INITIATION A LA DISSERTATION
Dissertation : INITIATION A LA DISSERTATION. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Benjamin HERVIEU • 1 Octobre 2022 • Dissertation • 4 185 Mots (17 Pages) • 442 Vues
SUJET : « Un grand roman, c’est toujours, en même temps, l’ébauche désespérée d’un Jugement dernier. Mais le romancier ne peut pas mettre à sa droite les justes et à sa gauche les réprouvés. Il suspend son jugement à l’instant même où celui-ci devrait trancher. S’il rend un jugement, c’est un jugement sans verdict. » (Claude Roy, Défense de la littérature, Gallimard, 1968, p. 121-122.)
Vous discuterez cette proposition, en vous appuyant plus particulièrement sur les œuvres au programme.
AU BROUILLON :
- Situation de l’extrait. On ne peut exiger de vous que vous connaissiez l’œuvre dont la citation est extraite, pas plus que l’auteur. Mais il peut arriver que vous sachiez quelque chose, ou que les éléments (titre de l’œuvre, date, etc.) puissent être signifiants par rapport au sujet. Ici, on peut juste dire que cette affirmation s’intègre manifestement dans un plaidoyer pour la littérature, d’autant qu’elle témoigne d’une certaine ambition, et même une grande ambition pour le roman.
- Analyse du sujet :
« un grand roman » : « grand », en quoi ? par son nombre de pages, par son nombre de personnages, par l’ampleur de la peinture sociale sur le plan géographique, temporel. On peut ainsi penser aux « grands romans » ou cycle romanesque du 19e-20e siècle qui est la grande période du roman (dans la veine réaliste) : la Comédie Humaine de Balzac (d’où l’importance d’en avoir lu au moins deux dans votre vie…), les Rougon-Macquart de Zola, mais aussi À la Recherche du temps perdu de Proust, Voyage au bout de la nuit de Céline ; on peut aussi évoquer en littérature étrangère : Les Frères Karamazov ou Crime et Châtiment de Dostoïevski, Guerre et Paix, Anna Karénine, Résurrection de Tolstoï, La Montagne magique de Thomas Mann… Est-ce une caractéristique des grands romans ou est-ce une condition nécessaire pour être un grand roman d’être « une ébauche désespérée de Jugement dernier » ?
« Jugement dernier » (voir citations et illustrations) : Biblique, renvoie à l’Apocalypse, certes c’est la fin du monde mais d’abord, étymologiquement, Apocalypse signifie révélation. C’est le moment de vérité, où le voile tombe. Notez que « verdict », étymologiquement, renvoie à la même chose (verum-dicere) : dire la vérité. L’expression semble mettre le romancier en position de Dieu créateur, démiurge, sur son trône, qui séparerait les personnages en justes et en réprouvés, à droite et à gauche – ou plutôt, qui réunirait l’humanité, et arrêterait son geste avant de « trancher ». Le jugement dernier est le moment où même les morts sortent de leur terre, où il y a résurrection et où il y a un nouveau partage selon ce qui est écrit dans le livre... C’est le dernier mot, moment où l’on sait ou non si l’on avait raison ou tort de vivre comme on a vécu. Le roman serait comme grand récit sécularisé, comme un procès de l’humanité entière. Quand on voit les illustrations de l’Apocalypse, on voit que ces tableaux sont des tentatives pour englober l’humanité, pour donner à voir l’humanité dans son ensemble, dans sa diversité, dans ses contrastes, donnant à voir le bien et le mal. Pourquoi faire appel à ce modèle chrétien ? Est-ce à dire qu’il y aurait dans l’écriture de roman un désir de justice, inassouvi et désespéré ? Noter que le sujet parle de « jugement dernier » et non d’ « apocalypse » car la connotation de « fin du monde » n’est pas celle souhaitée. Ce sont les deux termes « jugement » et « dernier », ultime, qui importent.
« ébauche » : inachevé, esquisse, grandes lignes, l’expression renvoie à l’art pictural, de sorte qu’on est encore plus autorisé à penser aux illustrations de Jugement dernier / le terme rejoint un autre du sujet : « suspend ». Le sujet nous dit que le « grand roman » « tend » vers le modèle du Jugement dernier, mais ne le réalise pas. Il ne fait que le laisser entrevoir, comme une ébauche.
