L' Ode Valery Larbaud
Commentaire de texte : L' Ode Valery Larbaud. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar 12332112332100 • 2 Décembre 2021 • Commentaire de texte • 3 650 Mots (15 Pages) • 1 719 Vues
BARTHOD 1ère 6
Anthony
Commentaire de texte : L’Ode, Valéry Larbaud
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L’Europe du début du XXème siècle est une Europe profondément désunie, où les diverses alliances et montées nationalistes menacent les idéaux internationalistes qui ont pu émerger durant les décennies précédentes. Une personne en particulier va profondément s’en irriter : Valéry Larbaud, traducteur, poète et autoproclamé « citoyen du monde ». Né en 1881 d’une mère ultra-protectrice, il en tirera très tôt un fort désir de liberté et de voyage, qu’il comblera avec l’imposant héritage parental : sa famille détenant en effet une fortune considérable, il pourra financer de nombreux voyages en train à travers l’Europe, auquel il prendra un goût prononcé, autant par défiance envers son éducation rigide que par cosmopolitisme. Ces voyages, couplés à sa passion profonde pour la littérature, l’amèneront à créer des doubles fictionnels de lui-même, partageant de grandes similarités avec leur créateur : Archibald-Orson Barnabooth, X. M. Tourmier de Zamble… Beaucoup d’alias dont il fera grand usage, les uns répondant aux autres via écrits ou poèmes croisés. Le premier, Barnabooth, sera l’un des plus célèbres : un recueil de poèmes sera notamment publié sous son nom, avec le titre de Poèmes par un riche amateur. Celui-ci sera republié quelques années plus tard, sous le titre de A.O. Barnabooth : ses œuvres complètes, mais signé cette fois de la main de Larbaud. Ce recueil expose les voyages et réflexions de ce véritable dandy en voyage en Europe, décrivant les paysages et personnes rencontrées, et ses points de vue ; cet ouvrage est également celui que nous traiterons ici, plus précisément le poème de l’Ode, dans lequel Barnabooth décrit ses voyages en train, et exprime ce qu’il ressent vis-à-vis de ces moyens de transport novateurs pour l’époque. Dans quelle mesure Larbaud s’inspire-t-il de son amour pour le voyage pour délivrer une réflexion sur la création poétique ? Nous traiterons cela en deux parties. Dans un premier temps, nous déterminerons en quoi cette passion ardente pour l’international engendre un écrit comparable à un spectaculaire carnet de voyage, afin de comprendre comment tout cela s’incarne en une Ode à la modernité, à l’innovation et à la création artistique.[pic 14][pic 15][pic 16][pic 17]
Tout d’abord, nous aborderons en quoi ce poème peut être considéré comme un récit de voyage à part entière. Ce type d’écrit, de toute évidence, comporte diverses descriptions des lieux traversés : et descriptions nous pouvons citer, car elles abondent ici. Barnabooth évoque en effet « la Sibérie et les monts du Samnium / La Castille âpre et sans fleurs, et la mer de Marmara sous une pluie tiède » (l. 18-19), ainsi que « la Bulgarie pleine de roses » (l. 28). D’emblée, nous pouvons remarquer que, même si elles sont multiples, chaque description est très succincte : Larbaud n’entre nullement dans les détails. Nous pourrions même avancer qu’elles sont simplistes : chaque lieu est réduit à son plus simple descriptif, celui qu’en fait l’imaginaire commun. En cela, nous relevons que Larbaud cherche à stimuler l’esprit de son lecteur : en le forçant à retrouver de lui-même l’image qu’il se fait du lieu cité, plutôt qu’en lui proposant une véritable description, le poète implique davantage son lectorat dans son poème, et leur apporte une immersion d’autant plus grande. Cela est appuyé par le fait que les différents éléments s’opposent les uns aux autres : l’antithèse entre « La Castille âpre et sans