La place du Brésil dans le commerce triangulaire
Cours : La place du Brésil dans le commerce triangulaire. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Bilan Hariid • 7 Mai 2022 • Cours • 2 986 Mots (12 Pages) • 389 Vues
KAHIN DAHE RRAYALEH[pic 1][pic 2]
Lisez le texte puis répondez aux questions.
Bartolomé Bennassar, « Du bois et du sucre »
(article paru dans la revue L’Histoire, n° 366, juillet-août 2011)
[Au tout début du xvie siècle, des explorateurs portugais accostent pour la première fois les rives de ce qui deviendra plus tard le Brésil. Très rapidement, ils y introduisent la culture de la canne à sucre. Cette introduction va avoir une conséquence inhumaine : le transport au Brésil d’esclaves venus d’Afrique, pour servir de main-d’œuvre.]
[§1] Dès 1516, le roi du Portugal Manuel le Fortuné [publia] une patente [c’est-à-dire un acte législatif] qui prévoyait l’envoi au Brésil de techniciens et d’outillage en vue de promouvoir l’industrie sucrière, avec, évidemment, des plants de canne à sucre. Car, en ce début du xvie siècle, le sucre était un produit de grande valeur : il était le seul, avec le sel, qui permît de prolonger la période de consommation des aliments. Or la production européenne de cette plante originaire de l’Inde était faible, limitée à quelques vergers de Sicile, de Calabre, du Levant valencien, de l’Andalousie méditerranéenne et d’archipels atlantiques (îles Canaries et Madère).
[§2] Au Brésil, les Portugais avaient observé très tôt la qualité exceptionnelle des sols alluviaux des vallées fluviales proches de la côte […]. Ces sols argileux ou marneux, sombres, appelés "massapes", bénéficiaient aussi d’une chaleur et d’une pluviosité très favorables à la culture de la canne. Mais, au milieu du xvie siècle, les Portugais étaient encore très peu nombreux au Brésil : moins de 20 000 vers 1550 […], 20 760 en 1570 […] pour quelque 2 400 000 Indiens dispersés sur un territoire immense. La culture de la canne et la fabrique du sucre nécessitaient une main-d’œuvre nombreuse, stable, robuste. Comment se la procurer ?
[§3] Malgré ces difficultés, un premier engenho (moulin à sucre) fut créé en 1532 à São Vicente (actuel État de São Paulo), à l’extrême sud de la zone contrôlée, par une société commerciale dirigée par Martim Afonso de Souza avec trois associés portugais (dont son frère), et la participation […] de grands banquiers d’Anvers, les Schetz. D’autres négociants ou financiers étrangers s’intéressèrent très tôt au sucre brésilien, ainsi l’Italien Lucas Giraldo […]. Cet intérêt d’hommes d’affaires de haut niveau souligne l’importance économique du sucre.
[§4] À l’origine, l’engenho c’est d’abord le moulin à sucre, qui utilise la traction animale ou l’énergie hydraulique pour concasser les cannes et en extraire le jus transformé en sucre à l’issue d’une cuisson obtenue par des fourneaux chauffés au bois. Le jus était d’abord purifié par une lessive faite de cendres mêlées à de l’eau, puis il reposait dans de grandes cuves où il se clarifiait et se purgeait ; quelques semaines plus tard, le sucre blanc était séparé de la cassonade.
[§5] Très vite, le terme d’engenho a désigné l’ensemble du complexe sucrier, unité de vie qui rassemble les champs de canne, les lopins de terre producteurs de denrées vivrières nécessaires à l’alimentation de la main-d’œuvre, les cases qui la logent, le bétail de traction voué aux charrois, les installations industrielles, les magasins destinés à l’emballage et au stockage des produits finis […].
[§6] La mise en place d’un engenho nécessitait des capitaux importants […]. Ainsi, de grands seigneurs […], de nombreux négociants […], investirent dans l’économie sucrière. Ce fut aussi le cas des ordres religieux : ainsi les Jésuites, propriétaires du grand moulin de Sergipe do Conde dans le Recôncavo [région située dans l’actuel État de la Bahia] ou les Bénédictins de Bahia, qui gérèrent le moulin de São Bento das Lajes. L’agent des Fugger [une famille de marchands et de banquiers installée à Augsbourg, en Allemagne], Cristovão Lins, créa lui aussi un engenho dans le Pernambouc.
[§7] Malgré les difficultés que supposaient la quête des capitaux et la recherche d’une main-d’œuvre fiable, l’entreprise sucrière réalisa des progrès rapides : en 1570, le Brésil comptait 60 engenhos […]. À cette date, l’économie sucrière était devenue dominante. Et cette primauté allait s’affirmer au cours des années suivantes.
[§8] (intertitre : Les premiers esclaves) Pour favoriser l’essor de l’économie sucrière, les Portugais voulaient disposer d’une main-d’œuvre stable, prête aux tâches les plus dures. Les Tupis [un peuple amérindien installé sur les côtes brésiliennes], qui avaient aimé la liberté de la forêt [où les Portugais les avaient fait travailler pour le commerce du bois], un travail dont ils choisissaient les modalités [et] qui leur valait un outillage précieux, ne supportèrent pas les contraintes de la plantation sucrière et de l’engenho. […] Les Portugais franchirent alors le pas : ils utilisèrent des Indiens esclaves, devenus les negros da terra, les "nègres du pays". Ils se les procuraient en achetant des Indiens captifs d’ethnies rivales destinés en principe aux rituels anthropophages, puis en organisant des expéditions de chasse aux Indiens (des "bandeiras").
[§9] Le bras de fer commença alors entre l’Église, qui condamnait l’esclavage [des Amérindiens] et les intérêts des propriétaires. Déjà en 1537, la bulle [du pape] Paul III Sublimis Deus avait reconnu que les Indiens étaient des êtres doués de raison, possesseurs d’une âme immortelle et qu’ils ne pouvaient donc pas être réduits en esclavage. La conséquence fut la loi portugaise de 1570 sur "la liberté des indigènes du Brésil", qui interdisait leur esclavage sauf dans le cas de guerre juste ou de cannibalisme. Cette loi provoqua une vague de protestations [des exploitants des engenhos], de sorte qu’une lettre royale la vida de son contenu en 1573. Mais une contre-offensive des Jésuites aboutit finalement à la loi du 22 août 1587, qui autorisait les Indiens à quitter les plantations où ils travaillaient s’ils le souhaitaient. Des lois de 1605 et 1609 confirmèrent la liberté des Indiens. Certes, [en pratique], ces lois étaient souvent détournées. Mais les Indiens avaient appris à se défendre et, souvent armés par les Jésuites, ils réagissaient avec violence, organisant des expéditions pour aller détruire les plantations de cannes et les installations des moulins, signes tangibles de leur oppression. En 1590 et 1591, les Guaianas et Tupiniquim tendirent des embuscades à des colonnes [portugaises] parties à la chasse aux esclaves [en violation des lois de 1587, 1605 et 1609].
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