Être citoyen, en France et au Royaume-Uni, 1815-1848
Dissertation : Être citoyen, en France et au Royaume-Uni, 1815-1848. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Sophie Dupré • 4 Novembre 2019 • Dissertation • 2 488 Mots (10 Pages) • 575 Vues
Être citoyen, en France et au Royaume-Uni,
1815-1848
« Le citoyen, c'est celui qui participe de son plein gré à la vie de la cité. Il partage avec ses concitoyens le pouvoir de faire la loi. Le pouvoir d'élire et, le cas échéant, d'être élu » Régis Debray, La République expliquée à ma fille, 1998. Cette citation révèle l’un des premiers attributs du citoyen, celui de participer à la vie politique de son pays. Toutefois on distingue au début du 19ème siècle deux types de citoyens. D’une part ceux dits « actifs », c’est-à-dire ceux qui s’expriment par le vote car ils appartiennent au pays légal selon les règles du suffrage censitaire de leur pays. D’autre part, il existe les citoyens « passifs », qui n’ont pas la possibilité de voter, mais participe à la vie politique différemment. La réunion de ces deux catégories forme celle du citoyen de manière générale, un individu membre d'un État et qui de ce fait jouit des droits civils, comme celui de l’égalité civile ou ceux propres aux libertés fondamentales, et politiques garantis par cet État.
De 1815 jusqu’en 1848, les citoyens français sont gouvernés par une monarchie constitutionnelle, en premier lieu la Restauration puis en second lieu le Monarchie de Juillet. La France et le Royaume-Uni exercent tous deux le suffrage censitaire et donc distinguent les deux différentes catégories de citoyens que nous avons énoncées précédemment. Néanmoins l’exercice de la citoyenneté, que ce soit en tant qu’individu passif ou actif, se révèle variable d’un pays à l’autre.
Il est donc intéressant d’étudier ce que signifie être citoyen, au vu de la polysémie du terme entre 1815 et 1848, période de suffrage censitaire dans les monarchies du Royaume-Uni et de France. Comment s’exerce la citoyenneté dans des pays où le suffrage est fortement restreint ? Comment s’exprime-t-elle lorsque le citoyen est passif, en d’autres termes ne peut participer à la vie politique par le vote ?
Dans le cadre du suffrage censitaire, faire partie du pays légal concerne une minorité de la population. De plus, au sein du pays légal, il existe encore différentes catégories de citoyens avec des droits propres à chacune. Enfin, chaque citoyen dit « actif » vit et exerce sa citoyenneté de manière distincte.
Être considéré comme citoyen du pays légal, c’est-à-dire avoir le droit de voter, requiert des caractéristiques bien particulières. Tout d’abord, il faut être un homme, de plus de 30 ans en France. La femme est mise de côté car elle est vue comme un sous-être et pensée comme incapable de réfléchir par elle-même. Au Royaume-Uni comme en France il est indispensable d’être de la nationalité du pays, c’est-à-dire ne pas être étranger. Les Britanniques ont aussi des critères liés à la religion : certaines religions sont écartées du droit de vote. Par exemple les non-conformistes ou dissidents, c’est-à-dire ceux qui choisissent de ne pas suivre la doctrine de l'Église anglicane sont interdits de vote jusqu’en 1828. Pour finir, le critère essentiel dans chacun des deux pays est la richesse de l’individu. En effet, les deux monarchies pratiquent le suffrage censitaire, en d’autres termes il faut payer au minimum une certaine somme d’impôt pour appartenir au pays légal. En France, il est nécessaire de payer minimum 300 francs d’impôts, puis après 1830 et l’instauration de la Monarchie de Juillet, le cens est abaissé à 200 francs. Le Royaume-Uni a un système similaire. Ces monarchies, et donc ses dirigeants les ultra-royalistes ou aristocrates, ont imposé ce suffrage car les plus riches sont considérés comme les principaux concernés par la vie politique du pays et davantage capables de comprendre les choix politiques notamment sur le plan budgétaire vu qu’ils payent des impôts. De plus, ce suffrage permet aux élites de ne pas laisser la parole aux classes populaires. Ainsi, être citoyen est rare. En France, en 1830, 88 000 individus sont du pays légal alors que le pays réel équivaut à 30 millions, ce qui correspond à seulement 3% d’électeurs. En 1833, suite à l’élargissement du suffrage avec l’abaissement du cens, ce pourcentage atteint les 6%. Au Royaume Uni, la proportion d’électeurs est bien plus élevée qu’en France puisqu’elle avoisine les 25%.
