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Analyse de l'incipit La Prose du Transsibérien Blaise Cendrars

Commentaire de texte : Analyse de l'incipit La Prose du Transsibérien Blaise Cendrars. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  26 Novembre 2022  •  Commentaire de texte  •  1 596 Mots (7 Pages)  •  1 606 Vues

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Séance 3 : Lecture analytique de l’incipit du poème (v. 1 à 50)

Introduction : Rédigé en 1912, ce long poème aux accents apparemment autobiographiques raconte le voyage d’un narrateur-poète empruntant la voie du Transsibérien au début du XXème siècle, le chemin de fer traversant la Russie d’Ouest en Est, jusqu’aux confins de la Sibérie. Train de luxe légendaire, le Transsibérien voit défiler les paysages les plus vastes et sauvages de l’Europe continentale et de l’Asie. Frédéric Sauser alias Blaise Cendrars fut en effet envoyé à l’âge de 16 ans par ses parents en Russie pour y côtoyer des horlogers et y apprendre ce métier qu’il n’exercera pourtant jamais. Mais a-t-il réellement voyagé à bord de ce train ? Peu importe car cette expérience est avant tout une rêverie poétique, en quête de découvertes, de liberté, d’amour mais aussi d’un destin d’écrivain. Rythme du train, rythme du voyage, rythme du poème : ce  texte est un chant à la gloire des artistes, il est d’ailleurs dédicacé « aux musiciens ».

  1. La dimension personnelle du poème
  1. étude de l’énonciation
  • les marques de l’énonciation sont celles de la P1 : « Je » (anaphorique aux v. 2, 3 et 4), « mon », « ma » sont les pronoms personnels relevés dès les premiers vers.
  • Leur présence témoigne d’une volonté de faire référence à une expérience personnelle.
  • Le lyrisme (expression de sentiments personnels) y est d’ailleurs appuyé pour rendre compte du regard gourmand et ardent du poète adolescent (on pense à Rimbaud dans « Le Bateau ivre » ou de « Ma Bohême » ….) : « J’avais soif », « J’avais faim » exprimant un appétit insatiable pour l’aventure et la découverte d’ailleurs, de pays, de cultures, d’amours : « Je n’avais pas assez » + « tous », « toutes » (cf. strophe 3) répétés plusieurs fois.
  1. un monde d’émotions et de sensations
  • l’intensité lyrique des émotions propre à la jeunesse est également traduite par le champ lexical du feu : « adolescence ardente », « mon cœur brûlait », mes yeux éclairaient » (strophe 2) ; fougue de l’adolescent avide d’aventures et de sensations. Le jeune homme veut « se nourrir de flammes » à la strophe 4
  • des sensations toutes sollicitées, en éveil : la vue (« mes yeux éclairaient » et « le soleil qui se couche » créant un flamboiement de couleurs fauves… comme les couleurs qu’utilise Sonia Delaunay pour illustrer ce poème, d’ailleurs le couple Delaunay fait partie de ce courant pictural du début du XXème siècle appelé « le Fauvisme »),  l’ouïe (évocation des « mille et trois clochers » et des « sept gares »), et même le goût (le Kremlin est un « gâteau croustillé d’or », les cathédrales « des amandes blanches »,  recouvertes de « l’or mielleux » des cloches…)
  1. un récit autobiographique
  • l’emploi de l’imparfait, temps du récit dès les premiers vers, associé à l’expression légendaire, formule proche de celle des contes « En ce temps-là… » nous renvoient à des émotions liées à la mémoire, au passé et au temps de la jeunesse : « adolescence », « enfance », « naissance »
  • le champ lexical du souvenir : « je ne me souvenais », « j’avais à peine seize ans », « j’étais déjà », « les dernières réminiscences »… nous invite à un voyage dans le passé du poète
  • les toponymes (noms de lieux) renvoient à une réalité vécue : « Moscou », le « Kremlin », la « Place Rouge » ainsi qu’à un poème publié en Russie et longtemps considéré comme perdu voire n’ayant jamais existé jusqu’à ce qu’on en retrouve un exemplaire en Bulgarie en 1995 : « La Légende de Novgorode ». Ce serait la première œuvre publiée par Cendrars en 1907, en Russie.
  • Les références décrivant ces lieux sont précises et chiffrées comme la périphrase désignant Moscou : « ville des mille et trois clochers et des sept gares »
  • Enfin, en arrière-plan de ce récit, Cendrars place un contexte historique réel :
  • la Révolution russe de 1905 (strophe 3 : « fournaise de glaives », « la venue du Grand Christ rouge de la révolution russe », qui fait référence à l’épisode du « Dimanche Rouge » à Saint-Pétersbourg, journée de révolte contre le Tsar Nicolas II, et menée par le pope orthodoxe Gapone, dispersée dans le sang par l’armée impériale… plus tard, le « Grand Christ Rouge ce sera aussi Che Guevara pendant la Révolution cubaine des années 50…  et l’avènement du Communisme venu de Russie)
  • la Guerre russo-japonaise qui opposa ces deux impérialismes entre 1904 et 1905 ; le Japon remporta une partie de la Mandchourie et l’île de Sakhaline
  1. Une rêverie poétique
  1. les rêveries d’un adolescent
  • Cendrars indique l’âge précis de son départ : « J’avais à peine 16 ans », et l’éloignement d’avec la famille n’en est que plus fort : « à 16000 lieues du lieu de ma naissance », et insiste sur sa jeunesse en faisant rimer les trois termes « adolescence », « enfance », « naissance ». L’adolescence apparaît, surtout à la strophe 3 comme l’âge des découvertes et des expériences de l’Imaginaire : vivacité, énergie, « feu » qui brûle dans une envie d’embrasser le Monde entier et de faire toutes les expériences amoureuses : « toutes les femmes », « Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui m’affolent ».
  • La transfiguration du réel : le jeune garçon s’émerveille du monde et perçoit le monde à travers des yeux d’enfant : le Kremlin est une grosse pâtisserie (métaphore), souvenir de la douceur des sucreries mais aussi image d’un appétit de vivre, d’une gourmandise pour la découverte du monde.
  • Les références religieuses et antiques : « temple d’Ephèse » ou d’Artémis en Grèce, une des sept merveilles du Monde, les « voies anciennes » et les « écritures cunéiformes » (premières formes d’écriture attestées dans le Golfe arabo-persique aux environs de 3400 av JC)  témoignent d’une envie de partir à la découverte des merveilles du monde et de son histoire antique
  1. Un voyage réel et rêvé : à la manière d’un Baudelaire dans son « Invitation au voyage », Cendrars invite le lecteur à un voyage vers la liberté :
  • « mes mains s’envolaient » (référence aussi au poème « L’Albatros » de Baudelaire), à un voyage en mer (cf. Strophe 2) et en train, annoncé dans la strophe 4 : « la ville aux sept gares » suggère plusieurs destinations possibles, associé au champ lexical du départ en train : « partir » X2, « billets », « s’en allaient » 
  1. une réflexion sur la poésie et une quête poétique
  • dès les premiers vers, une mise en abîme du poète qui parle de lui-même et de son art : « J’étais déjà fort mauvais poète », « je ne savais pas ». Il donne même la fonction du poète : « aller jusqu’au bout » en portant sur son art et sur lui-même un jugement sévère. Le voyage doit lui apprendre cette détermination, ce courage, sera son inspiration.
  • La référence implicite à Rimbaud, autre poète de 16 ans : cf. la fugue de Rimbaud racontée dans « Le Bateau ivre » et l’évocation des « voies anciennes » empruntées avant lui par d’autres poètes. Cependant, on voit aussi ici une recherche de modernité :
  • son poème est écrit en prose (et non classiquement en vers)
  • sa poésie est rythmée comme de la musique, dédié « aux musiciens » (poursuivant cette recherche d’un style nouveau en 1924, Cendrars va publier un recueil intitulé « Kodak », du nom de la firme photographique, constitué de poèmes « documentaires » à partir de « choses vues », comme des instantanés photographiques ou cinématographiques, des paysages, parfois surréalistes, et à qui l’écriture hip-hop doit beaucoup : voir cet extrait de « Menus » à la fin du livre :

