La représentation des grands magasins / Au Bohneur des Dames de Zola
Dissertation : La représentation des grands magasins / Au Bohneur des Dames de Zola. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar lauriedaoust • 17 Février 2022 • Dissertation • 2 879 Mots (12 Pages) • 540 Vues
Publié en 1883 par l’écrivain français Émile Zola, le roman Au Bohneur des Dames met en scène le monde des grands magasins, forme de commerce du Second Empire. Chef de l’école littéraire naturaliste du XIXe, Zola prône la description objective de la réalité et met en valeur la nature humaine[1]. Pour la rédaction de son roman, l’auteur se construisait un Dossier préparatoire dans lequel il conservait des notes prises pendant son enquête préliminaire. Ce Dossier pouvait entre autres comporter « des sources textuelles déconcentrées, telles qu’articles, coupure de presse, catalogues […], dictionnaires ». (Mitterand 1999, 91) L’article d’Ignotus, pseudonyme d’Albert Wolff, paru dans Le Figaro en 1881 sur les grands bazars et celui de Pierre Larousse sur le « Bazar » dans le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle faisaient tout deux parties des sources dont il s’inspirait pour l’écriture d’Au Bonheur des Dames. Zola reprenait quelques données de la représentation des grands magasins qu’avançaient ces articles, mais il en remaniait aussi quelques-uns pour pouvoir créer l’œuvre de fiction moderne que nous avons aujourd’hui.
La représentation du grand magasin dans Au Bonheur des Dames reprend des discours, des idées et des motifs proposés dans ces deux articles, mais l’auteur se permet aussi de transformer durant la rédaction la matière accumulée au travers de ces lectures. L’un des éléments les plus importants concernant le grand bazar que l’on peut relever dans les deux articles est le coup dur que subissent les petites entreprises, les boutiques spécialisées, suite à l’apparition d’une telle innovation qu’est le grand magasin. Dans Le Figaro, Ignotus souligne que « ces grands bazars ont apporté une perturbation considérable dans nos habitudes économiques » : c’est-à-dire que, là où le consommateur y trouvait son bonheur, le petit producteur rival, lui, y trouvait un terrible ennemi et finissait par réaliser tôt ou tard que « la lutte n’est pas possible entre le gros et le petit vendeur. » Dans son entrée du Dictionnaire, Pierre Larousse déclare que le grand magasin, en tenant « tous les produits inimaginables » a eu comme résultat « de ruiner, dans un rayon de plusieurs mètres, tous les petits industriels qui vivaient d’une des spécialités aujourd’hui groupées au bazar » en leur faisant « une concurrence formidable ». Zola expose lui aussi l’ampleur de la concurrence que le Bonheur des Dames fait aux petits commerçants qui se situent aux alentours de lui. Par le regroupement des produits provenant de boutiques individuelles sous un seul toit et par le projet d’agrandissement ambitieux de son magasin, Mouret met les boutiques spécialisées au pied du mur en leur volant leur clientèle et leur propose même, une fois qu’ils font banqueroute, d’acheter leur maison. En étant « un magasin de nouveautés où l’on ven[d] de tout » (p. 68), le Bonheur des Dames change l’ordre établi par le commerce d’autrefois qui était honnête, chaque commerçant vendant au client sa spécialité. De plus, Mouret achète aux propriétaires les maisons aux alentours du Bonheur des dames « de sorte que le magasin a grandi, toujours grandi, au point qu’il menace de manger tous [ses voisins] » (p. 67). C’est entre autres le cas du petit commerce de cannes et de parapluies de Bourras qui, coincé entre le Bonheur des Dames et l’Hôtel Duvillard que Mouret finit par acheter, est ceint de toutes parts par le magasin qui « menac[e] de l’engloutir, de l’absorber », une « étreinte dont craqu[e] sa boutique ». (p. 264) Face à l’obstination de Bourras de lui tenir tête, Mouret propose une somme d’argent considérable pour lui acheter la maison et parce que Bourras ne peut lutter plus longtemps, il finit par accepter l’offre. Pour justifier les terribles souffrances que subissent les petites boutiques et son envahissement du quartier, Mouret déclare qu’il ne faut « s’en prendre [à lui], mais aux nouvelles conditions du commerce. » (p. 105) Jean Larousse ajoute dans son entrée que le grand magasin offre tout à « des prix très inférieurs à ceux des objets similaires pris dans les boutiques ». Le public n’a selon lui pas le droit de se plaindre de cette situation parce que ce changement « a eu pour résultat un abaissement très notable du prix des produits, abaissement dont [le public] a largement profité. » Zola reprend cette idée concernant les prix réduits des grands magasins, un besoin des temps modernes qui suit l’évolution logique du commerce, en soulignant que si le petit commerce est maintenant à l’agonie, « c’était qu’il ne pouvait soutenir la lutte des bas prix » (p. 127) et que client n’a pas le choix d’être satisfait parce qu’« en fin de compte, c’était [lui] qui bénéficiait de la baisse des prix. » (p. 257)
Ignotus souligne dans son article que malgré le vent et la pluie de mars, « le printemps a nonobstant commencé dans les grands magasins » et que « tout un peuple de femmes se presse pour acheter les étoffes nouvelles. » Pierre Larousse mentionne lui aussi dans son entrée la possibilité de ressortir du grand magasin vêtu à la dernière mode, de tout trouver sur une petite superficie et que « si quelque produit vient, la mode aidant, à faire prime, le magasin […] en est immédiatement rempli. On n’y voit plus que cet article, et, tant que dure la vogue, il trône partout. » Dans Au Bonheur des Dames, l’article de mode du moment dont les réclames dans les journaux parlent tant et qui éveille fortement la curiosité des femmes en « occup[ant] dans leur vie quotidienne une place considérable » (p. 131) est une soie appelée le Paris-Bonheur. Toute la puissance du commerce du Bonheur des Dames tient dans la publicité qu’ils ont crée autour du Paris-Bonheur et surtout dans l’entassement, l’accumulation de marchandises à l’intérieur du magasin qui pousse la clientèle à consommer toujours en encore plus : « [T]oujours l’article de saison était là ; et, de comptoir en comptoir, la cliente se trouvait prise, achetait ici l’étoffe, plus loin le fil, ailleurs le manteau, s’habillait, puis tombait dans des rencontres imprévues, cédait au besoin de l’inutile et du joli. (p. 127) » Pierre Larousse le mentionne lui aussi : les grands magasins « ont su, en se tenant constamment en éveil, satisfaire les goûts changeants du public ». Zola dépeint lui aussi cette même logique du commerce chez Mouret qui veut inciter à la consommation de masse en « travaill[ant] au coup de folie de la mode » (p. 129) : le Bonheur des Dames sait ainsi constamment éveiller de nouveaux désirs chez sa clientèle, celle-ci étant composée en très grande majorité de femmes.
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