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Faut il oublier le passé pour se donner un avenir ?

Dissertation : Faut il oublier le passé pour se donner un avenir ?. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  25 Janvier 2022  •  Dissertation  •  3 942 Mots (16 Pages)  •  624 Vues

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Faut-il oublier le passé pour se donner un avenir ?

Commentaire

Un sujet très classique, sur le rapport du passé à l’avenir qui peut permettre de mobiliser un champ de références très large. La question « faut-il » ne renvoie pas seulement à une condition de possibilité mais demande s’il s’agit ou non d’une nécessité, qui peut être d’ordre psychologique ou moral. Le sujet ne précise pas pour qui se pose la question, il faudra donc l’envisager à la fois pour un individu et une collectivité, ce qui met en jeu les notions de temps mais aussi de politique et d’histoire. « Le » passé renvoie à une réalité qui serait objective, révolue, qui aurait une forme d’autonomie propre et d’indépendance à l’égard de toute autre temps, et que par conséquent on pourrait oublier. « Le passé est le passé » dit-on couramment, c'est-à-dire déterminé, figé, par opposition à « un avenir » dont le caractère indéterminé est marqué par l’emploi de l’article indéfini. Si le passé est donné, la formulation du sujet nous invite à envisager, par opposition, l’avenir comme ce que l’on « se » donne, et ce qu’il s’agit d’ouvrir, de créer, sans référent ou modèle préalable, sans détermination a priori. Est-ce là la condition de la liberté ? L’oubli quant à lui peut être volontaire ou involontaire, ce qui dans les deux cas interroge encore la liberté à l’œuvre.

[Accroche et définitions] « S'arrêter à regarder le passé, c'est tourner le dos à l'avenir. » écrit Emile de Girardin dans ses Pensées et maximes. Qui veut vivre la carrière que le temps lui assigne ne saurait se complaire dans le ressassement nostalgique d’un passé qui n’est plus ni regretter ce qu’il a été en déplorant ce qu’il aurait pu être. Cela est vrai de quiconque entend vivre au présent et à plus forte raison encore de qui veut préparer l’avenir. Le passé, qui peut être pesant et douloureux, empli d’échecs ou d’errances, et même de violences ou de crimes, embarrasse souvent notre mémoire au point de rendre difficile l’action qu’on voudrait inventer à neuf. S’il est vrai qu’il nous est arrivé, notre être déborde ce qui a eu lieu en lui, et nous pouvons vouloir, à juste titre, nous arracher à la détermination à laquelle il menace de nous réduire. L’oublier peut apparaître alors comme une condition pour ouvrir un avenir sur lequel il n’étende pas son ombre. L’oubli, qui ignore souverainement, décide de considérer ce qui est comme n’étant pas, serait gage de liberté.

[Paradoxe] Pourtant le passé est la condition de la compréhension du présent qui ne peut fournir seul les moyens de sa propre élucidation. Loin de pouvoir être conçu comme une chose morte et isolée de notre situation présente, notre rapport à lui détermine le rapport que nous pouvons avoir à l’avenir. Il constitue en effet, qu’on le veuille ou non, l’identité d’un individu comme d’un peuple ou d’une nation et c’est pourquoi on ne saurait l’oublier, ce qui reviendrait à l’ignorer ou faire comme s’il n’existait pas, le renier et, pire encore, dénier à ceux qui l’ont vécu la réalité même de leur existence et, à ceux qui en sont pétris, cette part de leur identité.

        [Problématique] Comment l’oubli du passé peut-il être envisagé comme le garant d’une liberté dans son rapport à l’avenir ? A quel prix cependant cette liberté se paye-t-elle et l’oubli d’un passé qui fait souffrir ne redouble-t-il pas finalement le mal qu’on voudrait éviter par son ignorance ? L’être conscient, dont le propre est d’être une mémoire de soi-même, peut-il envisager un avenir qui oublie le passé sans risquer de s’y oublier soi-même ? Dès lors, entre l’excès de mémoire et le manquement à la mémoire nécessaire, quel rapport au passé permet-il de se donner un avenir et de le rendre meilleur ?

I. L’oubli du passé est vital et salvateur, il est la condition d’une fécondité du temps dans l’avenir.

A) [Argument] L’oubli est nécessaire à la santé psychologique de l’individu comme d’une collectivité. L’excès de mémoire, au contraire, le ressassement peut se comprendre comme une mise en péril de la capacité de déploiement d’un être, qui l’encombre et le paralyse ou l’inhibe. De ce point de vue, la vertu de la mémoire est largement surestimée dans la pensée morale traditionnelle. Cette évaluation procède en effet d’une volonté d’enrégimenter le comportement humain qui hypothèque sa créativité. C’est la raison pour laquelle Nietzsche ouvre la deuxième dissertation de la Généalogie de la morale par un éloge de l’oubli et montre qu’il apporte une contribution essentielle aux plus hautes valeurs humaines dans la mesure où « l’oubli est une force et la manifestation d’une santé robuste ».  Le « rôle de la faculté active d’oubli » est d’être « une sorte de gardienne, chargée de maintenir l’ordre psychique, la tranquillité » tandis que celui qui n’oublie pas « n’arrive plus à en finir de rien ». Dans la Seconde considération inactuelle, Nietzsche fustige ainsi les excès de la conscience historique, il stigmatise l’excès des études historiques qui « trouble les instincts du peuple et empêche l’individu aussi bien que la totalité d’atteindre la maturité. » et montre que « la possibilité d’oublier » est constitutive du bonheur. « Toute action exige l’oubli, comme la vie des êtres organiques exige non seulement la lumière mais aussi l’obscurité. » C’est pourquoi « il est possible de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l’animal, mais il est encore impossible de vivre sans oubli ».

B) [Argument] Cette vertu de l’oubli se manifeste à l’échelle politique et révèle sa nécessité dans le principe de la prescription et les lois d’amnistie. La prescription institutionalise l’oubli des faits dont on considère que le temps qui a passé, s’il n’abolit pas leur caractère délictueux, en exonère du moins le coupable. Celui-ci a mené sa vie, l’avenir qui s’est dessiné entre le crime ou le délit et le moment où l’on en fait état pour le prescrire justifie alors qu’on l’oublie, dans la mesure où personne n’a pu ou su s’en plaindre dans l’intervalle. Tout se passe comme si la réalité d’un avenir à partir des faits délictueux avait aboli la pertinence de les punir. La prescription protège alors celui-là même qui a enfreint la loi, contre un pouvoir de cette dernière qui serait abusif, voire considéré comme mortifère, s’il n’était limité dans le temps. Ici, en quelque sorte, c’est le fait de s’être donné un avenir qui opère de manière rétrospective sur le passé, pour ainsi dire, en justifiant qu’on l’oublie. Là où le rappel obsédant des faits rend impossible la réconciliation qui permet d’ouvrir un avenir, « l’amnistie permet de conclure de graves désordres politiques affectant la paix civile. » écrit Paul Ricoeur, dans La mémoire l’histoire, l’oubli. Lorsqu’il s’agit de retisser les liens d’une communauté politiques déchirés par des conflits ou des guerres civiles fratricides, l’amnistie fait obligation de « ne pas oublier d’oublier ». Comme le rappelle Ricoeur, son modèle le plus ancien est tiré du décret fameux promulgué à Athènes en 403 av. J.-C. après la crise induite par l’oligarchie des Trentes et la victoire de la démocratie sur cette dernière. L’histoire en fournit maints exemples, comme on peut le voir notamment dans les tous premiers articles de l’édit de Nantes. L’amnistie a alors une vertu utile et thérapeutique.

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