Commentaire un abrégé du monde Bergounioux

Un abrégé du monde, Pierre Bergounioux, 2014

C’était une boîte robuste, que j’ai trouvée propre à contenir, protéger l’ « abrégé de monde » que j’avais entrepris de constituer. Lorsque j’y songe, elle est déjà remplie de ce que j’ai glané au hasard de mes sorties, extrait de sa gangue de tristesse, fadeur, insignifiance, superfluité. Je ne me souviens plus de l’ordre dans lequel les trouvailles se sont succédé mais je les ai toujours présentes à l’esprit. Elles m’ont aidé à vivre, alors, et l’on reste comptable, jusqu’au bout, des initiatives, des hantises, de l’espoir de ceux auxquels, jour après jour, à chaque instant, on a prêté âme et souffle, comme on pouvait. (…)

Je vois les agates, la gousse brune d’une espèce d’acacia, le petit parallélépipède de bois précieux, exotique, d’un rouge sombre, comme liquide, l’écrou borgne, chromé, ramassé dans le caniveau, devant la poste principale, un fragment de silex d’un noir intense, à cassure conchoïdale, coupante, et patine blanche, pulvérulente, des hannetons aux pattes mutilées, un Flambé capturé sur les collines sèches de Die, dans la Drôme, une plume de geai, une autre écarlate, peut-être de pic-épeiche, des galets, l’un discoïde, clair, de pegmatite, l’autre oblong, parfaitement régulier, de basalte, un gros fragment de verre dont il me plaît d’imaginer qu’il pourrait s’agir d’une volumineuse émeraude alors que je vois bien qu’il ressemble à s’y méprendre aux gros isolateurs électriques, sur les pylônes, deux bouchons de pêche, l’un fait d’un dard de poc-épic, l’autre, en trois parties séparables, une tête ronde, peinte en rouge, un corps conique de liège verni et une tige blanche qu’on insère dans le canal dont ils sont percés et qui les solidarise, une cuiller pour le brochet, avec une palette tournante d’acier miroitant et un gros pompon écarlate, des grains de chevrotine, un poisson d’étain armé d’un hameçon double, des bouts de papier plié sur lesquels j’ai recopié des phrases qui m’ont plu, des vers d’Homère tirés du livre de morceaux choisis de cinquième, où il est question d’eau pure, de fin limon et d’huile parfumée, d’autres de Francis Jammes, la dernière strophe du Cygne de Sully Prudhomme, un morceau de Stevenson, le lingot de plomb antimonié, portant, sur la tranche, mes nom et prénom, que m’a donné, après l’avoir coulé sous mes yeux, le linotypiste de l’imprimerie M*, des timbres (la reine Elisabeth II d’Angleterre portant une couronne, une femme de la Haute-Volta, une cruche sur la tête, Magyar Posta…), un abricot sec dont les plis serrés, la nuance ambrée, le goût supposé me ravissent, des agrafes pliables en aluminium mince gaufré, un bloc de cire à cacheter, des pétales de glycine récoltés par un lundi humide et chaud de mai, quand je rentrais de l’école, et que cette opulence, ce parfum m’ont chaviré. Le malheur est qu’à peine serrés dans une enveloppe, elle-même glissée dans le carton, ils ont perdu leur bleu suave, changé d’odeur, celle-ci soudain amère, astringente, triste, un peu funèbre.

Intro :

Pierre Bergounioux originaire de Brive en Corrèze, dans ces textes il rend compte d’une image très mélancolique, très arriérée. Sa famille maternelle est originaire du Lot et jusqu’à ses six ans, il a passé 15 jours de vacances qui reste pour lui les meilleurs moment de sa vie. Il aurait voulu être instituteur dans le lot pour passer sont en libre dans la forêt et à la pêche. Il commence à enseigner..

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