« Ailerons de requin confits dans la saumure
Jeunes chiens mort-nés préparés au miel
Vin de riz aux violettes
Crème au cocon de vers à soie
Vers de terre salées et alcool de Kawa
Confiture d’algues marines »

  • son écriture est peuplée d’images surréalistes (courant artistique du début du XXème siècle qui introduit l’Inconscient dans le processus de création ; en peinture : Salvador Dali, par exemple…) : ici les « mains qui s’envolent » comme se détachant du corps, la « fournaise de glaives », « le soleil était une mauvaise plaie », etc. L’écriture devient parfois « automatique » comme dans les cadavres exquis, d’om l’allusion aux « écritures cunéiformes » qu’il faut déchiffrer…

  • la précision des détails
  • enfin, c’est une poésie qui ne cherche pas à faire de la poésie, proche du parler naturel, sans fioritures ni technicité

Conclusion : Ce qu’il faut retenir de ce texte :

  • son caractère autobiographique

  • mais aussi sa dimension onirique (du rêve) : la rêverie poétique d’un ado qui revient sur sa jeunesse et sur son apprentissage de l’écriture poétique
  • en fin c’est une invitation au voyage à la fois réel, imaginaire, poétique, mais aussi une invitation à poursuivre la lecture : ici, le poète décrit son point de départ avant la montée dans le Transsibérien, ce qui crée, comme dans tout bon incipit, un effet d’attente chez le lecteur.

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