes, la richesse connotative du paysage choisi par Apollinaire sert la déploration discrète de l’amour passé, sans être une douloureuse plainte élégiaque
Strophe 3 :
- LA 3ème strophe étend le tableau bucolique amorcé dans les 1ères strophes, reprenant le motif de la promenade et du mouvement d’une part, de la nature indomptée, à l’abandon, teintées des sentiments du poète d’autre part : le « fleuve » (v.9), le « chemin » le long de ce fleuve (v.9), les vignes rhénanes (v. 12), les ruines (v. 14), le lierre, la vigne vierge, les rosiers (v.15), les osiers (v.16), le vent (v. 16), les roseaux (v. 17), les « fleurs nues des vignes » (v.17). Poète dresse un tableau très bucolique, dans la pure tradition de « l’ut pictura poesis » (Horace, Art poétique, 1er siècle av. JC). Atmosphère campagnarde, lumière, couleurs, légèreté aquatique suggérées par ce paysage
- Pittoresque renforcé par le quintil consacré au petit cirque tzigane, qui bouscule le rythme du poème et introduit une fantaisie inattendue, une variété qui suggère que le poète n’est pas accablé par le souvenir terrassant de la rupture. Mise en abyme d’un tableau dans le tableau : énumération des animaux qui suivent la roulotte v. 9-11, pittoresque des mots à la rime tziganes-âne-rhénanes, sonorités légères évoquées par le « fifre », dont la connotation guerrière est atténuée par l’éloignement du son, qui n’apporte que sa légèreté au paysage.
Strophe 4
Un équilibre solide s’opère donc entre la discrète élégie qu’est ce poème, et le symbole du retour saisonnier qu’annonce la dernière strophe avec le retour du mois de « mai ». L’anaphore « le mai le joli mai », écho de la 1ère strophe, sème le trouble dans un poème apparemment fermé par le cycle des saisons. La métamorphose de la nature signifie-t-elle l’apaisement du temps passé, « recouvrant » les ruines évoquant à la fois le paysage pittoresque et l’amour du poète, d’une nature riche et vigoureuse, comme le souligne l’énumération des plantes sauvages v. 14 et 15 ? Cette nature, sauvage, à l’abandon, signifie-t-elle vraiment, dans un bel écho romantique, une sérénité retrouvée ? Aux « saules » qui pleuraient dans la 1ère strophe se substituent des plantes rendues plus moqueuses par l’hypallage des « roseaux jaseurs » (« jaser » = cri de la pie, mais aussi bavarder comme un petit enfant, ou comme une commère), mais aussi rendues à la sauvagerie des seules plantes (les osiers, les fleurs nues des vignes) et oiseaux, puisque les « dames » et l’amour des deux 1ères strophes ont disparu.
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