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Parcours associé « Spectacle et comédie » Lecture linéaire 10 - Georges Feydeau, Un fil à la patte, 1894, acte II, scènes 17 et 18

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Par   •  28 Avril 2023  •  Commentaire de texte  •  2 239 Mots (9 Pages)  •  2 039 Vues

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Parcours associé « Spectacle et comédie »

Lecture linéaire 10 - Georges Feydeau, Un fil à la patte, 1894, acte II, scènes 17 et 18.

Fernand de Bois d’Enghien est un homme de bonne famille qui mène une vie assez dissolue. Il a pour maîtresse la chanteuse Lucette Gautier. Il va épouser (pour son argent) Viviane, fille de la baronne Duverger. Pendant tout le premier acte, qui se passe chez Lucette, il n’ose pas lui avouer qu’il va se marier avec Viviane. Il faut pourtant qu’il se sépare de sa maîtresse, son « fil à la patte ». L’acte II se passe chez la baronne, lors d’une fête organisée pour la signature du contrat de mariage. Lucette a été conviée par la baronne pour chanter devant les invités. A la scène 14, Lucette a enfin appris le projet de mariage entre son amant Bois d’Enghien et Viviane. Elle veut se venger et faire rompre les fiançailles. Elle fait mine de pardonner à Bois d’Enghien, de l’aimer à la folie, et elle lui glisse un épi de seigle (pris dans un bouquet) dans le dos. Bois d’Enghien, après quelques hésitations, se déshabille derrière un paravent pour retirer cet épi qui le gratte. Nous sommes dans la chambre de la baronne Duverger, qui sert de loge à Lucette. Les invités sont dans le salon à côté.

La pièce, qui date de 1894, est un vaudeville : une comédie d’intrigue où le rire naît avant tout des situations, pleines de rebondissements, de quiproquos… Le vaudeville est un genre à la mode à la fin du XIX° siècle et au début du XX°. On parle aussi de théâtre de boulevard, en référence au boulevard du Temple où se trouvaient plusieurs théâtres. Les pièces de vaudeville sont en général très rythmées, et mettent en scène dans un décor réaliste la bonne société parisienne autour d’intrigues où l’adultère tient une grande place. Feydeau est un des maîtres du genre. Il écrit ses pièces à la façon d’un horloger, tout est pensé et millimétré pour susciter de fréquents rires. Les didascalies sont d’une extrême précision.

Projet de lecture : En quoi cette scène est-elle représentative du vaudeville, un genre théâtral qui fait du spectacle une mécanique comique efficace ?

Plan de l’extrait :

Fin de la scène 17 : le stratagème de Lucette

Scène 18 : l’arrivée des invités, un rebondissement comique.

  1. Le stratagème de Lucette

Lucette, enlevant la jupe qu’elle a sur elle. Quoi ? pourquoi ? Tu as un épi qui te gêne, c’est tout naturel que tu le cherches.

Bois-d’Enghien. Oh ! oui ! tu as une façon d’arranger les choses ! … (On aperçoit, au-dessus du paravent, sa chemise qu’il est en train d’enlever.) Ah ! je le tiens, le coquin !

Séance de déshabillage.

Lucette se change pour mettre sa tenue de scène, Bois d’Enghien enlève sa chemise derrière le paravent pour retirer son épi. Didascalies précises

Ambiance coquine dans un intérieur bourgeois (chez la baronne) : ingrédients typiques du vaudeville. Le futur mari de Vivianne se déshabille dans la chambre de sa future belle-mère, en compagnie de sa maîtresse. La situation promet de devenir cocasse.

Lucette justifie la chose « c’est tout naturel »

Mais B d’E est gêné.

Le style est oral, courant voire familier. « Ah ! je le tiens le coquin ! » (personnification amusante de l’épi)

Nombreuses phrases courtes, exclamatives ou interrogatives. Le vaudeville est un genre dynamique, très vivant et rythmé.

Lucette, de la chaise longue, avec une passion simulée. Tu l’as ! ah ! donne-le moi ?

Bois-d’Enghien. Pourquoi ?

Lucette. Pour le garder, il a été sur ton cœur !

Bois-d’Enghien, tout en restant à demi abrité par le paravent, il paraît en pantalon et en gilet de flanelle, le fameux épi à la main. Mais non ! je l’avais dans les reins. (Il fait mine de retourner derrière son paravent.)

Lucette. Donne-le tout de même !

