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Juste la fin du monde de Lagarce

Dissertation : Juste la fin du monde de Lagarce. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  25 Avril 2022  •  Dissertation  •  2 640 Mots (11 Pages)  •  1 173 Vues

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                                                                                                                                      04/11/21    

Dissertation Français  La pièce de Jean-Luc Lagarce Juste la fin du monde est-elle uniquement marquée par l’échec ?

            L’œuvre Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce présente les caractéristiques d’une pièce placée sous le signe de l’échec. Tout d’abord, la pièce est marquée par l’échec de la parole, où la communication entre chaque individu de la famille en devient impossible et même inaccessible. En effet, pour tous les personnages sans exception, tout ce qui doit être dit n’est jamais dit, allant d’une simple banalité jusqu’à l’annonce de la mort de Louis, nœud de l’intrigue. Tout est passé sous silence, supposé, suggéré mais finalement on parle toujours sans jamais vraiment dire. En particulier, le retour de Louis dans sa famille entraine et provoque certaines situations où l’impossibilité à communiquer et l’impossibilité à se saisir du langage comme on le voudrait est au cœur des dialogues familiaux, notamment dans la première scène. Les retrouvailles familiales, gênées et maladroites, montrent une certaine et grande vacuité du langage relationnel. Tous préfèrent se réfugier derrière un langage social : Louis use de phrases toutes faites, Suzanne de clichés sur les retrouvailles et la mère pose des questions plus qu’évidentes comme pour combler le vide de la conversation. En effet le discours se corrige au fur et à mesure, se nuance en permanence, le rythme en est saccadé. Un dialogue bâti sur le ressassement, sur de nombreuses répétitions et reprises, comme au moment des présentations prononcées par Suzanne: “C’est Catherine. Elle est Catherine. Catherine c’est Louis. Voilà Louis. Catherine”. Par ailleurs, la communication est sans cesse remise en question, entre autre dans la même scène, les paroles de Suzanne sont censurées par Antoine. Le procédé de l’épanorthose est aussi lui très souvent mit en lumière et souligne à nouveau le caractère hésitant des paroles prononcées. Egalement, la scène trois, de la première partie, scène du soliloque de Suzanne, est un passage clé illustrateur de l’échec de la parole. En effet Suzanne souhaite exprimer des reproches, son incompréhension face à l’absence prolongée de Louis, et une forme d’admiration pour son frère mais elle se heurte à la difficulté de dire à l’autre, Louis, ce qu’elle voudrait exprimer. On est face à une langue qui hésite et paradoxalement ces hésitations traduisent une volonté de dire avec justesse, soit la quête exceptionnelle du mot exact: “comment-est ce qu’on dit”. Suzanne sans doute émue par le retour de son frère, et précautionneuse de ne pas blesser, produit un discours tissé d’incises et hétérogène mélangeant mots familiers et soutenus, savants ne faisant pas partie de son vocabulaire. Ces paroles suggèrent un manque de maitrise du langage qui crée un faussé d’incompréhension, un écart culturel et social, entre Suzanne et Louis et même entre tous les membres de la famille et Louis. La parole, dans la pièce échappe donc à tous les personnages, et fait l’objet d’un échec.      

