Lecture linéaire le dilemme de Jean Valjean, Les Misérables, V. Hugo
Commentaire de texte : Lecture linéaire le dilemme de Jean Valjean, Les Misérables, V. Hugo. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Corinne Rinne • 24 Septembre 2020 • Commentaire de texte • 3 059 Mots (13 Pages) • 8 807 Vues
LE DILEMME DE JEAN VALJEAN
Les Misérables, V. Hugo
[...] Alors il reprit cette marche monotone et lugubre qui troublait dans ses rêves et réveillait en sursaut l’homme endormi au-dessous de lui. Cette marche le soulageait et l’enivrait en même temps. Il semble que parfois dans les occasions suprêmes on se remue pour demander conseil à tout ce qu’on peut rencontrer en se déplaçant. Au bout de quelques instants il ne savait plus où il en était. Il reculait maintenant avec une égale épouvante devant les deux résolutions qu’il avait prises tour à tour. Les deux idées qui le conseillaient lui paraissaient aussi funestes l’une que l’autre. – Quelle fatalité ! quelle rencontre que ce Champmathieu pris pour lui ! Être précipité justement par le moyen que la providence paraissait d’abord avoir employé pour l’affermir ! Il y eut un moment où il considéra l’avenir. Se dénoncer, grand Dieu ! se livrer ! Il envisagea avec un immense désespoir tout ce qu’il faudrait quitter, tout ce qu’il faudrait reprendre. Il faudrait donc dire adieu à cette existence si bonne, si pure, si radieuse, à ce respect de tous, à l’honneur, à la liberté ! Il n’irait plus se promener dans les champs, il n’entendrait plus chanter les oiseaux au mois de mai, il ne ferait plus l’aumône aux petits enfants ! Il ne sentirait plus la douceur des regards de reconnaissance et d’amour fixés sur lui ! Il quitterait cette maison qu’il avait bâtie, cette chambre, cette petite chambre ! Tout lui paraissait charmant à cette heure. Il ne lirait plus dans ces livres, il n’écrirait plus sur cette petite table de bois blanc ! Sa vieille portière, la seule servante qu’il eût, ne lui monterait plus son café le matin. Grand Dieu ! au lieu de cela, la chiourme, le carcan, la veste rouge, la chaîne au pied, la fatigue, le cachot, le lit de camp, toutes ces horreurs connues ! À son âge, après avoir été ce qu’il était ! Si encore il était jeune ! Mais, vieux, être tutoyé par le premier venu, être fouillé par le garde-chiourme, recevoir le coup de bâton de l’argousin ! avoir les pieds nus dans des souliers ferrés ! tendre matin et soir sa jambe au marteau du rondier qui visite la manille ! subir la curiosité des étrangers auxquels on dirait : Celui-là, c’est le fameux Jean Valjean, qui a été maire à Montreuil-sur-mer ! Le soir, ruisselant de sueur, accablé de lassitude, le bonnet vert sur les yeux, remonter deux à deux, sous le fouet du sergent, l’escalier-échelle du bagne flottant ! Oh ! quelle misère ! La destinée peut-elle donc être méchante comme un être intelligent et devenir monstrueuse comme le cœur humain ! Et, quoi qu’il fît, il retombait toujours sur ce poignant dilemme qui était au fond de sa rêverie : – rester dans le paradis, et y devenir démon ! rentrer dans l’enfer, et y devenir ange ! [...]
Victor Hugo, Les Misérables, 1862, Tome I, livre VII, « Tempête sous un crâne »
Proposition d’étude linéaire Victor Hugo, Les Misérables, 1862 Tome I, livre VII, chapitre 3 « Tempête sous un crâne » (le dilemme de Jean Valjean) Nous allons étudier un extrait des Misérables, roman de Victor Hugo publié en 1862, dans lequel le personnage Jean Valjean est en proie à un dilemme. Cette réflexion permet de le rapprocher de notre parcours associé.
