La démocratie est-elle compatible avec les inégalités socio-économiques ?
Dissertation : La démocratie est-elle compatible avec les inégalités socio-économiques ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Vert44 • 22 Janvier 2021 • Dissertation • 3 922 Mots (16 Pages) • 955 Vues
La démocratie est-elle compatible avec les inégalités socio-économiques ?
L’idéal démocratique vise à assurer une égalité politique entre citoyens, il semble opportun d’imaginer la démocratie comme le régime politique favorisant le plus la répartition des richesses et des charges. Terme parfois polémique du fait de sa polysémie, la démocratie connaît trois acceptions principales étant donné le néologisme entre demos et kratos : le gouvernement du peuple, au nom du peuple et/ou pour le peuple. Dans nos sociétés représentatives, la démocratie a d’abord été synonyme de liberté, en héritant notamment de la conception libérale des Lumières, dotant l’individu libre et raisonnable de droits individuels. L’abolition des privilèges n’a pas engendré une égalisation des conditions de vie, tandis que le développement du capitalisme industriel au XIXe siècle a vu émerger une paupérisation des individus au profit de la croissance économique. Malgré l’institutionnalisation d’une égalité formelle des droits, des inégalités sociales persistent ou s’aggravent, encore aujourd’hui puisque l'INSEE confirme que ce constat préoccupant se creuse dans les deux sens : les riches sont plus riches tandis que les pauvres sont plus pauvres. Selon les sociologues Alain Bihr et Roland Pfefferkorn, « [u]ne inégalité sociale est le résultat d’une distribution inégale, au sens mathématique de l’expression, entre les membres d’une société, des ressources de cette dernière, distribution inégale due aux structures mêmes de cette société et faisant naître un sentiment, légitime ou non, d’injustice au sein de ses membres. » Plus que des statistiques, les inégalités sont génératrices de souffrance et leur affirmation ne peut que irriter la sensibilité des citoyens vivant dans une société d’égaux, où l’inégalité est de plus en plus mal acceptée. Derrière l’idéal démocratique, il n’y a pas la disparition totale des inégalités puisque la mobilité sociale devrait conduire à une baisse des inégalités de situation. La démocratie esclavagiste athénienne, déjà, fonctionnait grâce aux inégalités, en reconnaissant le mérite des citoyens, indépendamment de leur naissance ou fortune ; l’isonomia seule de la minorité de citoyens importait. En fournissant des chances égales aux individus, l’Etat démocratique justifie la hiérarchie sociale, puisque traiter tout le monde de la même façon n’aboutit pas à amener tout le monde à la même situation du fait des inégalités de départ. Il y a donc un certain paradoxe puisque l'égalité des conditions devient purement formelle et conduit à alimenter les inégalités économiques. Si la justice sociale est comprise comme l’équité en matière économique et sociale, alors l’injustice désigne le fait que les individus ne sont pas également dotés face à la sélection La justice sociale peut ainsi apparaître comme la solution à la tension structurante des démocraties libérales entre égalité et liberté, exacerbée par l’apparition de la question sociale au XIXème face aux sociétés capitalistes. L’article 1er de la Constitution définit la Ve République comme « démocratique et sociale », en référence à l’Etat-Providence hérité de 1946 ; faut-il alors penser la lutte contre les inégalités comme le prolongement des principes de base de la démocratie libérale, à savoir la liberté individuelle et égale? L’exigence d’égalité sociale que véhicule l’idée de solidarité implique-t-elle un infléchissement du principe de liberté ou au contraire contribue-t-elle à lui donner chair dans une démocratie? Si pour certains la justice sociale découle du projet libéral démocratique d’une société juste, d’autres y voient le résultat d’une hybridation par des éléments non libéraux qui violent les libertés individuelles au fondement des démocraties libérales.
I- La justice sociale comme prolongement nécessaire à l’idéal démocratique
A. Des inégalités qui empêchent le déroulement démocratique: l’exclusion à l’ère de l’égalité.
La démocratie implique une participation active des citoyens, mais comme l’expliquait le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz dans Le prix de l’inégalité paru en 2012, "plus une société se divise financièrement, plus les riches sont réticents à dépenser pour le bien commun». Le capitalisme et la concentration des richesses au sein d’une minorité vont alors à l’encontre des valeurs sur lesquelles sont fondées les sociétés démocratiques. Pour Karl Marx, la montée des inégalités sociales vient limiter l’exercice des droits fondamentaux et aliène l’égalité politique. Cette dernière est pour lui une illusion des droits de l’Homme en tant que l’égalité apparente entre les individus masque les inégalités réelles. Il prend l’exemple de la propriété privée, un droit garanti à tous mais également un luxe inaccessible pour certains. Le discours marxiste établit donc qu’il n’y a pas de démocratie réelle sans égalité sociale réelle. En outre, la fragmentation de la société compromet la solidarité entre les individus ; en France, les citoyens ne sont pas égaux face à la politique. En effet, on note une forte abstention des ouvriers, qui sont aussi les moins diplômés et les moins riches, exprimant une défiance envers les institutions démocratiques. Monique Pinçon-Charlot souligne que si les ouvriers couvrent plus de 20% de la population, ils ne représentent que 0,2% des députés en 2017. L’État Providence est supposé garantir l’égalité des chances par la mise en place de services collectifs (santé, éducation), ou en démocratisant des parcours d’excellence. Mais la réalité est différente, et la mobilité sociale n’est pas totale : les enfants de cadres ont plus de chances de devenir cadres que des enfants issus du milieu ouvrier. Or, la démocratie compte sur des citoyens attentifs, exprimant par leur vote un choix réfléchi et motivé. La structure même du champ politique perpétue donc un « cens » d'autant plus efficace car caché, dont le fonctionnement contribue à reproduire les clivages et le népotisme d'une société inégalitaire. Daniel Gaxie étudie le sentiment de compétence qui agit comme moteur de la participation. Ainsi dans une société où une part croissante de la population est précarisée et menacée par le chômage, elle ne peut réellement exercer ses droits. Contrairement à la démocratie athénienne, la démocratie libérale ne peut ostraciser un citoyen; l’exclusion n’est pas l’expulsion, mais le genre, le patronyme, les handicaps restent des obstacles à la parité
...