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"Sed non satiata", Baudelaire (lecture linéaire complète)

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Par   •  16 Novembre 2022  •  Commentaire de texte  •  1 705 Mots (7 Pages)  •  940 Vues

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Première – Les Fleurs du Mal, Baudelaire

Lecture linéaire  Texte 10 : « Sed non satiata… »

  1. Lecture du texte
  2. Introduction

- Baudelaire, Les Fleurs du Mal, section "Spleen et Idéal"

- titre en latin, emprunté à Juvénal (6e satire contre les femmes), poète latin qui évoquait Messaline, femme de l'Empereur romain Claude, avide de plaisirs charnels qui allait se prostituer dans une maison de tolérance et n'en sortait qu'à regret, au moment de sa fermeture, épuisée mais "non assouvie".  

- Baudelaire et Jeanne Duval (appelée Vénus noire), relation amoureuse tumultueuse : relation fusionnelle et destructrice

- Cycle Jeanne Duval  (poèmes  XX à XXXV): sa muse "charnelle", comme Marie Daubrun a été la muse "spirituelle"

- Femme aimée est dangereuse

- Forme traditionnelle du sonnet en alexandrins. Evoque l'ambivalence de la femme avec deux quatrains, deux tercets : beauté fascinante et dangereuse.

      - Problématique : Comment le poète exprime-t-il la dualité de la femme ?

- annonce des mouvements

  1. Analyse linéaire

1er mouvement (vers 1 à 4 = 1er quatrain) : la description d’une déesse exotique

  • Ce premier quatrain est consacré à la description de la femme : il faut attendre 5 vers pour avoir un verbe conjugué (dont le poète « je » sera le sujet)
  • Image poétique de la femme dans ce premier quatrain, qui est contemplée, qui n’agit pas, figée comme une statue.
  • Le substantif « déité » qui ouvre le sonnet pourrait laisser croire à une prière, du moins c’est ce qu’il connote. Mais cette invocation est associée à l’adjectif « bizarre », qui fait basculer dans un autre univers.
  •  Célébration du corps (qui se poursuivra dans le 2e quatrain) : « flanc » : symbole de la sensualité, de l’érotisme. Cette célébration est associée aux sens, on parle de synesthésie : « parfum », pour l’odorat ; « bouche », pour le goût ; « yeux », pour la vue ; et « flanc », pour le toucher.
  • Nombreuses périphrases métaphoriques (à relever à l’oral) qui soulignent le caractère mystérieux de cette femme admirée : « comme les nuits, le Faust, Sorcière, enfant ».
  • De plus, « musc et havane » : odeurs fortes, non naturelles mais qui renvoient dans l’imaginaire commun à l’Afrique et à Cuba. Le musc est une substance à la consistance du miel, sécrétée par les glandes abdominales d’un cervidé asiatique. Parfum très épicé. « havane », métonymie qui désigne le tabac produit à Cuba. Le musc, odeur pas naturelle à l’état de parfum : Baudelaire reprend donc la distinction qu’il avait faite dans « Correspondances « (à lire !) entre les « parfums frais » et les « parfums corrompus ».
  • Les références au « Obi », « la savane », « la sorcière », font jaillir tout un univers exotique, propice à l’imaginaire. Baudelaire y fait souvent référence dans ses textes (lire « La Chevelure »). Véritable dépaysement : éloge de la femme qui offre ce « voyage » possible.
  • Notons par ailleurs que la couleur noire parcourt tout le texte « noire, nuits, minuit, ébène » : c’est à la fois le noir de la peau et celui de l’âme. D’ailleurs, « minuits » (v4) pourrait désigner les libertins, enfants de la messe de minuit, c’est-à-dire la messe noire.
  • La femme a été créée par la magie noire, elle est « l’œuvre d’un obi », mais aussi rapprochée de Faust (alchimiste légendaire qui a vendu son âme au diable contre la jeunesse éternelle) : mélange de cultures, qui souligne encore l’étrangeté de Jeanne, cette créole (= mélange).
  • Désignée enfin par « sorcière », qui ajoute au caractère démoniaque et mystérieux de la femme.