Certains auteurs s’engagent à la fois dans leurs écrits et politiquement. C’est le cas notamment de Victor Hugo, qui a œuvré pour défendre les petites gens, par ses nombreux discours et son oeuvre majeure des Misérables, rédigée entre 1845 et 1862. Initialement intitulé Les Misères, ce roman historique, social et philosophique s’attache au parcours du personnage principal, Jean Valjean. Au début du livre, nous le suivons, libéré en 1815 du bagne après y avoir purgé une peine de dix-neuf ans : initialement condamné à cinq ans de bagne pour avoir volé un pain afin de nourrir sa famille, il voit sa peine prolongée à la suite de plusieurs tentatives d'évasion. En liberté, son passé de forçat l'accable : il est universellement rejeté et seul Mgr Myriel l'accueille. L’évêque parviendra à convaincre Jean Valjean de se tenir à une conduite vertueuse et intègre. Cependant, perdu dans ses pensées, Jean Valjean commet un dernier vol : il doit cacher son identité pour ne pas risquer la prison à vie pour récidive. Le lecteur retrouve le personnage sous le nom de M. Madeleine : enrichi honnêtement en améliorant la fabrication dans l’industrie des verroteries noires, il devient le bienfaiteur de la ville de Montreuil-sur-Mer, dont il est nommé maire. Un jour, pour éviter à un pauvre homme, un simple d'esprit nommé Champmathieu, reconnu à tort comme étant Jean Valjean, d'être condamné à sa place, M. Madeleine ira se dénoncer au terme d'une longue nuit d'hésitation. C’est de ce dilemme dont il est question dans cet extrait, le chapitre s’intitulant « Tempête sous un crâne ». Doit-il se dénoncer pour sauver Champmathieu ? Mais il n’a pas commis de crime qui justifie pour le moment qu’il soit arrêté… Au contraire, même, s’il est arrêté, il ne pourra plus contribuer au bien de la société, en étant notamment le maire de Montreuil-sur-Mer, ni au bien de la petite Cosette, qu’il a promis à Fantine d’aider. Le texte est un récit rédigé à la troisième personne du singulier, et l’auteur partage les pensées du personnage sous la forme d’un monologue intérieur, avec un point de vue interne.
Nous pouvons repérer trois mouvements : 1er mouvement : la marche révélatrice du dilemme, de la ligne 1 à 9 2e mouvement : la réflexion en diptyque, Jean Valjean envisage ce qu’il risque de perdre s’il se dénonce, et ce qu’il va trouver en se dénonçant, des lignes 10 à 26. Dernier mouvement : l’irrésolution, de la ligne 27 à la fin.
En quoi cet extrait présente-t-il le questionnement moral du personnage principal ?
1er mouvement : la marche révélatrice du dilemme, de la ligne 1 à 9 Le premier mouvement décrit la marche de l’homme comme une action en cours, avec l’emploi du verbe « reprit » et l’adjectif « monotone ». L’imparfait « troublait » et « réveillait » contribue également à montrer cette marche comme récurrente. Le cadre temporel, la nuit, est aussi évoqué avec le champ lexical du sommeil « ses rêves », « réveillait en sursaut », « l’homme endormi ». La deuxième phrase répète le terme de « marche » et le met ainsi en valeur ; l’action produite est antithétique « le soulageait » et « l’enivrait », la locution adverbiale « en même temps » confirme cette opposition. Ensuite, le narrateur introduit sa phrase par une construction impersonnelle, et la réflexion ressemble à une maxime, avec l’emploi du présent de vérité générale (à la différence des temps du passé dans les phrases précédentes et suivantes). L’emploi du pronom « on » témoigne également de cette volonté généralisante. Cette maxime accentue l’idée de mobilité : avec le mot « marche » répété, les verbes « on se remue » et « en se déplaçant » forment le champ lexical du mouvement. Le narrateur inclut le lecteur avec cette phrase à sens universel, et nous rapproche du personnage. La dernière phrase de ce petit paragraphe semble courte, par comparaison avec la précédente. Elle met l’accent sur le fait que Jean Valjean est désorienté et perdu : la négation « il ne savait plus où il en était » confirme son égarement. Ligne 6, les deux phrases de ce paragraphe insistent sur les termes du dilemme, avec la répétition du chiffre « deux », et les expressions duelles « tour à tour » et le comparatif « aussi funestes l’une que l’autre ». Avec ce dernier adjectif, c’est un champ lexical du tragique qui apparaît, associé au terme « il reculait » et l’hyperbole « égale épouvante ». L’exclamation qui suit poursuit ce champ lexical, avec « Quelle fatalité ! », la phrase nominale accentuant encore davantage cette idée. L’insertion du tiret permet de présenter sous forme de discours direct les pensées de Jean Valjean. Ce procédé rapproche encore un peu plus le lecteur de Jean Valjean. La deuxième exclamation évoque le personnage à l’origine du dilemme « Champmathieu », et la confusion funeste entre les deux rapportée à la forme passive « pris pour lui ». La dernière exclamation semble souligner le problème lié à sa fausse identité.
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