Crapaud
Commentaire de texte : Crapaud. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar amelie savary • 6 Décembre 2022 • Commentaire de texte • 4 066 Mots (17 Pages) • 308 Vues
Séquence 1, séance 5
Lecture linéaire du texte 1 (texte du parcours) : « Le Crapaud », Les Amours jaunes, Tristan Corbière, 1873
Texte étudié :
Le crapaud
Un chant dans une nuit sans air...
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.
... Un chant ; comme un écho, tout vif
5 Enterré, là, sous le massif...
- Ca se tait : Viens, c'est là, dans l'ombre...
- Un crapaud! - Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
10 Rossignol de la boue... - Horreur ! -
... Il chante. - Horreur !! - Horreur pourquoi ?
Vois-tu pas son oeil de lumière...
Non : il s'en va, froid, sous sa pierre.
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15 Bonsoir-ce crapaud-là c'est moi.
Ce soir, 20 juillet.
Corbière, Amours Jaunes, 1873
Introduction
Eléments de contexte
Tristan Corbière, être contrefait et maladif mort prématurément à l’âge de trente ans, incarne avec Rimbaud et Mallarmé notamment, l’un de ceux que Verlaine dans son essai de 1884 appellera les «poètes maudits». Ses déboires amoureux lui inspireront Les Amours jaunes, recueil au titre ironique dans lequel il pratique l'autodérision, cultivant le goût du paradoxe et se référant de manière parodique aux Amours célèbres de Ronsard.
Dans son poème le plus célèbre intitulé «Le crapaud», Corbière utilise en la retravaillant et en la désarticulant la forme du sonnet remis au goût du jour par Baudelaire. Il s'agit en effet d'un sonnet inversé, composé de deux tercets et de deux quatrains, à la syntaxe disloquée et au sens très hermétique. Il y relate une promenade romantique lors d’une soirée d’été qui va tourner court après la découverte d’un crapaud. Le titre même du sonnet, « le crapaud » est une manière de tourner en dérision l'esthétique classique de la poésie. Dans la Légende des siècles, le poète romantique Victor Hugo a déjà médité sur le symbole de laideur que peut représenter le crapaud.
Problématique
Comment dans ce sonnet surprenant Corbière, tout en se peignant sous les traits d’un animal repoussant, donne-t-il une interprétation emprunte de dérision du poète maudit ?
Ou : Quel sens a l’analogie du poète et du crapaud, animal symbolisant la laideur ?
Annonce des mouvements du texte
Après avoir étudié l’évocation stylisée d’une nuit estivale des vers 1 à 5, puis avoir analysé le dialogue elliptique évoquant le découverte d’un crapaud des vers 6 à 13, nous observerons comment la pointe donne tout son sens au poème, à parti du vers 13.
Lecture expressive
Lecture linéaire
Mouvement 1
Un chant dans une nuit sans air... |
La première strophe est une évocation stylisée d'une nuit au clair de lune un soir d'été, soutenue par le champ lexical : « nuit » v.1, « lune », v.2, « sombre » v.3. Le premier élément qui surprend, est l'utilisation de l'octosyllabe, un vers bref peu caractéristique du sonnet, généralement rédigé en décasyllabe ou en alexandrin (Ronsard / Du Bellay / Baudelaire)
Au vers 1, la phrase nominale surprend également par son style elliptique, presque télégraphique , qui s'oppose à l'attendu esthétique et poétique d'un poème à la syntaxe réfléchie et correctement développée. Ce vers donne le ton général du poème : ce sonnet est un sonnet bouleversé. La première strophe met en place un décor et s'attache au sens de la vue, à travers la métaphore de la lune, vers 2 : « plaque en métal clair », qui présente une vision aplanie en deux dimensions de l'espace. Le volume disparaît et une succession de plans s'y substitue. En effet, la lune est au premier plan, et permet, par un lien de causalité non exprimé, de décrire, dans une seconde métaphore, le paysage environnant, au second plan : « les découpures du vert sombre » v.3. Il s'agit ici d'une description de la nature environnante, comme à contre lune (contre jour nocturne). La nature n'y est pas du tout exaltée, mais plutôt stylisée. En effet, la métaphore de la lune la présente comme un élément d'orfèvrerie, un bijou, ou une médaille, image très liée à la poésie parnassienne (Théophile Gautier, « L'art »). Cette présentation du paysage n'est pas non plus sans rappeler celle des estampes japonaises, très en vogue à cette époque.
Cependant, dans ce premier tercet le poète commence son contre sonnet avec l'expression « un chant » v.1, cette position d'accroche signifiant qu'il s'agit d'un élément essentiel du poème. Il faut donc considérer la description visuelle du décor comme moins importante que sa dimension sonore. Mélodie et rythmique étant des caractéristiques essentielles en poésie, Corbière invite le lecteur à s'interroger sur ce chant énigmatique, à l'origine inconnue. L'anaphore de l'expression « Un chant » v.4, à la strophe 2, en confirme le rôle central dans le texte. D'une part, cette anaphore matérialise l'écho, exprimé dans la comparaison « comme un écho » v.4, d'autre part, les points de suspension des vers 1 et 4 miment également syntaxiquement la suspension du chant, son intermittence ou sa reprise. Ainsi, après avoir proposé une description très large, comme un panorama, dans la strophe 1, le poète focalise-t-il sa vision sur la nature environnante, et cherche-t-il l'origine de ce chant. Le lecteur semble alors prendre la place des deux interlocuteurs qui se promènent, ceux qui vont prendre la parole dans la suite du texte et dont la présence se manifeste à travers l’adverbe « là » v.5 (« là » est un adverbe qui permet de désigner un élément dans l'espace, et donc, lié à une situation d'énonciation). L'origine du chant, « sous le massif », repris par le participe passé « enterré » v.5 permet de développer et de soutenir l'hypothèse qu'un des thèmes du texte est la dualité et l'opposition. En effet, le « vif » v.4, qui signifie étymologiquement vivant, s'oppose à « enterré » v.5, comme le « clair » v.2, s'oppose au « sombre » v.3, et le « chant » v.1 et 4 s'oppose au « Ca se tait » v.6. Corbière est donc en train d'établir un réseau de correspondances positives : le chant, la clarté et le fait d'être vivant, qu'il confronte à un réseau négatif : le silence, l'obscurité, la mort. On peut alors percevoir la parole poétique, chantée, comme source de vie pour le poète qui s'oppose au silence du poète, à sa parole tue, synonyme de mort. Ainsi, les vers 5 et 6 sont dominés par un caractère sous-terrain : « enterré » v.5, « sous » v.5, « ombre » v.6 qui suscite une certaine frayeur en évoquant plus ou moins explicitement la notion de mort.
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