Bois-d’Enghien, le lui apportant. Le voilà ! (Il veut retourner au paravent, mais Lucette a mis le grappin sur sa main et d’un mouvement brusque l’attire à elle.)

Lucette, avec une admiration feinte. Oh ! que tu es beau comme ça !

Bois-d’Enghien, fat. Oh ! voyons ! … (Il fait mine de retourner, Lucette l’attire de nouveau à elle.)

Lucette, même jeu. Est-il beau ! mon Dieu, est-il beau !

La simulation de la passion par Lucette :

Les didascalies soulignent le jeu de Lucette, qui fait semblant d’adorer et d‘admirer B d’E pour mieux l’attirer dans son piège (elle veut que tout le monde le surprenne dans ses bras)

Ses répliques sont drôles car surjouées, hypocrites et habiles. Répétition de l’adjectif « beau » avec nombreuses exclamations. Le public sait bien qu’elle joue un rôle, celui de la maîtresse folle d’amour (théâtre dans le théâtre)

Bois d’Enghien se laisse flatter il est « fat » (vaniteux) et facile à manipuler. Comique de caractère. Dans toute la pièce, B d’E apparaît comme lâche, faible, menteur, et ici, fat.

Parodie de scène d’amour. Par exemple Lucette dit à son amant qu’elle veut garder l’épi « parce qu’il a été sur ton cœur » : romantisme d’autant plus ridicule que B d’E fait retomber le lyrisme en répondant de façon très terre à terre « Mais non ! je l’avais dans les reins » (antithèse cocasse « cœur »/ « reins »)

Toute la scène est précisément orchestrée par des didascalies. Feydeau est tout autant metteur en scène qu’auteur. Les moindres gestes, éléments de décor, mouvements, sont indiqués. Ici par exemple, les tentatives de B d’E pour retourner se rhabiller sont contrariées par Lucette qui l’agrippe et l’attire à elle. Jeu mécanique et répétitif qui produit un effet comique (Cf Bergson, philosophe qui  a écrit un essai sur Le rire en 1900 et affirme que le comique vient du « mécanique plaqué sur du vivant »)

Bois-d’Enghien. Je t’assure ! Si on entrait… c’est bien fermé ?

Lucette. Mais oui, mais oui… (L’attirant contre elle.) Ah ! te sentir là près de moi… (Se frappant sur la poitrine de la main droite, tout en le tenant de la main gauche.) Tout à moi ! … en gilet de flanelle ! …

Bois-d’Enghien. Oh ! voyons !

La porte est-elle fermée ?

Inquiétude de B d’E. Le spectateur, lui, a vu Lucette ouvrir le verrou quelques instant plus tôt dans la scène. Il sait que la porte est ouverte. La tension monte, on attend la suite avec impatience.

L’allusion au gilet de flanelle revient à plusieurs reprises dans la scène, c’est un détail très prosaïque, pas du tout séduisant, mais Lucette fait semblant d’adorer ce sous-vêtement, d’en être émoustillée. Erotisme feint. Effet comique.

Lucette continue sa comédie (gestes exagérés, cris)

Lucette. Et quand je pense… quand je pense que tout cela va m’être enlevé. Oh ! non, non, je ne veux pas… je ne veux pas ! … (Elle l’a saisi n’importe comment par le cou, ce qui le fait glisser à terre, tandis qu’elle se laisse tomber assise sur le canapé, paralysant ses mouvements en le tenant toujours par le cou.) Mon Fernand, je t’aime, je t’aime, je t’aime. (Elle finit par le crier.) 

Bois-d’Enghien, affolé. Mais tais-toi donc ! mais tais-toi donc ! Tu vas faire venir !

Lucette, criant. Ça m’est égal ! qu’on vienne ! … On verra que je t’aime. Oh ! mon Fernand ! je t’aime, je t’aime ! … (Elle sonne, la main droite appuyée sur le timbre électrique qui retentit tant et plus.)

Bois-d’Enghien, à genoux et toujours tenu par le cou, perdant la tête. Allons, bon ! le téléphone, à présent ! … On sonne au téléphone ! Oh ! la, la ! … mais tais-toi donc ! tais-toi donc !

(Pendant tout ce qui précède, cris continus de Lucette.)

Le paroxysme de l’amour feint.

Les gestes et les paroles de Lucette s’intensifient.