fleurs » (l.19) et « la mer de Marmara sous une pluie tiède » (l. 19), entre l’aridité et l’humidité, livre une vision encore plus sommaire des destinations et souligne la diversité des lieux traversés. De plus, cette brièveté semble faire écho à la façon dont se déplace Barnabooth : il ne s’arrête pas dans chaque pays pour visiter, et ne peut de fait pas dresser de portrait précis ; à l’inverse, il suit le train, qui pour l’exprimer familièrement « ne fait que passer » ; engendrant des sortes d’instantanés de chaque pays. En outre, la mention de la « Bulgarie » (l. 28) n’est pas anodine : au XXème siècle existe une sorte de fascination pour ces pays de l’Est de l’Europe, encore mal connus du grand public qui en a encore une image quelque peu fantaisiste de merveilleux pays lointain. Dernièrement, Larbaud appuie cette thématique d’appel à l’imagination par l’évocation de voyages presque mythiques en citant d’illustres lignes de chemin de fer, qui, à la façon des divers pays, rappelle à chacun des images plus ou moins idéalisées : sont notamment relevés le « Nord-Express » (l. 12), « l’Orient-Express » (l. 20), le « Sud-Brenner-Bahn » (l. 20). Ces trajets, connus de tous pour traverser l’Europe entière par une myriade de destinations, ont une puissance évocatrice de voyage sans faille, servant l’objectif de Larbaud d’instaurer une atmosphère exotique.
Mais cela n’est pas la seule façon par laquelle Larbaud élabore ici un carnet de voyage : il narre également l’état de bien-être profond dans lequel se trouve le voyageur. Tout d’abord, nous pouvons remarquer comment Barnabooth paraît joyeux, presque euphorique : il « chantonn[e] » (l. 7) dans les couloirs, en « mêlant [sa] voix [aux] cent mille voix [du train] » (l. 9). Cette apparente extase musicale se développe encore davantage, le poème entier paraissant comme un spectacle, premièrement sonore : de nombreux éléments se rapportant au son étant notables. Du « grand bruit » (l. 1), à « l’angoissante musique » (l. 3), en passant par « la belle cantatrice [qui] chantait » (l. 16-17) ou encore l’allitération sur les « vibrantes voix de chanterelle » (l. 22) du train ; tout, en ce voyage, semble incarner harmonie et musicalité, une image parfaite par le surnom « d’Harmonika-Zug » (l. 10) donné au train ; terme allemand pouvant être traduit par « train de l’harmonica », soulignant s’il le fallait encore l’euphonie qui émane de ce trajet. Mais cette spectacularité ne s’arrête pas au domaine sonore : elle est également visuelle. A tous les niveaux, Larbaud dépeint une splendeur inimaginable : pour commencer, par son jeu sur la lumière. Il établit en effet une antithèse entre le « glissement nocturne » (l. 2) du train et « l’Europe illuminée » (l. 2) : cette antithèse se poursuivant par le fait que l’intérieur des wagons-lits était doté d’une lumière plus douce, plus tamisée, appuyant alors le sentiment du voyageur de voir un spectacle lumineux se dérouler sous ses yeux. Cette mention des lumières du train n’est également pas anodine : à cette époque, l’idée d’éclairage domestique fascine encore et évoque un luxe conséquent, thématique poursuivie dans le poème. Larbaud dresse en effet une image d’opulence du train ; via par exemple la paronomase des « portes laquées, aux loquets de cuivre lourd » (l. 5), ou son jeu sur les couleurs : « cuir doré » (l. 4), « portes laquées » (l. 5), « cuivre lourd » (l. 5), « wagons jaunes à lettres d’or » (l. 26). Tout cela montre alors bien ce que Larbaud veut nous présenter : le fait de voyager procure un plaisir intense, une béatitude inouïe. Cela fait parfaitement sens si l’on considère sa façon de penser : internationaliste convaincu et amoureux du voyage, il est parfaitement normal que son double fictionnel Barnabooth adopte la même posture.
