Les vertus de la concurrence
Dissertation : Les vertus de la concurrence. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar SdFr • 11 Novembre 2017 • Dissertation • 3 757 Mots (16 Pages) • 778 Vues
DASTILLUNG Sidonie
Culture Générale
Affaires publiques
Sujet proposé : Les vertus de la concurrence.
Contrairement à ce qui pourrait être immédiatement supposé, l’idée d’une vertu propre à la concurrence relève moins de principes économiques qu’elle ne dépend d’une position politique, qui cherche à penser le rôle minimal de l’Etat. En effet, si dans le cadre de la théorie économique, la concurrence est la variable essentielle qui conditionne la réalisation de l’équilibre général, et harmonise ainsi les marchés les uns avec les autres (les différents prix d’échange entre eux), c’est au discours politique qu’il revient de considérer qu’il tient lieu de moyen efficace et d’en faire l’idéal régulateur de l’action politique. Lorsque Thatcher se prononce ainsi pour une dérégulation de l’activité économique et renvoie les individus à la responsabilité de leur propre situation de pauvreté dans son discours de 1979, elle va au-delà du discours économique, qui se contente de penser et de décrire les effets de la concurrence, pour adopter une position normative qui suppose que la concurrence doit être le seul moyen de l’action politique, au nom de son efficacité propre.
En même temps, cette idée de vertu sociale ou politique de la concurrence est précisément celle qui est remise en question par toute une partie de la théorie politique, qui considère que les effets sociaux résultant de la concurrence, décrits dans les rapports de l’OCDE ou du FMI, vont à l’encontre de l’objectif d’équité des sociétés démocratiques modernes, telles qu’elles se sont fondées sur un contrat politique inclusif, incarné notamment par la mise en place de l’Etat providence, protecteur à l’égard des individus et ôtant certains pans de l’action politique à l’action du marché. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’opposition qui s’exprime ici repose essentiellement sur une remise en cause du discours qui consiste à attribuer une vertu politique à la concurrence, telle que celle-ci pourrait donner lieu à une légitimation des inégalités sociales suivant une logique du « mal pour un bien ».
Dès lors derrière la multiplicité des références qui peuvent exister derrière le concept de vertu de la concurrence -vertu économique de la concurrence permettant de réaliser un optimum quantitatif requis par le jeu du marché, efficacité spécifique du mécanisme concurrentiel susceptible de réaliser des fins auxquels il est aveugle, vertu sociale et politique finalement- se dégage un unique enjeu qui repose sur le sens initial de la concurrence. Si la concurrence renvoie initialement à la situation de rivalité entre les hommes qui résulte de l’existence sociale, existe-t-il une vertu propre de cette existence qui puisse s’élever au niveau politique? En d’autres termes, la question posée est de savoir si le type de structuration sociale qui relève de la concurrence est susceptible de valoir comme principe d’organisation politique, qui implique que l’existence de l’Etat soit rendue superflue ou à penser sur le même modèle que l’ordre social concurrentiel.
Dans un premier temps, nous reviendrons sur les vertus qui découlent de la structure de rivalité sociale pour l’individu, ce qui semble aller dans le sens d’une vertu morale de la concurrence. Dans un second temps, nous questionnerons la réelle possibilité pour la concurrence de viser des fins morales, en ce que la morale porte avant tout sur le type de relation sociale mis en place entre individus. En en ayant conclu que du bénéfice social qui peut spécifiquement résulter de la concurrence peut amener à la constituer en unique finalité politique, nous poserons la question de savoir si elle peut être le seul principe d’organisation du politique.
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Dans un premier temps, nous allons questionner les raisons mêmes qui sont à l’origine de l’idée de vertu de la concurrence. En effet, si par vertu on entend le fait d’agir conformément à des fins morales, la question est celle de savoir ce qui amène à croire que la concurrence pourrait avoir de tels effets.
