L'exorbitance de l'actionnariat public
Dissertation : L'exorbitance de l'actionnariat public. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar MOTSSLLR • 11 Octobre 2021 • Dissertation • 4 858 Mots (20 Pages) • 338 Vues
L’exorbitance de l’actionnariat public
Le contexte actuel est marqué par la contraction du secteur public. Pourtant, Anémone Cartier-Bresson constate paradoxalement une « montée en puissance du thème de l’actionnariat des personnes publiques, en particulier de l’actionnariat étatique »[1]. En témoigne l’institutionnalisation récente de la fonction d’Etat actionnaire à travers l’Agence des participations de l’Etat, la Caisse des dépôts et des consignations et BPI France.
Les formes de l’intervention économique des personnes publiques évoluent en permanence, forcées de suivre la fuite inéluctablement en avant du marché. D’activités entièrement exercées sous le contrôle d’entités publiques, l’administration n’a plus peur aujourd’hui de s’intégrer dans des structures privées et de participer au jeu économique via celles-ci. L’Etat n’est plus seulement directeur mais également collaborateur des opérateurs privés. La régulation est de plus en plus marquée par un droit mou et « négocié » avec les acteurs des secteurs concernés.
On note ainsi la multiplication des prises de participation par les personnes publiques dans les sociétés commerciales et la constitution d’un véritable actionnariat public. Fin 2014, l’Etat contrôlait directement 89 sociétés françaises, et par le biais de leurs filiales, 1 632 sociétés françaises au total, une augmentation de 191 sociétés par rapport à 2013[2]. Et ce nombre ne recouvre que les participations étatiques et majoritaires, soit une fraction minime de la réalité protéiforme de l’actionnariat public.
L’actionnaire est le « propriétaire d'actions représentatives d'une fraction du capital d'une société anonyme, dont la responsabilité est limitée au montant de son apport »[3]. Cette définition peut être étendue au-delà de la société anonyme à toutes les sociétés par actions (SCA, SAS). Contrairement aux autres sociétés, les sociétés par actions sont constituées par des actionnaires et non des associés, et ce, parce qu’elles émettent des actions, soit des titres négociables, transmissibles selon les voies simplifiées du droit commercial. Le champ d’étude doit donc être restreint à la catégorie des sociétés par actions dont la société anonyme constitue l’emblème et la matrice.
L’actionnaire dispose de droits politiques et financiers au sein de la société, ainsi que de devoirs.
L’actionnaire est public lorsque le propriétaire des actions est une personne morale de droit public : État, collectivités territoriales, établissements publics. L’actionnariat public recouvre une grande diversité de situation : il est tantôt minoritaire, tantôt majoritaire, voire exclusif. Les actions sont en elles-mêmes empreintes de diversité : actions spécifiques, actions à vote plural, actions à dividendes prioritaires, etc.
L’intervention des pouvoirs publics via l’actionnariat plutôt que la régie ou d’autres formes traditionnelles s’est accrue parce qu’elle a été encouragée : par exemple, l’application du droit de la concurrence de l’Union européenne, dont la finalité est de mettre à égalité opérateurs publics et privés, a certainement été un facteur essentiel de la « sociétisation » des établissements publics français, c’est-à-dire la transformation de ces entités en société par actions. La conséquence d’un tel mouvement est évidemment l’accroissement de l’actionnariat public puisque le seul moyen laissé à l’administration pour continuer à participer à l’activité économique « sociétisée » est de détenir des actions.
Toutefois, la montée en puissance d’un actionnariat public s’explique également par son attractivité. La société anonyme offre de nombreux avantages, notamment une souplesse dans son fonctionnement, renforçant son efficacité par rapport aux établissements publics : financements facilités, coopération accrue avec les partenaires privés et publics au sein d’une même structure, aménagements du lien entre détention de capital et pouvoirs politiques, absence de tutelle, etc. Ainsi, pour exemple, l’Imprimerie nationale, ancienne régie, est devenue une société anonyme en 1994, l’Etat cherchant à améliorer sa compétitivité.
De fait, les pouvoirs publics ont significativement multiplié au cours des dernières décennies leur participation au sein du capital de sociétés par actions. Prolongeant ce mouvement, la loi NOTRe a autorisé en 2015 la prise de participations des régions dans toute société commerciale[4].
Un paradoxe naît alors : tout en favorisant une intervention qui se détache des structures traditionnelles, les pouvoirs publics restent soumis en principe à un régime exorbitant de droit public.
L’exorbitance suppose la comparaison. Par exorbitant, il faut comprendre que le régime appliqué aux actionnaires public est original, particulier, différent de celui normalement appliqué aux sociétés par actions et à leurs actionnaires, à savoir le droit des sociétés que renferment le Code civil et le Code de commerce. Le régime appliqué en cas d’actionnariat public est exorbitant en deux points : d’une part, la structure et le fonctionnement de la société détenue en partie par des pouvoirs publics sont originaux. D’autre part, les actionnaires publics sont soumis à des règles dérogatoires du droit commun.
En principe, dans l’hypothèse où une personne publique est actionnaire d’une société par actions, deux corps de règles s’appliquent : les règles exorbitantes de droit public et, dans leur silence, les règles de droit commun du droit des sociétés.
L’exorbitance de l’actionnariat public, tant en ce qui concerne le régime des sociétés dans lesquelles existent des participations publiques, que celui applicable aux actionnaires publics, est cependant menacée.
En effet, est associée à un tel régime exorbitant l’absence d’autonomie de la société : celle-ci pourrait être vue comme schizophrène, tiraillée entre sa recherche, comme toute autre opérateur privé, de la maximisation de son profit, et les autres finalités que chercheraient à prioriser ses actionnaires publics. De plus, la présence de personnes publiques au capital est souvent vu comme une menace : l’égalité pourrait être rompue entre sociétés par actions entièrement détenues par des personnes privées, soumises au régime de droit commun, et sociétés à participation publique, qui disposent de moyens supplémentaires et exorbitants pour exercer leur activité économique.
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