Néanmoins, il est à noter qu’ici, Larbaud ne glorifie pas uniquement le voyage : il adresse également un véritable éloge au véhicule dans lequel il l’effectue, c’est-à-dire au train en lui-même. Dans l’Ode, il est en effet hautement considéré, en tant que sorte d’aboutissement du transport de voyage, de perfection absolue : à commencer par sa capacité à faire découvrir au voyageur une grande diversité de paysages. Larbaud évoque premièrement de nombreuses lignes ferroviaires qui parcouraient l’Europe durant l’apogée du voyage en train : « Nord-Express » (l. 20), « Orient-Express » (l. 20). Ces voyages, qui duraient plusieurs jours, traversaient l’Europe entière : l’Orient-Express par exemple, selon son tracé historique de 1883 à 1962, traversait la France par Paris et Strasbourg, passait à Munich, Vienne ou encore Bucarest, avant d’arriver à Istanbul. Ainsi, les passagers pouvaient admirer une immense diversité de paysages européens, depuis le confort de leur siège. Cette aisance de contemplation est évoquée par la syllepse suivante : « Et vous, grandes glaces à travers lesquelles j’ai vu passer la Sibérie et les monts du Samnium » (l. 18) ; le jeu sémantique entre les glaces au sens du gel, évoquant le froid sibérien, et les glaces au sens de verre, se rapportant aux fenêtres du train, souligne bien l’indissociabilité que fait Larbaud du train et du voyage. De plus, l’emploi de la voix passive, par le « j’ai vu passer » (l. 18), explicite que le voyageur n’a aucun effort à fournir, et peut profiter de l’environnement depuis l’intérieur du train. A ce propos, Larbaud glorifie une autre caractéristique du train : l’ambiance entre ses murs, en opposant l’évident voyage extérieur à celui intérieur. En effet, les cabines des wagons-lits étant occupées par des personnes de toutes cultures et nationalités, se forme alors un intéressant microcosme à bord du train : « Derrière les portes laquées […] dorment les millionnaires » (l. 5-6), « la belle cantatrice aux yeux violets chantait dans la cabine à côté » (l. 16-17). Ainsi, le voyageur peut découvrir l’ailleurs simplement en déambulant d’un wagon à l’autre, comme mis en évidence par cette syllepse : « Je parcours en chantonnant tes couloirs / Et je suis ta course vers Vienne et Budapesth (sic) » (l.7-8). Ici, Barnabooth évoque suivre la course du train, aussi bien physiquement en se déplaçant avec lui, que psychologiquement en reproduisant son mouvement : en circulant dans les couloirs, il navigue d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre, à la façon du train, prouvant encore que Larbaud le considère comme le pinacle du transport moderne.
Nous avons donc vu ici de quelle façon Larbaud nous narrait son amour profond pour le voyage : en contant ses trajets en train à la façon d’un carnet de voyage, nous laissant émerveillés devant la diversité des destinations, en nous faisant goûter au bien-être qu’il ressent durant ses excursions, et en justifiant de quelle manière le train est, à ses yeux, le transport le plus parfait. L’œil non averti pourrait penser que là est le seul but du poème ; cependant, une analyse plus poussée nous révèle que ce faisant, Larbaud établit une réflexion étonnamment profonde sur l’innovation et la création poétique dans son ensemble : ce que nous allons voir maintenant.[pic 18][pic 19][pic 20][pic 21][pic 22][pic 23][pic 24][pic 25][pic 26][pic 27][pic 28][pic 29][pic 30][pic 31][pic 32][pic 33][pic 34][pic 35][pic 36][pic 37][pic 38][pic 39][pic 40][pic 41][pic 42][pic 43][pic 44][pic 45][pic 46][pic 47][pic 48][pic 49][pic 50][pic 51][pic 52][pic 53][pic 54][pic 55][pic 56][pic 57][pic 58][pic 59][pic 60][pic 61][pic 62][pic 63][pic 64][pic 65][pic 66][pic 67][pic 68][pic 69][pic 70][pic 71][pic 72][pic 73][pic 74][pic 75][pic 76][pic 77][pic 78][pic 79][pic 80][pic 81]
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