« désespérée » : pourquoi est-ce « désespéré » ? Parce que l’entreprise est impossible ? ou parce qu’elle est désespérante, devant une humanité dont on désespère ? Et qu’est-ce qui est impossible ? Pas de juger manifestement, car nous jugeons tout le temps, à l’emporte-pièce même. Mais de juger selon la vérité, de manière absolue et définitive, de faire « l’ultime jugement ». Mais aussi l’entreprise est-elle désirable ? Pourquoi un tel désir de justice ? ce serait chercher la voie de Dieu. Désir de vérité, désir de fin mot, désir de révélation, d’absolu ? Mais on pourrait dire aussi que ce désir de jugement est cruel : les apocalypses sont cruelles, font peur. La liberté totale du démiurge s’oppose à la conscience morale d’une insuffisance.
« suspendre son jugement » ou « un jugement sans verdict » : expression pour le moins paradoxale. Peut-on imaginer un « jugement sans verdict » ? Et que peut signifier « juger » ses personnages et l’humanité en général lorsqu’on est romancier ? Sous quelle forme se donne ce jugement ?
« le romancier » : si c’est lui qui juge mais suspend son jugement au moment de trancher, quel rôle a le lecteur dans ce procès ?
PROBLEMATIQUE : Nous nous demanderons si l’ambition du roman est effectivement de juger l’humanité.
PLAN :
Dans un premier temps, nous verrons que le roman apparaît d’abord à la fois comme un genre littéraire propice à faire de l’auteur un juge des actions humaines, et inapte au jugement absolu et dogmatique. De sorte que nous nous demanderons dans un second temps si le romancier a seulement la possibilité, voire le désir, de sauver ou de condamner ses personnages. Enfin, nous nous demanderons si ce n’est finalement pas au lecteur d’exercer son jugement au cours et à la fin de la lecture pour en décider.
- Le roman, un genre littéraire propice au jugement des actions humaines, mais inapte au jugement dogmatique
- Une ambition totalisante et récapitulative du roman
- Il y a une ambition philosophique dans la poétique selon Aristote, une tentative pour donner sens au particulier, le roman comme l’épopée et comme le théâtre est un agencement des faits, il unifie la diversité du réel, du hasard, en des systèmes de causalité. Il impute dès lors mécaniquement à chaque personnage des responsabilités ou au contraire l’en décharge. Cependant ce n’est pas propre au roman, le théâtre le fait aussi.
- Mais le roman peut être comparée à l’épopée comme imitation indirecte, via le point de vue d’un narrateur. Le roman est l’héritier de l’épopée. C’est le genre qui peut se permettre de représenter un temps long, donc toute une vie, donc faire le bilan d’une vie d’un personnage. Que l’on pense à nos personnages Mme Bovary, Charles Bovary, Manon Lescaut, Julien, nous les suivons jusqu’à la mort, et une mort qui laisse une certaine impression et semble avoir une signification parabolique. Le roman est héritier du genre des confessions et de l’hagiographie chrétienne : le roman comme récit de vie s’interroge sur le sens d’une vie et la part de culpabilité du personnage : dans quelle mesure Emma est responsable de son malheur et de sa mort ?
- Le roman comme organisation vraisemblable et nécessaire des faits imite la providence et les leçons qu’on peut en tirer. L’organisation des faits selon la vraisemblance revient à satisfaire chez le lecteur un principe de rétribution, à savoir qu’aucune mauvaise action ne reste impunie, même indirectement, pas forcément par la justice humaine, mais par une suite de malheurs. À l’inverse, s’il y a disproportion, cela peut choquer la vraisemblance.
Par exemple, dans Manon Lescaut, la suite des malheurs du pauvre chevalier Des Grieux est très répétitive, le schéma a tendance à mettre à mal la vraisemblance elle-même – on se demande comment le chevalier peut encore supporter de telles perfidies et s’enferrer dans son malheur – et à mettre en évidence la visée édifiante du texte, pour lequel on a de moins en moins une attente réaliste (sur le plan psychologique) et dont on perçoit la nature allégorique.
Derrière l’agencement des faits, il y a un système métaphysique sous-jacent. Par exemple, chez Zola, l’hérédité, la tare héréditaire, sert de causalité. Et dans La Bête humaine, Zola fait accepter la pulsion meurtrière de Lantier comme une fatalité de son caractère, de sorte qu’il est exonéré d’une part de responsabilité. Dans Manon Lescaut, le système métaphysique sous-jacent est l’augustinisme opposant l’amour de Dieu et l’amour de la créature, où la mort de la créature peut mener à Dieu.
...