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Merleau-Ponty / Sociétés et environnement :des équilibres fragiles

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Par   •  2 Mai 2022  •  Commentaire de texte  •  2 694 Mots (11 Pages)  •  391 Vues

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MERLEAU-PONTY  

La querelle de l’existentialisme (extrait)  

« Il y a [...] deux vues classiques. L'une consiste à traiter l'homme  

comme le résultat des influences physiques, physiologiques et  sociologiques qui le détermineraient du dehors et feraient de lui une chose  entre les choses. L'autre consiste à reconnaître dans l'homme, en tant qu'il est esprit et construit la représentation des causes mêmes qui sont censées  agir sur lui, une liberté acosmique. D'un côté l'homme est une partie du  monde, de l'autre, il est conscience constituante du monde. Aucune de ces  deux vues n'est satisfaisante. A la première on opposera toujours [...] que,  si l'homme était une chose entre les choses, il ne saurait en connaître aucune, puisqu'il serait, comme cette chaise ou comme cette table,  enfermé dans ses limites, présent en un certain lieu de l'espace et donc  incapable de se les représenter tous. Il faut lui reconnaître une manière  d'être très particulière, l'être intentionnel, qui consiste à viser toutes  choses et à ne demeurer en aucune. Mais si l'on voulait conclure de là que, par notre fond, nous sommes esprit absolu, on rendrait incompréhensibles  nos attaches corporelles et sociales, notre insertion dans le monde, on  renoncerait à penser la condition humaine. »  

 

La question de l’être est sans doute la plus complexe qui soit. L’homme affirme que les choses existent,  il parle d’être non seulement pour dire que les choses sont, mais pour dire également ce qu’elles sont : le  cahier est bleu, la table est grande, etc. Comme s’il n’était pas possible de parler du monde sans être  immédiatement plongé dans la dimension de l’être. Mais cet être que l’homme reconnaît aux choses, il le  découvre également en lui-même. Ce constat pose le problème du statut de l’être de l’homme. Nous  reconnaissons l’être dans les choses, mais l’être que nous ressentons en nous-mêmes est-il à penser sur le  modèle de l’être de l’objet ? Telle est la question que pose Merleau-Ponty dans ce texte : Il s’agit dans ce texte  de savoir comment penser l’existence humaine. L’homme existe-t-il à la manière des choses peuplant le  monde, ou bien faut-il voir en lui un mode d’existence qui le placerait radicalement en dehors du monde ?  Merleau-Ponty considère que deux « vues classiques » se sont jusqu’ici opposée en philosophie. L’exposé de  ces vues laisse place à une réfutation qui conduit l’auteur à se servir de chaque thèse pour mettre en évidence  les faiblesses de l’autre. Cette double réfutation dessine en creux une nouvelle compréhension de l’être de  l’homme comme conscience incarnée, située dans le monde.  

I. Présentation des deux « vues classiques » (l.1 à l.7)

 Le déterminisme fait de l’homme une « chose entre les choses ». Ce point de vue s’appuie sur  quelques évidences : l’homme est un être du monde, il est soumis à un certain nombre d’influences, voire de  contraintes. On ne peut penser l’homme indépendamment de l’idée de naissance : l’individu ne s’est pas créé  lui-même, il est né du monde, et en ce sens, son existence est soumise à une multitude de causalités que l’on  ne peut évacuer.  

 Les causalités d’ordre « physique et physiologique » renvoient à la corporéité de l’homme : les  contingences corporelles doivent être prises en compte pour expliquer l’action humaine. Cette dernière  s’inscrit toujours dans un cadre de possibilités définies par le corps. Ainsi, c’est mon corps qui inscrit mon  existence dans un cadre temporel et spatial dont je ne peux jamais totalement m’abstraire (la technique a beau  permettre de modifier notre perception du temps ou de l’espace, il n’en demeure pas moins que je ne pourrai  jamais être physiquement à deux endroits en même temps ; de même, je peux, par l’imagination ou la  mémoire, me projeter vers l’avenir ou le passé, mais le temps de mon action sera toujours celui de mon corps,  à savoir, le présent).

 La causalité d’ordre sociologique fait de l’homme un être soumis aux influences de son milieu,  considéré ici non plus dans son aspect physique, mais humain. Ainsi, les sociologues les plus déterministes ont  su mettre en évidence ces contraintes : en expliquant que l’infrastructure détermine la superstructure, Marx  affirme que les idées ne sont bien souvent que le produit d’une prise de position dans le champ du conflit entre  dominants et dominés. Plus proche de nous, Bourdieu a mis en évidence l’influence du milieu social sur la  manière dont l’individu appréhende l’institution scolaire, l’art, le langage, les idées politiques ou religieuses.  Ainsi, les domaines qui sont souvent considérés comme les lieux de l’expression de la plus haute liberté sont en  réalité des champs de forces contraignantes d’autant plus efficaces qu’elles passent inaperçues aux yeux de  l’individu. La conscience que nous avons de nous-mêmes est elle-même de l’ordre de l’illusion car l’image que  nous nous faisons de nous-mêmes est le résultat d’une aliénation fondamentale aux conditions sociales de  notre existence : je ne suis que l’image déformée que la société me renvoie de moi-même. La vie quotidienne  serait donc le lieu d’une illusion généralisée, l’individu se croyant libre par ignorance des contraintes qui pèsent  sur lui. On retrouve ici le point de vue spinoziste exprimé dans la Lettre à Schuller : l’homme est comparable à  une pierre capable de prendre conscience de son mouvement mais ignorant les causes à l’origine de ce  mouvement.  

 A ces déterminismes, on pourrait également ajouter celui constitué par le passé, il s’agit ici d’un  déterminisme d’ordre psychologique. Notre passé pèse sur nos actions, nous sommes comme déterminés par  notre histoire, et cela sans que nous en ayons conscience. Freud a montré comment des évènements  traumatiques, que l’on croyait oubliés pouvaient encore se manifester dans le présent.  

 

 L’autre point de vue considère l’homme en tant qu’esprit. L’homme pense et sait qu’il pense, il est  capable de faire de sa pensée l’objet même de sa pensée se reconnaissant ainsi comme un sujet capable par sa  pensée même de prendre de la distance vis-à-vis du monde extérieur. Ainsi, Descartes considérait-il que la  vérité première ne pouvait en aucun cas se rencontrer du côté de l’objet, mais uniquement dans la sphère  purement subjective. La principale différence entre le sujet et l’objet réside dans le fait que l’existence de ce  dernier peut toujours être niée, alors que celle du sujet s’impose avec la force de l’évidence. C’est donc du côté  du sujet qu’il faudra chercher la source et l’origine de toute vérité. La philosophie transcendantale de Husserl,  bien que refusant le modèle de la substance pour penser le sujet, ira dans le même sens : en pensant l’homme  comme conscience, être qui par définition se projette vers ce qu’il n’est pas, « être intentionnel », on pose le  sujet comme l’être en qui réside la condition de possibilité du monde. L’homme est avant tout l’être pour qui il  y a un monde, il est celui par qui existe toute représentation du monde, il est une conscience qui porte  l’intentionnalité par laquelle l’homme s’ouvre au monde en même temps que le monde se manifeste à lui.  

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