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Commentaire de la rencontre entre Eddy et Suzanne dans Corniche Kennedy

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Par   •  8 Janvier 2020  •  Commentaire de texte  •  2 115 Mots (9 Pages)  •  6 770 Vues

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Commentaire littéraire

En 2008, Maylis de Kerangal, auteur contemporain à succès, publie Corniche Kennedy. Dans ce roman, une bande de jeunes adolescents issus des quartiers nord de Marseille se retrouve l’été sur les rochers qui bordent la corniche Kennedy et défie la police en sautant du haut des falaises dans la mer. C’est aussi sur ces promontoires qu’a lieu la rencontre entre Eddy et Suzanne, deux jeunes gens que tout oppose et que le plongeon va réunir. L’extrait proposé relate cette première rencontre : alors que Suzanne, jeune fille d’un milieu aisé, vient de voler dans le sac d’un des gamins de la bande, Eddy pour la punir la contraint à sauter du haut du « Just do it », saut de deuxième catégorie, à sept mètres au-dessus du niveau de la mer. Cette scène, assez traditionnelle dans le genre romanesque toutefois le lecteur par son écriture particulière. Comment, donc, cet extrait renouvelle-t-il les codes romanesques du topos de la rencontre amoureuse. Dans un premier temps, parce qu’il en détourne les ingrédients, ce passage se présente comme une parodie de scène de coup de foudre. Ensuite, influencée par le cinéma, l’auteur écrit ici une rencontre en mode western. Enfin, le récit de cette rencontre est le récit d’une transgression.

        

        La première lecture permet de comprendre que ce passage est une scène de coup de foudre. Toutefois s’il en reprend les ingrédients attendus, le lecteur comprend rapidement que le narrateur se joue de ses codes traditionnels et parodie le topos de la rencontre amoureuse.

        Tout d’abord, nous retrouvons effectivement les éléments caractéristiques du coup de foudre. Dès le début de l’extrait, les personnages se retrouvent « seuls » (l.1). L’épisode se passe à la tombée de la nuit, le coucher de soleil étant un grand classique des scènes amoureuses. . De même l’émoi qui s’empare d’Eddy à partir de la ligne 36 lorsqu’il pose enfin son regard sur la jeune fille relève du topos du coup de foudre, où le héros tombe amoureux de la belle au premier regard. Le motif du regard est d’ailleurs assez présent à la fin du passage et produit chaque fois une réaction émotionnelle et physique assez forte chez Eddy.   Enfin la description de la tenue de Suzanne, à la ligne 32-33, évoque une certaine sensualité, la « fine bretelle » étant un élément de séduction féminin relevant quasiment du cliché, de même que la couleur « rouge », associée traditionnellement à la passion amoureuse.

        Toutefois, cette scène de rencontre amoureuse déstabilise rapidement le lecteur par le détournement parodique d’un certains nombres d’éléments. C’est le cas par exemple du portrait qui est dressé des deux protagonistes. D’ordinaire les deux personnages se distinguent par leur beauté, ici la jeune fille se caractérisent par la force qui émane de son corps. Les adjectifs employés pour la décrire, « massive » (l.39), « grande » (l.40), souligne sa puissance. De même la description de son corps à la ligne 40 et de son visage aux lignes 48-50, vient renforcer, cette idée avec l’emploi des adjectifs « bombés », « déliés », « baraquée, « fougueuse » « rudes ». Les éléments décrits traduisent également l’absence la volonté de masculiniser ce portrait, ainsi on parle de « torse » (l.40) et non de poitrine. On est donc loin de l’image traditionnelle qu’Eddy se fait d’une jeune fille de ce milieu en évoquant de façon caricaturale le stéréotype de la fille « fine » et « frêle » (l.37) qui joue avec ses cheveux en pleurnichant (lignes 23-24). D’ailleurs le portrait d’Eddy est lui aussi loin du stéréotype de l’amoureux transi. S’il est peu décrit dans ce passage, il se caractérise par sa façon de parler. En effet, la vulgarité de certains de ses propos (« fais pas chier » l.13, « je te foute à l’eau » l. 26), la brutalité de l’injonction « déshabille-toi » qui rythme tout le passage, le place davantage du côté du gangster que de l’amoureux.

        Enfin, tel un anti-conte de fée, les mouvements des personnages imitent ceux d’une danse, la scène se transformant ainsi en une parodie de scène de bal. En effet, à la fin du passage, alors qu’elle hésite à sauter, Suzanne « fait un demi-tour » sur elle-même (l.44), puis un deuxième. Ce mouvement est appelé « figure » dans le texte comme s’il s’agissait d’un pas de danse, d’un geste volontaire, étudié. De la même façon, Eddy lui aussi effectue un geste circulaire, il « oscille » (l.46). Ainsi, cette danse n’est pas sans rappelée cette façon de danser le menuet au XVIIème siècle, où on se tourner autour sans se toucher. Ce rapprochement est même favorisé par l’emploi du terme « étonnement » à la ligne 51 qui n’est pas sans rappeler « le grand étonnement » que ressent le M. de Nemours après avoir dansé avec la Princesse de Clèves dans le roman de Mme de La Fayette.

        Ainsi, cette rencontre entre les deux jeunes héros de ce roman ressemble bien à une parodie de scène de coup de foudre. Maylis de Kerangal réécrit la scène traditionnelle de bal en l’adoptant aux « princes » de la Plate.

        Dans un deuxième temps, cette rencontre amoureuse ressemble par bien des aspects à une scène de cinéma, plus précisément une scène de Western.

        En effet, l’auteur a souvent expliqué que son écriture était influencée par la cinéma et ce style cinématographique se retrouve dans ce passage. Tout d’abord, l’emploi du présent d’énonciation, renforcé par le connecteur temporel « à présent » (l.1), permet de créer une certaine immédiateté entre le texte et le lecteur. Cette impression est renforcée par l’absence de coupure typographique entre le récit et les dialogues. La voix des personnages est indissociée du reste du texte, se mêle à l’action, procurant  la sensation de lire un scénario. Cette impression est accentuée par la place importance données aux indications de mouvements comme l’indique le foisonnement de verbes d’action dans tout le passage (« fonce » l.3, « se tourne » l.5, « arrache » l.8, « se détourne » l.9, « s’avance » l.43, « oscille » l.46…) , et les nombreuses indications sur le son (« silence » l.12, bruit de la moto l.4, dialogue des personnages), les couleurs (« soleil orange » l. 14, « le littoral s’embrase » l.15, « ligne d’horizon qui se précise violette » l.31, « maillot deux pièces rouge » l.38).

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