La vérité est-elle relative ? [Protagoras et le relativisme]
Cours : La vérité est-elle relative ? [Protagoras et le relativisme]. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar yoyo.yen • 14 Mars 2020 • Cours • 5 985 Mots (24 Pages) • 2 511 Vues
I. La vérité est-elle relative ? [Protagoras et le relativisme]
Texte de Platon, Théétète : thèse de Protagoras (Manuel page 222)
La thèse de Protagoras peut se formuler ainsi : A chacun sa vérité – La réalité est-elle entièrement relative à celui qui la perçoit ?
A. « Chacun est la mesure de ce qui est et de ce qui n'est pas » :
Littéralement cela signifie que chacun est la perspective qui perçoit/évalue/est juge de la réalité – selon chaque perception, la réalité (ce qui est et ce qui n'est pas) sera variable, peut différer : cela revient à dire que ce qu'est la réalité est relatif à :
• la perception subjective de celui qui perçoit,
• relatif aux circonstances, aux apparences (à la manière dont nous apparaît) ce que nous appelons la réalité
• (l'ensemble de ce qui est, de ce qui existe, tel que c'est) dépend de /est entièrement relative à la perception que l'on en a.
= cette relativité s'illustre parfaitement dans l'idée que si « à chacun sa perception », son impression, et son opinion, alors « à chacun sa vérité » : on est tenté de reconnaître que, sur le plan des perceptions sensibles notamment, chaque point de vue est singulier et s'il n'est pas identique à celui d'un autre, il n'y a peut-être pas de terrain commun ou identique entre ces deux points de vue ; même en adoptant le point de vue de l'autre il n'est pas certain que nous avons la même perception – nous ne percevons pas la même chose.
Dans ces conditions, faut-il en conclure que la réalité est faite d'une multiplicité de perspectives qui au mieux se complètent, ou au pire ne peuvent jamais être totalement unifiées ? Quelle définition de la vérité pouvons-nous sauvegarder si nous admettons que « à chacun sa vérité » ?
En effet, le problème est que s'il y a autant de vérités que de points de vue possibles, alors rien ne constitue une réalité commune objective en dehors de nos opinions diverses, ou de nos perceptions subjectives variables et singulières. Qu'est-ce qui peut être une mesure pour distinguer et évaluer les opinions ? Faut-il dire que toutes les opinions sont vraies quelles qu'elles soient, toutes « aussi sages » comme le dit Protagoras à propos de la perception du malade et du bien portant ? Peut-on conclure sans contradiction qu'aucune perspective sur les choses n'est plus juste qu'une autre ?
= cela reviendrait à soutenir que « tout » est potentiellement vrai ? Une idée et son contraire, en même temps et à propos de la même chose ? Sur quel critère pourrait même se fonder un « accord » éventuel entre opinions ? Et enfin, qu'est-ce qui déterminera la valeur d'une opinion, d'une vision du monde, ou des faits, si tout se vaut ?
a) Si l'on peut considérer en effet que cela est acceptable dans le domaine du goût, des préférences, de tout ce qui est sujet à appréciation (de l'agréable par exemple) et à évaluation forcément subjective (le plaisir, ou l'avantage individuel) de s'en remettre à « chacun selon sa perception », cela pourrait-il être un critère suffisant et serait-ce un critère acceptable pour ce qui concerne certains enjeux plus universels, ou d'ordre moral par exemple ? N'y a-t-il pas des domaines et des questions dans lesquelles il doit exister des repères absolus ? Tout doit-il être laissé à l'appréciation émotionnelle, affective, et subjective (relative) ?
b) Selon quel critère de valeur pourra-t-on départager et hiérarchiser peut-être les opinions ? Par exemple dans l'espace politique de la cité, est-ce la force de persuasion d'un individu qui donne de la valeur à sa « thèse » ou à son opinion ? Est-ce le degré d'adhésion à une idée qui lui donne sa valeur, sa supériorité sur une autre ? La majorité, ou l'autorité qui est attachée à une opinion sont-elles des critères objectifs de validité d'une opinion ? Ainsi : suffit-il de savoir faire changer d'idées, d'états un auditoire, pour avoir raison ? Le pouvoir de manipuler les apparences suffit-il à définir la valeur d'une opinion ? Suffit-il qu'une idée soit partagée, et admise pour être juste, pertinente, respectable ?
B. On peut construire des objections à la thèse soutenue par Protagoras, et le réfuter :
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1) Si toutes les opinions sont également vraies en même temps, aussi vraies les unes que les autres, y compris les contradictoires, alors du même coup toutes sont également aussi fausses les unes que les autres : dire qu'aucune n'est moins vraie qu'une autre, c'est aussitôt reconnaître que tout autant aucune n'est plus vraie qu'une autre.
→ on perd tout critère de distinction et de démarcation entre vrai et faux
→ la notion même de vérité n'a plus de pertinence
= tout n'est qu'apparences, changeantes et potentiellement contradictoires entre elles, et on ne peut plus dire que quelque chose est vrai (ni faux). Pas même la thèse de Protagoras, qui dit que « chacun est la mesure de la vérité » ! le beau parleur lui-même a tort ? Il se contredit lui-même.
2) La hiérarchie entre opinions et l'évaluation des opinions (leur validité, leur valeur) se fait alors selon un critère totalement instable et réduit à néant toute possibilité de différencier le meilleur, le plus ou moins juste qu'un autre. Selon quel critère juge-t-on une opinion quand ce n'est pas selon sa vérité ou sa fausseté ? Le modèle du « sage » donné par Protagoras, ce serait :
• Celui qui sait faire changer d'opinions les autres, quelle que soit cette opinion ?
• Celui qui sait agir sur les apparences, sur la façon dont les choses nous « semblent être » : le sage ce n'est plus ici celui qui sait mais seulement celui qui « sait y faire » pour produire des apparences, comme le médecin vanté par Protagoras saura faire changer d'avis le malade ?? mais la puissance de manipuler n'est pas pour autant la puissance de guérir en réalité. Même si on reconnaît la réalité de ce qu'on appelle l'effet « placebo » par exemple, et les effets réels de la persuasion, qui fait croire, cependant dans le cas de la santé et de la maladie il demeure un critère de réalité objective
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