En plus de la distinction entre pays réel et pays légal, il existe, au sein de ce dernier, différents grades de citoyenneté. Effectivement, un citoyen actif ne peut pas s’exprimer dans les urnes pour chaque catégorie de vote, et pour devenir éligible les critères sont encore plus resserrés. En France, un individu peut voter pour la garde nationale, mais pas nécessairement pour les municipales. Le citoyen qui a le droit de voter au municipal n’a pas forcément aussi le droit de vote législatif. En effet, dans les villages de campagne, le suffrage est élargi, par rapport au suffrage pour les élections législatives, mais uniquement dans le cadre du vote municipal. Ce n’est pas le cas dans la ville de Paris, car les dirigeants craignent le vote des classes populaires parisiennes. Certains citoyens se retrouvent donc avec un droit de vote « partiel ». En outre, pour être éligible, c’est-à-dire pouvoir se présenter en tant que député, les prérequis sont encore plus renforcés. En 1814, en France, il est obligatoire de payer au minimum 1000 francs et d’avoir plus de 40 ans. C’est ainsi que seulement 20% des électeurs sont éligibles. En 1830, le cens requis est abaissé à 500 francs et l’âge à 30 ans. Par ailleurs, dans le cadre du vote aux législatives, la loi de 1820 divise le collège électoral en collège d’arrondissement, comprenant tous les citoyens du pays légal, chargés d’élire 258 députés et en collège de département, constitué du quart des citoyens les plus imposés du pays légal, chargés d’élire 172 députés. Il y a donc une possibilité pour ceux appartenant au collège départemental du « double vote ». Au Royaume-Uni, les critères d’éligibilité sont aussi plus resserrés que ceux pour le vote, il faut notamment être propriétaire pour pouvoir se présenter aux élections. En somme, on observe au sein du pays légal, une hiérarchisation des citoyens français et britanniques.
En pratique être citoyen actif est une expérience remplie de difficultés. Avant tout il faut vérifier que son nom est présent sur les listes municipales françaises car le préfet dispose d’une certaine liberté d’appréciation : en effet il lui est aisé d’oublier d’inscrire le nom des électeurs dont les opinions sont suspectes notamment les libéraux. Si l’inscription sur les listes n’a pas été réalisée, la réclamer est complexe puisque les listes sont rendues publiques au dernier moment. De plus, la corruption est très largement présente au Royaume-Uni et en France du fait de l’étroitesse du pays légal. Il suffit en réalité de quelques voix pour changer l’issue du vote, donc faire pression sur un petit groupe d’électeur pour obtenir leur voix est une pratique courante chez les candidats. C’est ainsi que dans l’œuvre intitulée Le Moniteur Universel de 1847, Billault cite ce que les électeurs français osent dire durant les élections « Si vous faites faire telle nomination, ou si vous me faites obtenir telle faveur, tel avantage, vous aurez ma voix ; sinon, je la donnerai à votre adversaire ». Cela souligne le passage du vote pour l’intérêt général, à celui pour l’intérêt personnel en raison de la corruption. Le Royaume-Uni n’échappe pas non plus à cette pratique. Certains « bourgs pourris », qui ont moins de 10 électeurs en 1831, font l'objet d'achats et de ventes, d’où leurs surnoms « bourgs de poche » puisqu’il est facile pour les candidats de marchander pour obtenir ces voix. De plus, en France, le vote est censé être secret mais suite aux termes de la loi de 1820, les électeurs écrivent leur bulletin sur le bureau, et ont pu commencer à plier leur vote qu’à partir de 1830 sous la Monarchie de Juillet. Les Britanniques, eux aussi, n’ont pas la possibilité de voter dans un bulletin secret. L’obligation de voter de manière publique contraint alors certains électeurs à ne pas exprimer librement leurs opinions. Enfin malgré les difficultés que rencontrent le citoyen pour voter, il participe néanmoins à la formation d’un gouvernement d’opinion où les électeurs apprennent à « user des libertés que leur concède la loi, et, le cas échant, à combattre pour les défendre » selon René Rémond dans La vie politique en France 1789-1848, 1965.
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