Juste la fin du monde de Lagarce
Dissertation : Juste la fin du monde de Lagarce. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar sduyfg • 7 Février 2022 • Dissertation • 1 183 Mots (5 Pages) • 2 688 Vues
La critique littéraire Hélène Kuntz affirme que le théâtre de Lagarce est un «théâtre des hésitations de la parole, des dits et des non dits, des accidents et des failles du langage».
Le spectateur en effet ne peut manquer d’être troublé par le langage très particulier qu’emploie le dramaturge dans ses pièces, et qui se caractérise par un retour permanent sur lui même, par de longues hésitations et de nombreuses répétitions.
Jean Luc Lagarce, en réponse à la question « pourquoi écrire au théâtre ?» que lui posait Lucien Attoun en 1995, revenait lui aussi sur l’importance qu’il accordait au langage dans ses pièces: «Je crois que je suis très porté vers la parole. Les mots, mais les mots parlés… Les mots avec leurs sons, leurs rythmes.». Mais que signifie l’expression » les mots parlés» dans le cadre de la pièce Juste la fin du monde et du parcours qui lui est associé? L’écriture, ou plutôt la langue théâtre du dramaturge nous parait- elle « parlée», ou davantage poétique. Et s’il est évident que Lagarce invente véritablement une langue( des «sons» des « rythmes ») plutôt qu’il n’invente des personnages ou des actions, on a même presque l’impression que c’est la langue elle même qui sert la crise et devient objet théâtrale à part entière: on assiste ici à une sorte de tragédie du langage incapable de dire, et qui semble révéler l’incapacité des hommes à communiquer entre eux
Ainsi, nous pouvons nous demander en quoi le langage particulier des personnages, les mots « parlés», deviennent en réalité le sujet principal de la pièce et les révélateurs d’une crise liée à la condition humaine. Nous verrons tout d’abord que la pièce de Jean Luc Lagarce, Juste la fin du monde , accorde en effet une importance capitale à la «parole» dite, à l’aspect formel de la langue, proposant un langage innovant, avant de nous pencher sur ce langage détaché du réel qui semble devenir un personnage à part entière de la pièce, révélant nos difficultés à communiquer et la solitude de notre condition.
Tout d’abord la langue dans la pièce de Lagarce est bien une langue faite de « mots parlés», de «mots avec leurs sons, leurs rythmes» il est toujours question de dire( comment dire, mais surtout, commet bien dire): on compte près de deux cents occurrences du verbe « dire», et près d’une centaine de fois les verbes de parole «parler», « raconter», « répondre» ou « reprocher». Suzanne qui cherche le mot juste pour parler de la maison d’Antoine et Catherine qui se demandent « Comment dire?».
Cette attention portés à la justesse de la parole, ainsi que les nombreux passages à la ligne dans les discours des personnages, font que la langue théâtrale de l’auteur semble se rapprocher d’une langue poétique: les monologues de Louis sonnent comme des poèmes mélancoliques; les répétitions, les rythmes binaires et ternaires, les longues phrases complexes, les phrases sans verbes: autant de procédés qui révèlent l’aspect poétique de la langue.
S’il est « très porté sur la parole», Jean Luc Lagarce semble moins se soucier de la description des personnages ou du cadre spatio-temporel dans lequel la pièce prend place; au contraire, l’auteur instaure un flou volontaire qui nous fait perdre le fil de la temporalité: la didascalie initiale «Cela se passe dans la maison de la Mère et de Suzanne, un dimanche, évidemment, ou bien encore durant près d’une année entière.»
Le théâtre de l’absurde dont s’inspire beaucoup Lagarce, en particulier celui de Ionesco( la Cantatrice chauve) et de Duras ( La pluie d’été), met en œuvre le même type d’écriture, entre prose et poésie libre, avec une parole qui en vient presque à perdre son sens à force de retour sur elle-même.
S’il recherche une langue faite de « mots parlés», Lagarce ne cherche pour autant pas à donner l’illusion d’une langue au plus près du réel; en effet, le spectateur finit par se perdre dans certaines répétitions, retours, suspens. De plus, les personnages semblent surtout parler seuls, longtemps, sans obtenir de réponse de leur interlocuteur, ce qui n’arrive pas souvent dans la « vie réelle»: la scène 3 de la première partie est un long soliloque de Suzanne, la scène 4 propose une tirade de la Mère, qui reprend longuement la parole dans le soliloque de la scène 8, la scène 5 contient une tirade de Catherine, Antoine prend longuement la parole dans la scène 11, puis de nouveau dans la scène 3 de la deuxième partie et ainsi de suite. A chaque fois, les personnages parlent à Louis, qui conserve le silence.
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