L’usage du texte dans la pratique artistique féminine contemporaine au Royaume-Uni
Mémoire : L’usage du texte dans la pratique artistique féminine contemporaine au Royaume-Uni. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Johanna Felter • 22 Février 2018 • Mémoire • 28 474 Mots (114 Pages) • 542 Vues
Des mots aux « sextes » : l’usage du texte dans la pratique artistique féminine contemporaine au Royaume-Uni
Johanna Felter
Ecole Normale Supérieure de Lyon
Master 2 Etudes anglophones
Sous la direction d’Isabelle Baudino
Septembre 2015
Sommaire
Introduction 6
- Texte et image : du conflit à la collaboration étroite 12
- Approche théorique de la relation entre texte et image 12
- L’héritage de l’art conceptuel 18
- Entre écriture et représentations visuelles, des artistes au cœur d’une société de la communication écrite 25
- « Words, words, words » : utilisation du langage pour son pouvoir symbolique et référentiel 37
- Reprise et réutilisation 38
- Réappropriation et subversion 47
- Expression et production écrite 58
- Reification du texte : quand le texte devient image et prend corps a travers l’œuvre 66
- Dysfonctionnement du langage écrit 66
- Reification du texte ecrit 77
- Usage du texte dans l’art contemporain et problématiques de genre 88
Conclusion 96
Liste des illustrations 101
Introduction
« There has been, is, and will be, such a thing as a confusion of the arts. »[1]. Ce sont en ces termes péremptoires que Clément Greenberg en 1940 répond à la théorie de Lessing développée dans l’ouvrage Laocoon : An Essay on the Limits of Painting and Poetry qui repose sur une distinction claire entre les disciplines artistiques de la peinture et de la poésie. Lessing, laissant transparaître une voix dissonante dans le chœur traditionnel qui célèbre depuis plusieurs siècles la théorie d’ « Ut pictura poesis », affirme ainsi en 1766 que la peinture fait appel à une activité visuelle synchronique, qui permet d’embrasser simultanément tous les éléments contenus dans un espace défini alors qu’en contraste, la poésie est un art diachronique qui stimule les capacités d’écoute, se développant dans la durée de la lecture. Depuis la division classique des différents arts proposée par les philosophes grecs, la nature des liens entre les formes textuelles et les arts visuels a donc constitué un sujet épineux. L’art moderne et contemporain, depuis le début du XXe siècle et surtout après la Seconde Guerre mondiale, a participé au renouvellement de cette discussion philosophique et esthétique en ne cessant de brouiller les frontières entre le domaine textuel et le champ purement visuel. En effet, fort de multiples créations multimédia qui transgressent les catégories disciplinaires traditionnelles, l’art contemporain propose un espace où l’image devient texte, le texte devient image, et où le spectateur est envisagé autant comme un lecteur que comme participant à la production de l’œuvre d’art.
Ce phénomène perçu dans la pratique artistique fait écho à la transformation des sociétés occidentales au cours du XXe siècle : l’augmentation considérable du taux d’alphabétisation depuis la fin du XIXe siècle a permis à la grande majorité de la population d’avoir accès au sens des multiples textes envahissant progressivement l’espace public. Le sociologue anglais Richard Hoggart, dans son ouvrage The Uses of Literacy publié en 1957, démontre comment l’accès progressif des classes ouvrières à la presse d’information dans la première moitié du XXe siècle a influencé la nature de ces médias qui se sont ainsi modernisés afin d’établir une « communication de masse » : en d’autres termes, des journaux de moins en moins diversifiés ont progressivement augmenté le nombre de leurs publications tout en cherchant à élargir leur public aux classes plus défavorisées. Ce phénomène a participé à la formation et à la diffusion d’une « culture populaire ». Raymond Williams, un autre sociologue britannique qui s’est aussi intéressé aux changements culturels survenus dans les sociétés occidentales durant le XXe siècle, principalement dans son ouvrage Culture and Society qui date de 1958, explique que l’émergence de la culture populaire provient d’un changement de perception commune vis-à-vis de la culture dû, d’une part, aux premières conséquences de la révolution industrielle, moment charnière où les idées d’art, d’artistes et la considération de leur place dans la société ont évolué de manière radicale, et d’autre part, à la croissance progressive du système démocratique qui a permis un accès de plus en plus large à l’éducation pour toutes les franges de la population. La diffusion de la culture populaire, qui, précise Raymond Williams, n’est par ailleurs ni exclusivement destinée aux classes populaires ni exclusivement produite par ces mêmes classes, profite en outre de la transformation des médias de communication dans la deuxième moitié du XXe siècle : radio, télévision puis internet contribuent alors à la densification d’un réseau télécommunicationnel qui repose sur un flux ininterrompu d’informations livrées sous forme écrite ou orale et qui touche toutes les classes sociales et tous les âges.
Le mouvement des Young British Artists, qui s’est formé dans les années 1990 et auquel se rattachent certaines des artistes de ce corpus, ne manque pas de reconnaître l’influence des différentes formes de la culture populaire. La plupart des artistes issus de ce mouvement ont effectué leur formation artistique au Goldsmiths College de l’Université de Londres, le centre nerveux des « cultural studies », dont Richard Hoggart, par ailleurs nommé directeur de l’université jusqu’en 1984, et Raymond Williams sont les fondateurs. Institution spécialisée dans les recherches sur la culture, la communication et la créativité, le Goldsmiths College est également réputé pour son enseignement artistique. Dans les années 1980, les étudiants suivent une formation théorique et pratique qui les sensibilise à l’art conceptuel, courant majeur dans les années 1970 qui participe à l’émergence du texte dans le domaine artistique, et qui les encourage vers une pratique pluridisciplinaire. La présidence de John Thompson dans le département des arts durant toute la décennie a en effet sensiblement changé la manière d’enseigner l’art en décloisonnant les différentes spécialités et en poussant les élèves à combiner différents médias et genres artistiques et à se positionner dans un contexte d’intense échange critique.
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