Mai, Alcools, Apollinaire. Lecture linéaire.
Commentaire de texte : Mai, Alcools, Apollinaire. Lecture linéaire.. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar sylvia10 • 6 Mars 2020 • Commentaire de texte • 1 608 Mots (7 Pages) • 2 488 Vues
Mai, Alcools, Apollinaire. Lecture linéaire.
Célèbre poème du recueil Alcools, ‘Mai’ propose bien une illustration de la poésie d’Apollinaire. Ancré dans la réalité du poète comme en témoignent ces bords du Rhin qu’il découvre alors qu’il est en Rhénanie, le texte s’inscrit ainsi dans cette appropriation poétique d’un univers transcendé par la vision de l’amoureux transi, déjà nostalgique d’une relation compliquée avec la belle Anglaise rencontrée à cette époque, Annie Playden. La nature s’anime, s’offre à voir dans un mouvement dont le poète ne semble être que le spectateur, immobile et passif, se laissant emporter au fil de l’eau, mais dont la perception restitue ses sentiments dans ‘un paysage sentimental’.
Rappel des éléments susceptibles de faciliter l’introduction : Second poème du cycle intitulé Rhénanes, ‘Mai’ reprend les thèmes chers à Apollinaire et déjà rencontrés dans les poèmes précédemment étudiés (‘Le Pont Mirabeau’, ‘Les Colchiques’, ‘Nuit Rhénane’), à savoir l’évocation d’un amour perdu et surtout regretté dans un tableau touchant et changeant. On retrouve en effet un paysage pittoresque, celui des rives du fleuve, et une femme aimée dont l’absence est rappelée de manière discrète mais non moins réelle par la nature elle-même. Encore une fois la réalité est transfigurée pour donner une vision singulière, celle du poète, où la femme se confond avec la nature dans une superposition des images où se mêlent les influences du romantisme et du symbolisme.
Fil conducteur : Apollinaire semble restituer une simple promenade une barque sur le Rhin, mais il évoque aussi sa solitude au fil de l’eau, une solitude marquée par le souvenir d’une passion fanée.
Le mouvement du texte est donc assuré par cette dérive sur le fleuve, cette lente descente du courant qui permet de découvrir des tableaux successifs, sans autre cohérence que le voyage sur l’eau. Le lecteur découvre ainsi un kaléidoscope, une succession d’images qui semblent même parfois se heurter, se superposer, dans un jeu de significations rappelant l’univers même du poète. Le poème compte dix-sept vers, alexandrins classiques, répartis sur trois quatrains et un quintil, chaque strophe renvoyant à une étape de cette promenade fluviale.
Première strophe : Un départ ? Le poème commence en tout cas par définir un cadre spatio-temporel, ‘mai’ ‘sur le Rhin’, qui plonge le lecteur dans une atmosphère particulière, celle du printemps rhénan. Le mouvement est indiqué par ‘la barque s’éloigne’ , quand certains restent sur la berge pour assister à ce départ.
Deuxième strophe : L’éloignement est confirmé avec ce qui reste ‘en arrière’, des ‘vergers’ qui vont aussi rappeler le souvenir de la femme aimée, ‘celle que j’ai tant aimée’. Seule évocation de l’ensemble du poème, mais judicieusement placée au début du voyage.
Troisième strophe : Seul quintil du poème, cette strophe confirme la navigation, avec le tableau vivant d’un convoi de bohémiens sur le chemin de halage, accompagné d’une musique mourant dans le lointain.
Quatrième strophe : Retour au quatrain avec une reprise des premiers mots du poème, ‘Le mai le joli mai’, qui indique au lecteur la fin prochaine de l’évocation poétique (cf. goût d’Apollinaire pour la circularité). Reste que le passé n’est pas enfoui ou totalement oublié, avec ‘les ruines’ qui, bien que recouvertes par la végétation, sont cependant présentes.
Explication linéaire : Le titre. ‘Mai’ est évidemment le mois de l’amour, du renouveau, du bonheur retrouvé. Cependant, l’absence d’article ne permet pas d’actualiser, de préciser ce mois de mai dont la symbolique va être finalement contredite par la tonalité mélancolique du poème. L’impression qui domine à la lecture du texte n’est pas en effet celle de la joie provoquée par la renaissance liée au printemps, mais au contraire celle d’une vague tristesse, suscitée par la mort ou la disparition venant s’introduire subrepticement dans l’évocation du paysage.
Première strophe.
Le premier vers interpelle d’emblée le lecteur avec cette répétition initiale, ‘Le Mai le joli mai’ qui pourrait bien avoir une dimension ironique (comme le confirmera la reprise finale). L’épithète naïve ne correspond pas aux sentiments du poète marqué par la solitude et l’abandon, mais renvoie plutôt à un topos qu’Apollinaire s’emploie à contester. L’expression ‘en barque sur le Rhin’ pose un problème d’interprétation en introduisant une ambiguïté : est-ce le mois de mai personnifié qui se trouve sur l’embarcation, le mouvement du poème accompagnant dès lors l’éclosion printanière, ou bien s’agit-il du poète lui-même ? l’absence de ponctuation ainsi que la syntaxe désarticulée où les vers semblent suivre une autre logique que la règle grammaticale ne permettent pas de trancher cette question, ce qui participe de l’intérêt et de la richesse même du texte dont l’enchaînement des images, le tableau changeant suscité par la descente du fleuve deviennent la seule cohérence. Le vers deux offre ainsi l’image de femmes restées sur la rive et regardant le poète partir ; sans doute le renvoient-elles, comme le lecteur lui-même, à ces ondines maléfiques en raison même de leur charme, ‘vous êtes si jolies’ (la Loreley se tient elle aussi sur la montagne, et est également réputée pour sa beauté). On doit noter ici que le poète interpelle directement ces ‘dames’ qu’il ne peut rejoindre (cf. vers 3), impossibilité qui nourrit son regret comme le laisse entendre le dernier vers avec une personnification toute romantique de la nature. En effet, en jouant sur la dénomination du saule pleureur, Apollinaire réactive une image traditionnelle pour souligner la tristesse de cet éloignement, de ce départ, sans que l’on sache précisément à qui s’adresse cette question… On remarque enfin que le poème mêle ici le récit et le discours, que l’abandon de la ponctuation rendent plus perméables l’un à l’autre.
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