Elle fait toujours mine d’être éperdue d’amour et de regretter la rupture prochaine avec B d’E (qui va se marier avec Vivianne)

Didascalies toujours très précises. Comique de gestes. La mise en scène est faite pour accentuer la position compromettante de Fernand, maintenu à terre par Lucette assise sur le canapé (il faut imaginer une posture équivoque, sexuelle)

La scène est construite en crescendo.

Lucette pousse des cris. Répétitions. Gradation.

Pendant ce temps elle sonne pour faire venir tout le monde. Les cris se doublent du bruit strident de la sonnette, la scène devient hystérique.

Ce qui est drôle également c’est l’aveuglement de B d’E, qui ne comprend pas le stratagème de Lucette et pense que la sonnerie est celle du téléphone. Il est complètement berné, « affolé », « perdant la tête ».

Bois d’Enghien crie lui aussi pour faire terre Lucette (ce qui rend la scène encore plus sonore) Répétitions « Tais-toi donc ! »

La scène d’amour devient plus violente que charmante. Lucette est prête à tout pour nuire à B d’E.

Le vaudeville transforme les personnages en pantins absurdes et entraîne le spectateur dans un tourbillon comique de plus en plus éloigné du réalisme.

  1. Les invités surprennent les amants.

Coup de théâtre comique

Voix au dehors. Qu’est-ce qu’il y a ? Ouvrez !

Bois-d’Enghien. On n’entre pas ! Mais tais-toi donc ! Mais tais-toi donc !

(La porte du fond cède et tous les personnages de la soirée paraissent à l’embrasure. Marceline paraît à gauche.)

Scène 18

Les Mêmes, LA BARONNE, VIVIANE, DE CHENNEVIETTE, LE GÉNÉRAL, MARCELINE, DE FONTANET, Invités, Invitées.

Tout le monde. Oh !

Bois-d’Enghien. On n’entre pas, je vous dis ! On n’entre pas ! 

Rebondissement comique, le piège se referme.

Des voix se font d’abord entendre hors scène (en coulisse), puis les invités arrivent par la porte du fond. Coup de théâtre, comique de situation.

B d’E est surpris à moitié dénudé en compagnie de sa maitresse par :

- la baronne, maîtresse de maison et future belle-mère

- Vivianne sa fiancée

- tous les invités de la fête.

La scène devient très collective. Intrusion dans la sphère privée de tous les personnages.

Surprise générale : « oh ! »

B d’E est totalement impuissant, il a beau répéter « on n’entre pas ! », tout le monde entre.

Moment jubilatoire pour les spectateurs, qui attendaient ce moment depuis le début de la scène avec l’épi.

La Baronne, cachant la tête de sa fille contre sa poitrine. Horreur ! En gilet de flanelle !

Lucette, comme sortant d’un rêve. Ah ! jamais ! jamais je n’ai été aimée comme ça ! 

Bois-d’Enghien. Qu’est-ce qu’elle dit ?

Tous. Quel scandale ! …

La Baronne. Une pareille chose chez moi ! sortez, Monsieur ! Tout est rompu ! …

Bois-d’Enghien. Mais, Madame ! …

Le Général, qui vient d’entrer, et descendant vers Bois-d’Enghien. Demain, à la matin, yo vous touerai !

Bois-d’Enghien, désespéré. Mon Dieu ! mon Dieu ! …

Réactions des invités

Nombreuses réactions (à orchestrer comme une partition de musique presque)

La baronne scandalisée empêche sa fille de regarder la scène. Elle reprend l’expression « en gilet de flanelle ! » comique de répétition.

Lucette fait croire à tout le monde qu’elle vient d’avoir une relation sexuelle avec B d’E. Elle joue jusqu’au bout son rôle pour ruiner sa réputation et empêcher son mariage. C’est une simulation de flagrant délit. Effet comique

B d’E ne comprend rien (dans cette scène il est vraiment présenté comme un idiot)

La baronne rompt le projet de mariage. Rebondissement dans l’intrigue. Elle aussi s’exclame beaucoup, dans cette scène très dynamique et paroxystique qui clôt l’acte II.

Les invités ajoutent du chaos à la scène, en renchérissant sur la réaction outrée de la baronne.

Le général Irrigua, un sud-américain qui courtise Lucette et voudrait l’épouser, découvre ici son rival B d’E, il le provoque en duel. Son accent ajoute du comique de langage au comique de situation.

Tout s’envenime pour Bois d’Enghien, Lucette a réussi sa vengeance.

L’acte s’achève sur son désespoir comique. Dans le vaudeville, le public n’a pas pitié des personnages, il s’amuse plutôt de leurs déboires.

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