Dans son sens le plus général, la concurrence renvoie avant tout à un certain type d’existence sociale. Elle renvoie à l’existence sociale d’abord, parce qu’il n’y a pas de concurrence sans relation d’un l’individu avec d’autres : étymologiquement, le terme vient en effet du verbe latin concurrere, qui signifie littéralement le fait de courir avec. Elle renvoie ensuite à un certain type de relation sociale bien spécifique, qui repose sur le rapport de rivalité. Celui-ci est parfois compris restrictivement, parce que l’on a pris l’habitude de le réduire au cas de la rivalité économique, dans le cadre de la recherche d’un même bien économique en situation de rareté. En réalité, comme l’a très bien montré Kant dans la quatrième proposition d’une Histoire universelle du point de vue cosmopolitique, la rivalité dont il est question dans la concurrence est susceptible d’une acception beaucoup plus large parce qu’elle est inhérente à l’existence sociale elle-même. En effet, contrairement à ce qui est postulé par la conception antique, la nature de la relation sociale n’est pas univoque. Si la relation sociale dépend de rapports de bienveillance et de coopération, qui résultent du besoin naturel d’entrer en rapport avec l’autre –ce qui correspond à la thèse de la sociabilité naturelle-, l’on constate aussi empiriquement l’existence de rapports d’hostilité, qui se manifestent par le sentiment subjectif de répulsion à l’égard de la présence des autres et qui se traduisent par la volonté de s’opposer aux autres, ainsi que par l’anticipation de la résistance que les autres peuvent nous opposer. L’existence sociale de l’homme résulte donc d’une « insociable sociabilité », qui place de fait les hommes en situation de rivalité et qui établit la discorde comme l’un des fondements de l’existence sociale. Chercher à savoir s’il existe une vertu de la concurrence, c’est donc chercher à savoir s’il existe des bénéfices à cette structuration de l’ordre social, qui est inhérent à l’existence même de l’homme. C’est en ce sens chercher à savoir s’il existe une logique providentielle qui conduirait cet ordre social à poursuivre et à réaliser des fins louables et bonnes sur le plan moral.
La question de la vertu de ce type de structuration sociale se pose dans la mesure où il n’est pas évident à première vue qu’elle puisse permettre la réalisation de telles fins. En effet, d’un point de vue individuel, la situation de concurrence ou de rivalité avec l’autre s’accompagne d’un sentiment subjectif désagréable de répulsion à l’égard des autres et d’insécurité personnelle. En effet, elle fait envisager aussi bien la menace qui pèse à l’égard de sa propre existence et la possibilité pour cette existence de disparaître sous l’effet de celles des autres. La concurrence va en ce sens à l’encontre même du sentiment de bien être vital, qui semble résulter de l’aperception subjective immédiate des possibilités de conservation de sa propre existence. Pourtant, en même temps qu’elle produit des sentiments de crainte chez l’individu, et en tant même qu’elle les produit, la concurrence est susceptible d’avoir d’autres effets chez l’homme, qui vont dans le sens d’une démultiplication de ses dispositions naturelles. En effet, la situation qui fait à la fois craindre l’opposition des autres et vouloir s’opposer aux autres, est l’élément qui impose à l’homme à renoncer à sa paresse naturelle et lui fait déployer toutes ses forces. La concurrence est donc l’élément de contrainte qui est au fondement du progrès qui assure le passage de la rudesse à la culture. Il existe donc une vertu propre de la concurrence mais qui dépend en réalité d’une anthropologie négative, puisque cette vertu ne peut valoir que dans le cadre d’un constat fait sur la paresse naturelle de l’homme, qui le pousse à retarder indéfiniment le développement des facultés que la nature ne lui donne qu’à titre de dispositions. En effet, le propre de l’homme est qu’il est un être culturel, dont le développement suppose le travail et l’éducation, et qui ne peut se réaliser qu’à travers l’histoire, dans la mesure où une génération ne peut suffire à elle seule à l’achever entièrement. La concurrence s’avère être pour cela un moyen très utile, parce qu’elle est ce qui réveille l’homme de sa paresse naturelle et lui rend nécessaire le développement de ses propres facultés. La concurrence correspond en ce sens à l’entrée effective dans le processus culturel : elle le pousse à maîtriser et à discipliner ses penchants naturels, l’arrachant ainsi progressivement à l’ordre naturel qui correspond à la situation de despotisme des désirs. D’où l’idée que la concurrence serait porteuse d’une certaine vertu morale. Si la vertu consiste à réaliser sa propre fin, et si cette finalité consiste pour l’homme à l’arrachement progressif aux passions paresseuses naturelles, la concurrence est bien l’élément qui permet ce développement.
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