La contre expertise comme ressource
Dissertation : La contre expertise comme ressource. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar damsodams • 21 Janvier 2018 • Dissertation • 1 887 Mots (8 Pages) • 489 Vues
Dans un contexte de technocratisation, c'est à dire que les politiques publiques ne sont moins le fruit d'une ligne idéologique que de rapports produits par des conseillers-techniciens, une nouvelle forme de contestation politique est apparue sous la forme de contre-expertise, rapport émanant d'acteurs non-institutionnels et visant à contester les conclusions d'expertises officielles.
Laure Pitti fait remonter les premières expertises à visée contestataire dès la fin du XIXème siècle concernant notamment le travail des enfants et, dont les conclusions ont amenée les pouvoirs publics à reconnaître la maladie du saturnisme, contamination au plomb comme maladie professionnelles.
Ce phénomène prit de plus en plus d'ampleur dans la conduite des politiques publiques des sociétés démocratiques jusqu'à devenir l'outil privilégié de remise en cause des politiques publiques qu'elles soient nationales ou transnationales. La généralisation de la contre-expertise comme ressource dans le nouveau management public ne lui fait-t-elle pas perdre de son autorité ?
Nous nous intéresserons à la manière dont les contre-expertises sont parvenues à s'imposer comme ressource aux politiques publiques dans une première partie, avant de nous interroger sur la véracité du rôle contestataire que l'on peut initialement leur prêter.
I. La contre-expertise outil d’une nouvelle contestation organisée
A. Des acteurs sujets à un processus de scientifisation
Comme évoqué en introduction, les pouvoirs publics ont besoin d’être accompagnés et vont solliciter des conseillers techniques pour penser leurs actions, mais d’autres groupes d’intérêts comme des associations, des partis politiques, ou encore des groupements d’intérêts économiques vont solliciter des expertises remettant en question les conclusions officielles.
Sylvie Ollitrault s’est intéressée au militantisme écologique qui depuis les années 70 est une parfaite illustration des mutations organisationnelles du mouvement militant en général. A travers des entretiens semi directifs elle est parvenue à notamment dégager une trajectoire scientifique : l’engagement de nombreux chercheurs et/ou enseignants ou encore d’ingénieurs a conduit à une professionnalisation du militantisme, symptôme d’un nouveau militantisme d’expertise.
Ce nouveau militantisme a pour raison d’être la production d’un savoir alternatif à celui des institutions publiques qui s’était montré insuffisant dans la gestion de risques sanitaires ou environnementaux. Les illustrations les plus parlantes seront l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986 et le cas de l’amiante.
Dans les deux cas, il est reproché, toujours actuellement, aux pouvoirs publics de n’avoir pas été suffisamment réactifs face à des risques connus ou prévisibles. Si dans le cas de la catastrophe nucléaire, il a été reconnu juridiquement et scientifiquement que le territoire français n’a que peu été impacté par le nuage, l'inquiétude légitime initiale a donné lieu à la création de communautés épistémiques. Peter M. Haas définit ce concept comme “une communauté qui produit de la connaissance nouvelle, sur la base de critères scientifiques, et qui intervient dans la sphère publique, par exemple en ré-injectant des connaissances dans des processus de définition des politiques publiques”.
Maintenant que nous avons présenté les principaux producteurs des contre-expertises ainsi que leurs domaines de prédilection, je vous propose de nous intéresser à la manière dont ces derniers légitiment leurs savoirs.
B. Une lutte sujette à un processus de légitimation
Pour avoir une force probante et pouvoir ainsi s’imposer face aux expertises officielles, les contre-expertises ne peuvent seulement s’asseoir sur l’autorité scientifique qu’elles possèdent, mais les communautés épistémiques décrites en première sous partie doivent déployer une stratégie de légitimation de leurs savoirs.
Nous pouvons prendre comme illustration l’opposition politique et citoyenne face à la directive service dite Bolkestein du 12 décembre 2006. Cette directive mise en place au niveau de l’Union Européenne a fait apparaître la communication comme intermédiaire entre la logique d’expertise contestataire et la logique politique institutionnelle. En effet cet directive avait une visée économique en libéralisant les services en instaurant un marché intérieur au sein de l’Union Européenne. En pratique cela signifie qu’une entreprise dont le siège social est en Slovénie, mais qui aura des bureaux ou usines établis en France pourra faire appliquer les réglementations sociales et environnementales en vigueur en Slovénie. A l’origine de cette directive, les premières expertises ont anticipé une augmentation de 0.6% de la consommation des services et de 30 à 60% du commerce intra-européenne. Cependant cette directive a rapidement fait l’objet d’une mobilisation de la part de 21 organisations européennes, politiquement plutôt situées à gauche et altermondialistes.
Selon ces derniers, l’argument économique ne pouvait justifier la concurrence réglementaire, juridique et salariale qui aurait niveler par le bas les droits des travailleurs et les acquis en matière de protection environnementale.
Nous avons alors assisté à une instrumentalisation de l’objection afin d’échapper à l’étiquette d'eurosceptique et de rationaliser leur opposition. Selon Amandine Crespy, ce processus peut être décomposé en quatre étapes :
Une première étape de mimétisme institutionnel qui consiste à copier les mêmes procédés d’expertise que ceux de la technocratie européenne
Première étape qui trouve application grâce à la deuxième : la présence de militants-experts dont nous avons pu aborder le profil en première sous partie de cet exposé. Dans le cas de la directive Bolkestein, deux acteurs se sont démarqués Raoul-Marc Jennar docteur en science politique et membre du parti de gauche et Thomas Fritz auteur freelance spécialisé en économie, en développement et en politique environnementale.
Une troisième étape a consisté à vulgariser les amendements afin que leur portée soit compréhensible par le plus grand nombre et que la contre-expertise puisse trouver écho dans la presse généraliste et les médias
En complément de cette troisième étape, une dernière étape a été de communiquer plus largement en utilisant notamment internet facile d’accès et offrant ainsi un espace d’échange
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