          Si la parole suffit à faire de Juste la fin du monde une pièce basée sur l’échec, le renouement familial tenu en échec est lui aussi très significatif. En effet, Louis est revenu auprès des siens après de longues années d’absence, que la famille entière a mal vécu. Suzanne rêve d’un frère présent et aimant, Antoine, personnage empli de rancœur, attend des réponses de son frère, quant à la mère, celle-ci souffrante du départ brutal de Louis plus jeune, veut de lui qu’il reprenne sa place d’ainé au sein du cercle familial. Mais, malheureusement et tragiquement, les nombreuses tentatives de renouement, rapprochement, et même d’aveu d’affection se verront pour la plupart rejetées et déclinées par la famille, qui a trop à reprocher à Louis. Louis encaisse les reproches uns à uns sans y répondre, il parle très peu sauf quand il se retrouve en duo avec l’un des membres, où il lui plus facile de recréer du lien social, familial, fraternel. Notamment, dans la scène 11, de la première partie, où Louis, malgré des rapports tendus et conflictuels avec son frère Antoine, tente renouer le lien en abordant une conversation banale et anodine de son voyage en train. Antoine apparait comme étant méfiant, jaloux et agressif face à un Louis qui est, lui, prudent, souciant, peureux de déranger, de s’imposer et qui culpabilise. Le contraste est fort entre les deux frères rivaux, d’un côté la paix prônée par Louis face au conflit voulu par Antoine. Par conséquent, Louis renonce au renouement et fait le deuil de sa relation fraternelle. Et cet échec est d’autant plus frappant lorsque les tensions familiales éclatent véritablement, dans la seconde partie de la pièce, scène deux et trois. Le décalage entre l’intention de paix et la colère du discours d’Antoine y est à nouveau remarquable. Et par lien de cause à effet, la parole en est le responsable: la parole veut unir, réconcilier mais elle divise finalement car l’incompréhension règne. Le dialogue devient un lieu d’affrontement dans la scène. La rivalité fraternelle éclate de façon irréconciable, et met fin à toute possibilité de rapprochement. Antoine révèle mésentente qui a existé entre eux et qui perdure toujours aujourd’hui. La querelle s’envenime au point d’aborder le meurtre symbolique, le fratricide tragique d’Abel de Caïn dans l’ancien testament. Les deux frères ne peuvent plus coexister. L’échec du renouement marque tragiquement la pièce, lui aussi.

        Enfin, la violence de ces échecs rend impossible toute annonce de Louis à sa famille, précipitant la chute de l’intrigue, de la pièce. En effet, Louis revient auprès de sa famille dans l’unique but de leur annoncer sa maladie, sa mort prochaine. Pour de multiples raisons, Louis ne révèle pas explicitement sa mort à ses proches, du moins eux ne l’entendent pas. Peut-être choisit-il de taire sa mort, pour protéger sa famille déjà trop souffrante, pour mieux les écouter, pour oublier, nommer les choses c’est les faire exister, parce qu’il attend le bon moment, parce qu’il a terriblement peur de leur réaction? Ou bien peut-être est-il dans l’incapacité totale de dire : il n’arrive pas à formuler, exprimer, il lui est difficile d’insérer de vrais paroles au milieu d’un discours uniquement social, et de rompre le flot de paroles des autres ? Le poids de la culpabilité et l’oppression familiale lui est sans doute insurmontable ? Peut-être que personne ne lui pose des questions, personne ne s’intéresse vraiment à ce qu’il a dire ? La corrélation de ces facteurs rend la tâche impossible, et Lagarce ne manque pas de tenir les lecteurs pour témoins de la mort de Louis, tout au long de l’œuvre. Même si l’écriture semble s’égrener sur la page, les paroles de Louis sont toutes lourdes de sens. Pour nous lecteur, en filigrane, la mort inéluctable se cache et suinte derrière chaque mots mais les personnages, eux, n’ont pas accès aux paroles métaphoriques de Louis. Ils ne peuvent et ne veulent les entendre. Nombreuses sont les phrases symbolisant l’annonce de la mort : « j’ai renoncé en cours de route », « ce que je voulais dire » « j’attendais le moment décent » ou encore « j’ai pensé que tu aurais pu être content que je te le dise, ou de le savoir, heureux de le savoir ». Et notamment l’épilogue, le dernier monologue de Louis marque l’apogée de l’échec de dire sa mort et des regrets. Ce sont ces dernières paroles, son testament, une manière d’attirer l’attention sur la mort. L’anecdote lyrique d’une marche nocturne est en fait la mise en scène de la mort et laisse paraître une grande solitude. Louis affronte seul la mort. Et le « grand et beau cri » de soulagement, de libération que Louis souhaite pousser symbolise la mort jamais révélée. Mais à nouveau l’espoir se termine par une déception, Louis ne dit pas, ne crie pas, Louis renonce, abandonne. En fait, le passage sous-entend lourdement le regret à l’image de toute la pièce constituée d’une suite d’occasions manquées comme l’appuie très fortement la toute dernière parole de l’œuvre: « Ce sont des oublis comme celui-là que je regretterai ».  L’échec de la parole, du renouement familial et l’échec de dire la mort, de l’intrigue font donc de Juste la fin du monde de Lagarce une pièce marquée par l’échec.

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