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Anthropologie : Le droit des pratiques

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Par   •  11 Mai 2021  •  Dissertation  •  2 278 Mots (10 Pages)  •  466 Vues

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Dissertation : « Le droit des “pratiques”.  Ici, ailleurs, hier, aujourd’hui. »

Le droit est variable selon les sociétés. Il peut être oral ou écrit, provenir de l’Etat et/ou de groupes sociaux intermédiaires, dépendre de croyances variées, être exhaustif… Le droit n’est donc pas immuable et se définit en fonction de la société dans laquelle il s’exprime. Etudier le droit en anthropologie suppose la définition de plusieurs notions. Le discours, qui peut être écrit ou oral, correspond à l’énoncé explicite des règles de la société : il s’agit d’un droit « voulu » par le groupe ou par l’Etat. Ce discours doit être mis en relation avec les pratiques : les comportements observés des individus. Les pratiques peuvent correspondre au discours, le compléter ou s’y opposer. Lorsque les pratiques d’un grand nombre d’individus ne correspondent pas au discours, elles sont alors créatrices de droit, dit droit des pratiques ou droit « caché ». Les représentations de la société sont aussi à intégrer à ces deux notions. Elles justifient les normes appliquées aux sociétés et il est souvent possible d’observer leur influence dans le discours ou les pratiques.

Dans ce devoir, il s’agira d’étudier la notion de droit des pratiques et de questionner de quelle manière et dans quelle mesure ce droit fut « caché » jusqu’à s’imposer et s’intégrer au discours lors des conquêtes de territoires. Pour cela, il faudra tout d’abord observer la coexistence du discours des conquérants et du droit des pratiques des peuples conquis. Ceci permettra ensuite d’observer la place du droit des pratiques lors des mouvements d’indépendance du XXe siècle. Enfin, l’intégration des droits des pratiques dans le discours officiel sera analysée.

Dans cette première partie, il s’agira donc d’observer la place importante laissée par le discours au droit des pratiques lors de la conquête de territoires.

Tout d’abord, la colonisation française de l’Afrique permit d’observer la coexistence du droit français et du droit coutumier africain. Le manque de moyens financiers et humains afin d’assurer une domination intégrale sur les territoires colonisés et le constat de l’antagonisme du Code civil et de la vision africaine du droit rendirent indispensable cette coexistence. En effet, le droit français, inscrit dans le Code civil, est un droit impératif émanant de l’Etat qui doit s’appliquer à tous les individus de la société de la même manière[1]. Il est aussi assimilé à la Loi et a un caractère rationnel, impératif et exhaustif. Le droit oral traditionnel africain, quant à lui, est un droit populaire et spontané qui vise au maintien de l’organisation de la société et s’applique différemment en fonction des individus[2] car l’importance est donnée au collectif et non plus à la personne. Cette différenciation est à mettre en relation avec les représentations mythiques qui attribuent le chaos originel du monde à l’égalité et l’uniformité et l’ordre actuel à la différenciation hiérarchisée des êtres vivants. L’antagonisme entre ces deux formes de droit est particulièrement marqué avec le statut de la terre. Dans certaines sociétés africaines, la terre appartient au lignage et plus particulièrement aux ancêtres, les vivants n’ont donc qu’un droit d’usufruit sur cette terre. La notion de propriété individuelle, centrale dans le droit français, n’apparait pas. Du fait de cette antagonisme marqué, l’administration française conserva l’usage des pratiques coutumières qui ne s’opposaient pas au droit français. Sous juridiction du Common Law, dans l’Empire colonial britannique, la Loi de 195, selon l’article 27, déclara aussi que « La Haute Cour respectera […] toute loi et coutume autochtone qui n’est pas inconciliable avec la justice naturelle, l’équité et la conscience, ni incompatible avec une quelconque loi applicable ». La volonté d’assimilation progressive au droit occidental est, cependant, ce qui explique cette acceptation du droit coutumier. Pour garantir l’assimilation[3], des « tribunaux indigènes » sont à disposition. Ils ont un très faible succès chez les Chagga de Tanzanie qui « continuèrent à gérer les choses à leur manière » (Falk Moore, 2012, p. 246) et en Afrique coloniale française. Ainsi, même si le discours occidental devait s’appliquer aux populations colonisées, dans de nombreux domaines le droit des pratiques était admis et toléré par les administrations européennes.

Dans le Royaume franc du VIe siècle, les droits des pratiques de différentes populations coexistèrent sous le régime de la personnalité des lois. En effet, à partir de 506, le Bréviaire d’Alaric s’appliquait aux populations gallo-romaines, le Code d’Euric aux Wisigoths et la Loi salique au peuple franc dominant. Le droit du Royaume franc de l’époque se définit ainsi par un fort pluralisme juridique à fondement ethnique. Ce système permit, dans une certaine mesure, de garantir la coexistence pacifique de peuples aux croyances et coutumes fondamentalement différentes.

Les conquêtes de territoires se sont donc souvent accompagnées de la coexistence pacifiée du discours officiel et du droit officieux des pratiques. Cependant, lors des indépendances du XXe siècle, le droit des pratiques a vu sa dimension « cachée » augmenter avec son interdiction par le discours.

Le droit des pratiques a donc eu un statut particulier lors des années postindépendances. Ceci peut s’expliquer notamment par la volonté de développement des pays.

Tout d’abord, certains pays indépendants africains entreprirent de vastes programmes de codification du droit moniste et d’opposition aux droits des pratiques. La codification du droit permit d’asseoir la légitimité des nouveaux dirigeants et d’instaurer l’Etat comme seul créateur de droit. Après des années de domination coloniale, le principe du monisme juridique, un droit égalitaire, fut valorisé. Enfin, les droits des pratiques semblaient être un frein à l’unité des pays car ils étaient spécifiques à des zones géographiques limitées et composés de modèles de parenté qui valorisaient un lignage regroupé localement. Ainsi, la Côte d’Ivoire abrogea intégralement le droit traditionnel de la famille avec les lois civiles de 1964. En Tanzanie, les droits coutumiers furent bafoués avec la volonté de développer le socialisme du pays. Le gouvernement abolit « les titres de propriété et nationalis[a] l’ensemble du pays » (Falk Moore, 2012, p.250). De plus, afin d’assurer l’importance du Parti national, l’organisation traditionnelle de la résidence patrilocale[4] fut subdivisée en cellules de dix maisons dominées par un résident en chef favorable au Parti.

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