2e mouvement (vers 5 à 8 = 2e  quatrain) : à la source, la femme

  • Apparition du poète au vers 5 « je » : il poursuit le souffle du 1er quatrain. On notera que le 1er quatrain se termine par une virgule, pas par un point.
  • Cette « apparition » du poète souligne le changement d’état du poète qui passe de la contemplation à l’adoration.
  • On va pouvoir relever l’énumération « constance, opium (bien noter la diérèse qui souligne cette drogue), au nuits » : à cette énumération qui résulte d’un souffle amorcé dans le 1er quatrain, succède un vers 6 au rythme plus calme (4x3), comme si le venin distillé par la « sorcière » se répandait peu à peu dans le poète. Etat de bien être, état second : on peut imaginer que cet état s’explique par un désir charnel assouvi chez le poète … tandis que la femme, elle, n’est pas satisfaite, ce qui explique la suite du poème !
  • La femme supplante ces « plaisirs », ces « paradis artificiels » (l’expression est de Baudelaire : c’est le titre d’un essai dans lequel il traite de la relation entre les drogues et la création poétique). On peut relever le champ lexical du plaisir : « bouche, amour, désirs, flamme ».
  • La femme, donc, est un « élixir », terme mélioratif pour désigner sa salive (cf. « Le Serpent qui danse »)
  • Par ailleurs, on peut noter les connotations sexuelles présentes dans le sonnet de manière subtile : « partent en caravane » (= désirs qui deviennent de plus en plus érotiques)
  • La femme est donc triomphale dans ce poème, elle a su « dompter » le poète. Elle se « pavane » (v6).
  • Elle a enfin un pouvoir d’attraction, un pouvoir « en général », même, sur le poète : le groupe circonstanciel « vers toi » est antéposé au vers 7 et souligne ce pouvoir, comme un aimant.
  • Les « yeux » de Jeanne deviennent « une citerne » (groupe attribut du sujet) qui permettent ainsi à l’état spleenétique du poète de survivre. Ce sont bien ses yeux qui abreuvent « les ennuis ». Noter que les « ennuis » de Baudelaire semblent personnifiés : ils prennent possession du poète, ce sont eux qui s’abreuvent …
  • Le liquide « élixir, citerne » mais aussi « verse, Styx » dans les tercets  est à la fois celui qui sauve et celui qui anéantit (cf. « Le Serpent qui danse », « ciel liquide » qui est salvateur pour Baudelaire).

3e mouvement (vers 9 à 14 = les deux tercets) : de l’impuissance à la création

  • Ce troisième mouvement s’ouvre à la volta au vers 9 : la métaphore des « soupiraux » permet au lecteur de comprendre qu’il accompagne peu à peu le poète dans les Enfers, en suivant cette plongée dans les yeux de Jeanne.
  • L’allusion aux Enfers est désormais évidente : « Styx, Proserpine, Mégère, démon, flamme » : La divinité inquiétante louée au début du sonnet laisse place rapidement à une figure plus menaçante.
  • L’invocation au vers 10 « Ô démon sans pitié ! » redouble le caractère menaçant avec le privatif « sans ». Ce « Ô »auquel s’ajoute la tournure exclamative semble faire entendre la voix suppliante –voire suppliciée -  du poète.
  • Le poète est sous l’emprise de ce double état que soulignent les mots placés à la rime : le spleen dont souffre Baudelaire « nuits, minuits, nuits, ennuis » // le désir qui s’empare de lui « pavane, caravane, libertine, Proserpine ».
  • Mais c’est la femme qui mène le jeu, encore une fois. Le poète la supplie de calmer ses ardeurs, avec l’impératif « verse-moi » (v10), mais cette requête est vaine, puisqu’elle est comme annulée par la tournure « sans pitié » qui précède.
  • On pourra également commenter les allitérations en /m/ et /f/ qui abondent dans les vers 10 & 11 comme pour signifier que le poète est submergé par les assauts de la femme, il ne peut pas y faire face et peine même à reprendre son souffle.
  • Au vers 11 puis au vers 12, le poète exprime son impuissance : « je ne suis pas », « et je ne puis », impuissance caractérisée par un verbe d’état et un verbe d’action ! Le poète est totalement sous la domination de cette femme.
  • Le « Styx », convoqué au vers 11est repris au vers 14, par la métaphore « l’enfer de ton lit » : les Enfers bibliques sont évoqués par cette métaphore du lit du fleuve. Le lit, le lieu de repos et des plaisirs charnels, devient lieu de perdition. 
  • Ensuite, le dernier tercet s’ouvre sur l’interjection « Hélas ! » : il s’agit pour lui d’exprimer un regret, celui de ne pas être à la hauteur des attentes de la femme.
  • Il y a chez le poète une volonté bien réelle de vaincre le « démon » : on relève « briser, mettre aux abois » (= mettre à la merci de) : mais c’est un échec pour le poète.
  • La chute du vers 14 indique, de manière finalement assez ironique (quoi de plus surprenant, chez Baudelaire !), l’impuissance physique du poète. La référence à Proserpine (femme du Dieu des Enfers, Pluton), à la rime avec « libertine » : attitude dépravée que le poète ne peut satisfaire. Notons aussi que la référence à Proserpine est peut-être un moyen d’évoquer la bisexualité de Jeanne Duval, ce qui expliquerait – en tout cas pour le poète alors pas si « impuissant » - cette difficulté à la satisfaire …
  • En fin de compte, il semble que la femme ne puisse être satisfaite parce qu’elle n’est pas humaine, parce qu’elle attend ce que le poète ne peut lui apporter. Mais à terme, c’est elle qui est montrée du doigt, comme une « étrangeté » de la nature. Et le poète reprend alors le pouvoir, en édifiant cette « créature », en se rangeant du côté du « obi ». 

  1. Eléments de conclusion 
  • Le poète balance entre le désir et la peur, entre l’adoration et la répulsion
  • Il prête à Jeanne Duval les caractéristiques d’une beauté diabolique
  • Mais elle permet aussi, encore une fois, la création poétique. Certains proches de Baudelaire ont toutefois estimé que Jeanne avait été une entrave à la création
  • Rapprochement avec un autre poème du cycle Jeanne Duval.

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