Faut-il craindre le regard d'autrui?
Dissertation : Faut-il craindre le regard d'autrui?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Ambroise Richard • 6 Mars 2017 • Dissertation • 2 845 Mots (12 Pages) • 6 707 Vues
Paul Valéry disait de certains regards que « s’ils pouvaient tuer, la rue serait pleine de cadavres ». Pour lui, le regard d’autrui est transperçant et serait métaphoriquement capable d’abattre quelqu’un, en un clin d’œil, en un battement de cils. Nombreux sont ceux qui redoutent le regard d’autrui, la perception qu’un alter ego pourrait avoir d’eux. Mais existe-t-il réellement une nécessité de craindre le regard d’autrui, de ressentir de l’effroi face à l’idée que l’autre pourrait se faire ? La confrontation avec ce regard doit-elle constituer une peur ? S’il est possible de considérer qu’il existe bel et bien quelques raisons de craindre le regard d’autrui, nous nous pencherons également sur le non-fondement de cette crainte, ses limites, pour enfin nous poser un nouveau problème : ne faut-il pas plutôt se craindre soi-même par rapport au regard d’autrui ?
On pense généralement qu’il existe de nombreuses raisons de craindre le regard d’autrui. En effet ce regard est considéré par l’opinion générale comme menaçant parfois même dangereux pour la personne qui s’y soumet. Les raisons de cette appréhension par rapport au regard d’autrui existent effectivement.
Tout d’abord, le regard d’autrui nous confronte à quelque chose de nouveau. Nous méconnaissons l’autre, nous méconnaissons sa perception de nous. Nous nous protégerions alors du regard de cet autre que nous ne saurions décrire, par peur de sa différence et pour défendre notre propre identité. En effet, le geste premier par rapport à l’altérité, c’est le rejet. Ce qui est autre nous dérange, nous remet en question et nous insécurise. C’est pour cette raison qu’on pourrait retrouver chez l’homme une propension à rejeter l’anormalité et la singularité, ou en tout cas ce qu’il considère comme tel. C’est ce que dégage Lévi-Strauss dans son texte « Les autres sont-ils tous des hommes » dans Race et histoire. Selon lui, tout le monde aurait une part de xénophobie enfouie. Il introduit également les notions de barbare, individu qui par définition aurait le langage inarticulé, donc que nous aurions une impossibilité à comprendre ; et de sauvage, une bête de foire, un individu qu’on montre du doigt et qu’on traite comme un animal. Ces barbares et ces sauvages seraient rejetés par les autres car ils pourraient prendre leur place, être dangereux ou imprévisibles. Mais cela, on ne peut pas le savoir puisqu’on ne connaît pas ces barbares, ces sauvages, ces autres qui prétendument pourraient porter un regard nocif sur nous. Dans ce rejet de l’autre parce qu’il est différent, il y a néanmoins une garantie de protection culturelle. En effet, cette crainte d’autrui est justifiée par Lévi Strauss par le fait que cela permet aux peuples de conserver leur identité culturelle, parfois mise en péril par la mondialisation par exemple. Le regard d’autrui peut alors être à craindre s’il met en péril la diversité culturelle.
De plus, le regard d’autrui serait considéré comme créateur d’une joute d’égos. En effet, si nous acceptions le regard d’autrui et le reconnaissions en tant qu’homme, il sera amené à nous dominer et à exercer une force de supériorité sur nous. Il ne faut donc pas être le premier à accorder à l’autre sa reconnaissance. C’est ce que soutient d’Hegel par rapport à autrui : on retrouve une dialectique maître-esclave. Il s’agirait en fait dans un premier temps d’une lutte de deux consciences régies par le désir de reconnaissance. Hegel essaye en fait de déterminer comment l’homme prend conscience de lui-même. L’homme aurait en effet une conscience de lui même immédiate et intuitive, c’est-à-dire qu’elle lui serait innée et spontanée, mais jamais confirmée. L’homme aura alors besoin de médiats pour lui confirmer cette conscience de lui même par l’extériorité. Il a un besoin irrépressible de trouver des preuves tangibles à son être, et veut être reconnu par l’autre en tant que sujet. Mais l’autre possède inévitablement le même point de vue, et souhaite être reconnu par nous, qu’il considère comme objet. Ceci découle en une lutte d’égos pour la reconnaissance qui est devenue une nécessité absolue et vitale. Dans cette lutte, on va choisir d’altérer l’autre, et ce dernier va faire de même, puisque l’on ne parvient pas à trouver de compromis intelligent. Le regard d’autrui résulte donc en une lutte altérante de pur prestige. Le parti qui accepterait en premier d’accorder à l’autre une reconnaissance humaine serait considéré comme faible et perdrait alors tout espoir d’être considéré dans son humanité. Ainsi, il faudrait craindre le regard d’autrui puisque celui ci orchestrerait une dialectique construite comme un rapport de force permanent, où l’esclave finirait par devoir accepter de ne pas être homme.
Enfin, il faudrait craindre le regard d’autrui lorsque ce dernier devient une expérience angoissante et aliénante. Nous finirions par dépendre de l’autre en nous-mêmes puisqu’il aurait le pouvoir de nous définir, de porter une image sur nous, de créer en nous un sentiment d’angoisse. Autrui engagerait et génèrerait alors des rapports de force, entravant ainsi à notre liberté et à notre existence même. Nous deviendrions alors comme enchainés au regard d’autrui, dépendants et nécessiteux de ce dernier. Le regard d’autrui se transforme en condamnation à ne pas pouvoir être seul. C’est ce que Sartre montre notamment dans Huis Clos, dans lequel il dévoile un homme toujours confronté à autrui, et jamais livré à son intériorité. En effet, ces trois personnages qui se retrouvent en enfer sont dans l’impossibilité d’échapper aux autres et à leurs regards malgré le mal que ceux-ci engendrent. Ils deviennent comme inséparables, interdépendants les uns des autres : mêmes lorsqu’ils ont la possibilité de partir ils ne le font pas. Chacun se transforme en bourreau des deux autres. Le regard d’autrui deviendrait alors pour Sartre une expérience aliénante, créatrice d’une réelle dépendance qu’il faut craindre. « L’enfer c’est les autres » disait-il à la fin de Huis Clos, le regard d’autrui est alors à craindre dans la mesure où il pourrait devenir une aliénation.
Il existerait donc bel et bien des raisons de craindre le regard d’autrui. Mais faut-il réellement en avoir peur ? Craindre le regard d’autrui ne reviendrait-il pas à se replier sur soi-même, à se soumettre à une lutte d’égos ou à s’aliéner ? Dans tous les cas présentés précédemment, s’il y a bien une raison de craindre le regard d’autrui, cette appréhension ne constitue pas moins qu’un repli sur soi. Le regard d’autrui ne pourrait-il pas au contraire
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