Commentaire arrêt Dieudonné
Commentaire d'arrêt : Commentaire arrêt Dieudonné. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar agathe_tnr • 16 Octobre 2023 • Commentaire d'arrêt • 1 987 Mots (8 Pages) • 330 Vues
Droit administratif – Commentaire d’arrêt
CE, ORD., 9 JANVIER 2014, N° 374508,
Ministre de l’intérieur contre Société des productions de la plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala
Par l’arrêt opposant le ministre de l’Intérieur et la Société des productions de la plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala du 9 janvier 2014, le Conseil d’Etat a annulé la décision du tribunal administratif de Nantes du même jour qui avait annulé l'arrêté d’interdiction du spectacle antisémite de Dieudonné M'Bala M'Bala à Saint-Herblain pris par le préfet de Loire-Atlantique. Cette décision précipitée n’est pas moindre, et constitue une évolution importante de la jurisprudence
en matière de limite à la liberté d’expression et de troubles à l'ordre public.
Un humouriste programme une tournée de son spectacle dans plusieurs villes de France, spectacles dans lesquels il tient des propos qui tendent vers l’antisémitisme. Le préfet de la Loire-Atlantique interdit le spectacle de l’humouriste à Saint-Herblain par un arrêté, en invoquant la dignité humaine et le risque de troubles à l’ordre public. Le juge des référés du tribunal administratif de Nantes prend alors une ordonnance qui suspend l’exécution de cet arrêté afin que le spectacle ait lieu.
Le ministre de l’Intérieur fait un recours au juge des référés du Conseil d’Etat et demande l’annulation de l’ordonnance n° 1400110 du 9 janvier 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a suspendu l’exécution de l’arrêté du 7 janvier 2014 du préfet de la Loire-Atlantique portant interdiction du spectacle le 9 janvier 2014, et le rejet de la demande présentée devant le juge des référés du tribunal administratif de Nantes par la société Les Productions de la Plume et de l’humouriste.
Le ministre de l’Intérieur soutient que le préfet a pu, sans illégalité, procéder à l’interdiction du spectacle à raison de son contenu dès lors que ce dernier est connu et porte atteinte à la dignité de la personne humaine. De plus, il estime que le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a entaché son ordonnance d’une erreur manifeste d’appréciation en estimant que les troubles à l’ordre public susceptibles d’être provoqués par le spectacle n’étaient pas suffisants pour justifier la mesure attaquée.
Comment le Conseil d’Etat parvient-il à valider l’arrêté d’un préfet s’appuyant non seulement sur les troubles à l’ordre public, mais aussi sur les risques de commission d’infraction pénale d’un humouriste pour interdire la tenue de son spectacle ?
Le Conseil d’Etat fait droit à la demande du ministre de l’Intérieur, et annule l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nantes. De plus, il rejette la requête présentée par la SARL Les Productions de la Plume et par M. Dieudonné M’Bala M’Bala devant le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, y compris les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le Conseil d’Etat, par cet arrêt, consacre sa jurisprudence en s’appuyant sur les troubles à l’ordre public et l’atteinte à la dignité de la personne pour justifier sa décision (I), en vue d’affirmer le nouveau rôle de prévention des infractions pénales de la police administrative (II).
I – La consécration d’une évolution jurisprudentielle par deux champs de compétence : les troubles à l’ordre public et l’atteinte à la dignité humaine
Afin de rendre sa décision légitime, le Conseil d’Etat ne s’appuie pas seulement sur les troubles à l’ordre public (A), mais s’appuie aussi sur l’atteinte à la dignité humaine comme composante des compétences des autorités administratives (B).
A – La compétence traditionnelle des autorités administratives : les troubles à l’ordre public
Le Conseil d’Etat, pour interdire la tenue du spectacle de l’humouriste, s’appuie sur la compétence traditionnelle des autorités administratives : la prévention des risques de troubles à l’ordre public.
La police administrative générale désigne l’ensemble des activités administratives visant à assurer la sauvegarde de l’ordre public. L’ordre public n’a jamais été réellement défini dans les textes, cependant l’article L2212 du code général des collectivités territoriales relatif aux pouvoirs du maire en donne un début de définition : « assurer le bon ordre, la sécurité et la salubrité publique ».
Au début du 20e siècle, un mouvement d’extrapolation doctrinale émerge afin de donner une définition du pouvoir de police administrative générale. Selon l’auteur Maurice Hauriou, « la police administrative générale se préoccupe de ce qui se passe dans les rues, et pas de ce qui se passe dans les têtes ».
Le juge administratif, lors de l’arrêt Dieudonné de 2014, s’appuie sur les risques de troubles à l’ordre public pour valider l’arrêté du préfet. Il expose le fait que les propos tenus par l’humouriste sont sujets à créer des mouvements de protestation qui seraient difficiles à contenir pour les forces de l’ordre. Les propos, selon le Conseil d’Etat, sont de nature à « inciter à la haine raciale », En effet, l’affaire a été grandement médiatisé et de nombreuses personnes pourraient se trouver devant le lieu du spectacle en vue de protester. Il parle du « climat de vive tension » qui entoure la tenue de ce spectacle qui serait propice à de vives réactions de la part des habitants de Saint-Herblain. Le Conseil d’Etat énonce que c’est en vue de prévenir les troubles à l’ordre public qu’il est préférable que le spectacle soit annulé.
B – La consécration de l’élargissement des compétences des autorités administratives : l’atteinte à la dignité humaine
En plus de s’appuyer sur les risques des troubles à l’ordre public, le Conseil d’Etat s’appuie sur les atteintes à la dignité humaine comme fondement de sa décision.
Dans les années 90, une certaine conception matérielle de l’ordre public apparait. Ces considérations en termes de morale, valeur, vont revenir sous une autre forme : la dignité de la personne humaine.
Depuis deux arrêts du 27 octobre 1995, le Conseil d’Etat affirme que « la dignité humaine est une composante de l’ordre public ». Il interdit à cette occasion le lancer de nains, néanmoins il n’est pas habilité à le faire étant donné que cela ne touche ni à la salubrité, ni à la tranquillité, ni à la sécurité publique. Pour justifier sa décision, le Conseil d’Etat énonce qu’il est possible de prendre des mesures de police administrative afin de protéger la dignité humaine au nom de l’ordre public. Le juge administratif admet la légalité d’une décision attentatoire aux libertés.
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