"Des Cannibales" de Montaigne
Commentaire de texte : "Des Cannibales" de Montaigne. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar faresteeler76 • 1 Février 2022 • Commentaire de texte • 2 178 Mots (9 Pages) • 518 Vues
Montaigne est un écrivain philosophe du XVIe siècle. Il commence sa carrière en tant que magistrat mais se retire quelques années plus tard chez lui pour se consacrer à la littérature. À la fin d’un XVIe siècle mouvementé, l’humanisme est mis à mal par les guerres de religion. Il entame la rédaction des essais où il parle de la découverte du Nouveau Monde. Ainsi, dans le premier livre des Essais, paru en 1580 (première édition), l’auteur s’interroge sur le regard que l’Europe porte sur les indigènes du Nouveau Monde, souvent qualifiés de « sauvages » ou de « barbares ».
Dans le chapitre "Des cannibales", il commence par introduire le terme par l'anecdote du roi Pyrrhus (l.1-10), ensuite, il se livre à une digression méthodologique pour revenir à la question de l'altérité (120). Dans cet extrait, Montaigne pousse le lecteur à redéfinir les notions de sauvage et de barbare.
Comment Montaigne remet-il en cause l’ethnocentrisme européen ?
Le texte suit 3 mouvements principaux, révélateurs d’une démonstration ferme
– dans les trois premières phrases,
– la suite du premier paragraphe développe l’opposition entre nature et culture, qui se fait aux dépens de la complexité de la culture ;
– dans le second paragraphe, le tableau des « cannibales » vient confirmer la proposition théorique en soutenant la supériorité de l’état de nature sur la culture. Aussi la structure antithétique est-elle très ferme, soutenue par l’opposition dialectique entre nature et culture, entre les autres et les occidentaux.
Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté : sinon que chacun appelle barbarie, ce qui n'est pas de son usage.
Dès le début, Montaigne énonce la thèse qu’il va défendre : « il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté : sinon que chacun appelle barbarie, ce qui n’est pas de son usage ». L’essayiste refuse donc d’établir une hiérarchie entre Européens et Indiens. Le connecteur logique or témoigne de la logique d’opposition. La remise en question des valeurs est la conséquence d’une attitude humaniste : elle découle du développement d’un esprit critique guidé par le libre arbitre. Il y a une apparente contradiction dans le fait que cette attitude va jusqu’à mettre en doute la confiance dans la culture de la société de son temps. Ainsi, par une mise en œuvre et une maîtrise rigoureuse des concepts humanistes, Montaigne en balaie les certitudes et ouvre l’ère du doute. Il réfute en effet le préjugé européen : « il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation ».
Le « colloque » avec le lecteur : l’intérêt pour les Indiens cannibales est d’autant plus vif qu’il s’inscrit dans la conversation que Montaigne instaure avec son lecteur : avec les Essais, il renouvelle la relation entre l’auteur et son lecteur, l’écriture instaurant un « colloque ». Ainsi, la stimulation du lecteur est constante et le discours s’inscrit dans une conversation libre, comme le signale l’expression : « pour revenir à mon propos ». Montaigne aime les digressions que permet le développement d’une conversation entre interlocuteurs de confiance : l’essai est une forme libre, qui s’écrit « à sauts et à gambades ». Il fait aussi intervenir d’autres discours que le sien, invitant dans cette conversation des interlocuteurs absents : « à ce qu’on m’en a rapporté ». Cette implication constante du lecteur se manifeste par l’usage de la première personne du pluriel, qui associe l’auteur et le lecteur : « nous ». Ces différentes caractéristiques confirment la parenté entre l’essai et l’épistolaire, son ancêtre : l’auteur s’inscrit dans un dialogue ; le destinataire est un interlocuteur potentiel ; la communication littéraire s’établit sur un mode d’égalité. Ces trois données fondent l’essai ; elles en assurent également l’efficacité pédagogique.
Montaigne remet en cause le langage en redéfinissant le terme « sauvage ». L’auteur, en excellent latiniste, joue ici habilement sur le champ sémantique de ce mot : sauvage vient du latin silvaticus, « fait pour la forêt », « à l’état de nature ». De même, l’adjectif barbare (qui vient du grec barbaros désignant les non-Grecs, ceux dont on ne comprend pas le langage) donne lieu à une confrontation de cultures, par une nouvelle redéfinition usante elle aussi du champ sémantique du mot. Le thème culturel est donc considéré dans une concurrence avec celui de la nature : cette confrontation le rend problématique, au sens où il n’est plus un point de repère fixe, mais un élément qui suscite le questionnement. On s’aperçoit d’ailleurs que l’auteur n’hésite pas à remettre en cause l’outil de son discours, en proposant de redéfinir les mots courants ; la répétition du verbe appeler dans le sens de « nommer », « désigner » souligne cette contestation du langage.
Comme de vrai nous n'avons autre mire [1] de la vérité, et de la raison, que l'exemple et idée des opinions et usances [2] du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police [3], le parfait et accompli usage de toutes choses.
Il développe sa thèse en dénonçant l’ethnocentrisme européen dans lequel il s’inclut. L’emploi du rythme ternaire montre l’ironie de la répétition qui laisse entendre que la culture européenne n’est pas parfaite pour pousser le lecteur à remettre en cause ses préjugés.
Ils sont sauvages de même que nous appelons sauvages les fruits, que nature de soi et de son progrès ordinaire a produits : là où à la vérité ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice, et détournés de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages.
Il aboutit ainsi à une redéfinition du mot sauvage. Pour preuve, il recourt à une antanaclase, la répétition d’un mot avec un sens différent de façon à bousculer les assurances occidentales.
Montaigne oppose les deux univers. L’emploi du rythme binaire renforce l’antithèse : « avons altérés par notre artifice, et détournés de l’ordre commun »,
L’affirmation de la subjectivité n’exclut pas la fermeté du ton. Montaigne adopte le ton de la certitude. Les modalisateurs soulignent la certitude de l’auteur : « Comme de vrai » ; « à la vérité », « toujours ». Montaigne utilise volontiers l’emphase, grâce à :
– des tours présentatifs : « ce sont
...