Commentaire en droit administratif : arrêt « Lesourd », Conseil d’Etat, 22 juin 2007
Commentaire d'arrêt : Commentaire en droit administratif : arrêt « Lesourd », Conseil d’Etat, 22 juin 2007. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar take • 15 Novembre 2020 • Commentaire d'arrêt • 3 105 Mots (13 Pages) • 1 432 Vues
Commentaire en droit administratif : arrêt « Lesourd », Conseil d’Etat, 22 juin 2007
Dans sa formation la plus solennelle c’est-à-dire sa section du contentieux, le Conseil d’Etat a rendu un arrêt de rejet, aussi appelé arrêt « Lesourd », le 22 juin 2007 portant sur le thème de la parité homme-femme au sein des jurys de concours de la fonction publique. En l’espèce, un candidat postulant à un concours de la fonction publique pour devenir maitre-assistant des écoles d’architecture a été refusé par le jury qui a examiné sa candidature. Ce dernier demande l’annulation des résultats du concours en se fondant sur le fait que le jury n’était pas composé conformément aux règles régissant l’organisation des concours de la fonction publique. Notamment selon l’article 25 de la loi du 9 Mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes disposant que les jurys des concours de la fonction publique doivent être composés de manière équilibrée entre les deux sexes. Le requérant se retrouve donc devant le Conseil d’Etat après s’être vu d’une part refusé sa candidature au concours de la fonction publique, et d’autre part rejeté son recours grâcieux formé auprès du ministre de la culture et de la communication ayant pour objectif de faire annuler justement les résultats du concours auquel il a participé. La représentation équilibrée entre homme et femme au sein de la composition des jurys de concours de la fonction publique, fixée par la loi du 9 Mai 2001, est-elle qu’un objectif à atteindre ? Cette question renvoie aux conditions dans lesquelles le juge administratif et donc ici le Conseil d’Etat doit interpréter la Constitution afin de pouvoir interpréter par voie de conséquence une loi, mais aussi au fait de s’interroger sur les rapports entre Conseil Constitutionnel et Conseil d’Etat. Car en effet le Conseil constitutionnel avait émis une réserve d’interprétation dans le cadre d’une affaire antérieure et sur une loi différente de la loi du 9 Mai 2001 mais avec des termes analogues à celle-ci. Le Conseil d’Etat a choisi ici de rejeter la demande du requérant, aux motifs que selon lui, l’article 25 de la loi du 9 Mai 2001 ne doit être perçue que comme un objectif à atteindre et non pas une obligation à respecter. Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence déjà établie par le Conseil Constitutionnel, notamment dans une de ses décisions rendue le 12 janvier 2002 qui opère une réserve d’interprétation sur une norme comparable à l’article 25 de la loi du 9 Mai 2001. Mais étonnamment ici le Conseil d’Etat ne se fonde pas sur la décision du Conseil constitutionnel pour établir sa solution. En effet le Conseil d’Etat ici considère que « l’autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel ne s’étend pas à l’interprétation d’une autre loi que celle qui était l’objet de la décision et ce même si elle est rédigée dans des termes analogues. » (Note numéro 51 de l’Intervention de Monsieur le Vice-président du Conseil d’Etat Jean-Marc Sauvé, le 25 avril 2017 au déjeuner du Cercle des constitutionnalistes). Ainsi le Conseil d’Etat opère le même raisonnement que le Conseil Constitutionnel mais ne s’estime pas tenu juridiquement de citer la décision du Conseil Constitutionnel comme fondement de sa décision. Dans cette affaire, le Conseil d’Etat était confronté à l’obstacle de la loi-écran, lui interdisant de contrôler la constitutionnalité d’un décret édicté en application d’une loi supposée inconstitutionnelle. Pour résoudre ce problème, le Conseil d’Etat va faire le choix d’interpréter de façon conforme à la Constitution la loi du 9 mai 2001 et donc par conséquent son décret d’application du 3 mai 2002 (I), et cela dans le but d’interpréter directement celle-ci sans avoir à constater son hypothétique inconstitutionnalité. (En effet celle-ci fut adoptée sans avoir été soumise au préalable un contrôle de constitutionnalité par le Conseil Constitutionnel). Ce problème étant réglé, le Conseil d’Etat pour rendre sa décision a voulu neutraliser la loi du 9 mai 2001 tout en perpétuant partiellement la jurisprudence constitutionnelle (II), essentiellement afin d’éviter de contrarier le processus de recrutement des fonctionnaires concernés, qui se verrait peiné s’il était soumis au respect scrupuleux d’un quota de parité homme-femme au sein de la composition des membres du jury qui décide du recrutement de ces fonctionnaires.
I.Une interprétation de la loi conforme à la Constitution permettant de contourner l’écran législatif
Le Conseil d’Etat a décidé de mettre en relation les principes constitutionnels qu’il vise avec la loi du 9 mai 2001 (A) dans le but d’interpréter par voie de conséquence cette dernière (B) et donc éviter d’opérer un contrôle de constitutionnalité de la loi par un contrôle de constitutionnalité de son décret d’application.
A.La mise en relation de principes constitutionnels à la loi du 9 mai 2001
La théorie de la loi-écran soumet le juge administratif en posant le principe qu’il est impossible pour lui d’apprécier la constitutionnalité d’un décret édicté en application d’une loi inconstitutionnelle, car cela reviendrait à opérer un contrôle de constitutionnalité de la loi, mécanisme réservé exclusivement au Conseil constitutionnel. Pour contourner cette exigence, le Conseil d’Etat va décider de fonder sa décision 22 juin 2007 d’une part sur l’article 6 de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (ci-après nommée DDHC) et d’autre part sur l’article 3 de la Constitution. En effet, l’article 6 de la DDHC dispose que « Tous les citoyens… sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents. », il pose donc le principe d’égalité d’accès pour l’individu aux fonctions publiques en prenant en compte uniquement le talent de ce dernier. L’article 6 de la DDHC n’a donc pas vocation ici à imposer une condition relative au sexe des individus concernant l’accès aux fonctions publiques. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat cite juste après l’article 3 de la Constitution disposant « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » qui lui impose donc une prise en compte du sexe quant à l’accès à des fonctions politiques. Or, le Conseil d’Etat ici souligne bien que le critère de parité homme-femme est énoncé dans l’article 3 de la Constitution et non pas dans l’article 6 de la DDHC, c’est pourquoi il avance que « ces dispositions ne s'appliquent qu'à des mandats et des fonctions politiques », que dès lors la nuance était faite par la Haute juridiction entre ces normes constitutionnelles. Nuance fondamentale car c’est sur elle que va donc reposer l’interprétation de la loi du 9 mai 2001 opérée par le Conseil d’Etat. C’est pourquoi il explique que « le principe d'égalité d'accès aux emplois publics énoncé à l'article 6 de la Déclaration de 1789 exclut que, pour les candidatures à des dignités, places et emplois publics autres que ceux ayant un caractère politique, une distinction puisse être faite entre les candidats en raison de leur sexe » c’est-à-dire qu’il n’est pas possible d’effectuer une distinction en considération du sexe d’un candidat à une fonction publique. En effet, le Conseil d’Etat va considérer que cette loi puisqu’elle concerne les candidatures aux fonctions publiques, et non celles pour des fonctions à caractère politique, ne peut être interprétée qu’en considération de l’article 6 de la DDHC.
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