Service public, une notion en mouvement?
Dissertation : Service public, une notion en mouvement?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar lanacn • 2 Janvier 2022 • Dissertation • 3 028 Mots (13 Pages) • 350 Vues
Droit administratif général
Le service public, une notion en mouvement ?
Prosper Weil écrit « S'il est facile de reconnaître un service public, rien n’est plus malaisé que de définir un service public au sens matériel du terme »[1]. Cette expression témoigne de la difficulté rencontrée par les juristes administratifs de définir cette notion. Depuis sa naissance, nombreuses définitions se sont affrontées, changeant au gré des évolutions du droit administratif et de ceux qui l’ont défini. Aujourd’hui c'est la définition donnée par René Chapus qui semble faire l’unanimité : « activité d’intérêt général assurée ou assumée par une personne publique ». Mais cette dernière laisse des zones d’ombres. Premièrement car la notion d’intérêt général, point central de la définition, est-elle aussi difficile à déterminer. Gérard Cornu dans Vocabulaire juridique délimite cela à “ce qui est pour le bien public”. L’intérêt général change donc en fonction des besoins du bien public, soit des sociétés, ce qui en fait une notion en constante évolution, influant ainsi sur les prestations proposées par le service public. Mais c’est l’évolution idéologique derrière la notion du service public qui est la plus notable. D’abord « une entité sociale »[2], le service public apparaît pour les sociétés comme une évidence, le fondement de la vie en collectivité. Politiquement, ce concept a permis à l’Etat de justifier son intervention dans la sphère privée. Mais les juristes sont méfiants face à cette plénitude d’interprétations du concept qui empêche son unité. Guillaume Tusseau considère ainsi le service public comme une notion fonctionnelle, c’est à dire une notion dont l’unité « n’apparaît qu’à travers la fonction qu’est la sienne »[3]. Cette fonction c’est d’abord celle de délimiter le public du privé, comme le souligne J. Chevalier « doivent être considérés comme « agents publics » les personnes employées dans le service public, comme « domaine public » les biens affectés au service public, comme « travaux publics » les travaux effectués en vue d'un service public ». Seulement, la fonction du service public c’est surtout depuis l’utilisation par les juristes -a posteriori- de l’Arrêt Blanco 1873 le critère de la compétence de la juridiction administrative, la notion qui constitue la base du mythe de la construction du droit administratif.
Néanmoins, l’autonomisation du droit administratif et de la notion de service public a rencontré des limites.
D’une part, cette dernière est étroitement liée à la doctrine de l’Etat providence, selon Louis Bourgeois la conception française du service public est “solidariste”. Léon Duguit écrit ainsi à propos du service public « activité dont l’accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants parce qu’indispensable à la réalisation (...) de l’interdépendance sociale ». C’est cette conviction qui justifie l’intervention de l’Etat et qui a permis l'expansion des services publics à de nombreux domaines exorbitant des attributions régaliennes de l’Etat.
Mais si ce dogme politique qui attribue à l’Etat un rôle prégnant dans la société releva pendant un temps -notamment après la seconde guerre mondiale et durant les Trentes Glorieuses- du consensus, le tournant libéral pris par les politiques de nombreux pays dans les années 80-90 apparaît comme un élément perturbateur. Ce qui a pu être qualifié de néo libéralisme semble être incompatible avec l’idée de service public. En effet, ces derniers représentent pour les libéraux une entrave à la libre concurrence, objet placé au sommet des préceptes libéraux. Pour reprendre les mots de Matthieu Renault, le néo-libéralisme c’est « vouloir ériger un « ordre économico-juridique » où la concurrence économique pourrait être imposée et réglée par le droit ». Un renversement politique semble donc vouloir prendre place : la voie vers le bien public ne se ferait plus par les services publics au nom de l’intérêt général, mais par la concurrence pure et parfaite qui par les mécanismes de marchés permettrait de satisfaire les intérêts particuliers et donc d’arriver au bien public. Cette altération de la pensée va avoir des impacts directs sur le droit du service public qui jusque-là avait construit, justifié, et juridictionnalisé son monopole des activités d’intérêt général. Il serait cependant erroné de penser que l’investissement de personnes privées dans le service public ne date que de la fin du XXème, en effet dès le début du siècle, de grands arrêts de la jurisprudence admettent et réglementent ce phénomène.
D’autre part, la construction de l’Union européenne et du droit communautaire rentre en conflit, ou du moins remet en question, la définition jusque-là attribuée au service public. D’abord une union économique, la construction européenne a fait de la libre concurrence une des bases de son idéologie et la dimension politique prise par l’union l’a conservée, entraînant un point de friction idéologique entre les deux ordres juridiques. Le droit interne français autorise les services publics à monopoliser certains services et à entraver la concurrence. La jurisprudence du Tribunal des Conflits du 6 juin 1989 dite « Garde des Sceaux, ministre de la justice (SAEDE c/ Ville de Pamiers) » confirme à l’occasion d’un différend entre la mairie de la Ville de Pamiers et la société d’exploitation d’eau SAEDE que le droit de la concurrence ne peut s’appliquer aux services publics. Cette considération s’oppose à celle du droit communautaire qui s'efforce de limiter l’intervention étatique sur les marchés. L’article 86 (ex-art 90) du Traité de Rome l’illustre : « Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment à celles prévues aux articles 12 et 81 à 89 inclus. »[4]. Ces deux visions vont donc s’opposer et changer la notion de service public.
Au regard de ces éléments, il s’agit de se demander dans quelle mesure la notion de service public a su s’adapter juridiquement aux enjeux de marchés qui ont progressivement pris en importance.
L’enjeu du privé constitua un moteur de la redéfinition du service public dans le droit interne (I). De même, la conception française de la notion fut aussi mise à l’épreuve par le droit de l'Union européenne (II).
- L’enjeu du privé : moteur d’une redéfinition du service public
L’enjeu de la place des personnes privés dans la gestion d’un service public fut le moteur de nouveaux critères d’identification du service public (A). De même, la question du régime de droit applicable lorsqu’un service public est géré par une personne privée a entrainé la division du service public en deux catégories, entrainant une nouvelle dimension à la notion de service public (B).
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