Faut-il oublier son passé de militaire pour gagner un avenir civil ?
Recherche de Documents : Faut-il oublier son passé de militaire pour gagner un avenir civil ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar • 31 Mai 2013 • 1 527 Mots (7 Pages) • 1 518 Vues
FAUT-IL OUBLIER SON PASSE DE MILITAIRE POUR GAGNER UN AVENIR DE CIVIL ?
Mon propos n’est pas de dire qu’il faille taire son vécu de militaire. Il ne s’agit pas non plus de ne jurer que par lui comme si l’opérationnel éclipsait tout autre métier. Il convient de nous en servir pour tracer des perspectives d’avenir. Autrement dit, dans le cadre d’une reconversion, nous avons moins à raconter ce que nous fumes qu’à révéler ce que nous pouvons être.
Ce que je souhaite ici c’est comprendre pourquoi nous avons du mal à tourner la page kaki. Comprendre comment nous pouvons rompre avec le passé tout en restant nous-même. « Deviens ce que tu es » assène Nietzsche, philosophe du Surhomme. Seulement passer du militaire au civil oblige-t-il à couper le cordon vert-armé ? Pouvons-nous ne pas être bouleversés par un tel changement ?
S’interroger sur cette coupure, c’est s’interroger sur la vie. Et s’interroger sur la reconversion, c’est se demander comment vivre pleinement les temps à venir, non ceux qui restent à vivre mais bien ceux qui la continuent. Après tout, l’existence toute entière n’est-elle pas un seul et même continuum dans lequel passé-présent-futur ne font qu’un ?
Alors, si nous faisions de notre reconversion un moment de joie supplémentaire aux autres pareils ?
QUAND IL N’Y PLUS RIEN À PERDRE, IL RESTE UN DERNIER ESPOIR : FAIRE TABLE RASE DU PASSÉ.
S’attacher au passé, c’est s’attacher à un frein à la transition mais aussi à un obstacle pour le futur. Il noue à ce qui fut, il nuit à ce qui vient. Dans cet esprit, il est criant qu’une reconversion paraît ne pouvoir advenir qu’au prix d’une rupture. En effet, ce qui ne paraît pas identique au passé, qui semble n’être pas la répétition du même, suppose un renouveau. Or faire du neuf avec du vieux n’est renaître. De même, aller de l’avant n’est pas regarder en arrière. C’est s’empêcher d’agir que de se souvenir. À quoi bon ressasser ce qui n’est plus ?
Regrets et remords conduisent à pleurer sur le présent et à désespérer de l’avenir.
Pourtant, pouvons-nous si aisément faire fi du passé comme s’il ne valait plus rien ? Non ! D’abord, parce que le désavouer serait désavouer les relations humaines que nous avons tissées et entretenues. Cette cohésion qui a forgé nos personnalités dépasse les limites de nos casernes, franchit l’espace des années, elle nous relie à l’humanité toute entière. Les camarades d’hier nous portent vers nos collègues de demain. Ainsi est-ce parce que nous avons partagé des histoires que nous pouvons en capitaliser d’autres.
Sans les sentiments, nous serions sans épaisseur. Sans affect, nul est humain !
Oublier n’est pas non plus tirer un trait sur son passé, le rejeter en bloc. Le risque de nier son passé est de se renier soi-même. Or encore une fois, ce sont nos relations croisées qui nous confèrent notre identité sociale. Et c’est cette identité qui nous fait être « tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui » ; cette unité compte plus que tout, puisqu’elle nous constitue chacun.
Alors, plutôt que de rompre avec son passé, apprenons à le dépasser.
IL FAUT SE SOUVENIR ET OUBLIER. OUBLIER COMMENT ET SE SOUVENIR DE QUOI ?
Une fois admis que l’existence s’écoule, que ce qui fut ne sera plus, il n’y aucune raison de se débattre pour remonter à la source du temps ou arrêter son flot inéluctable. Nous ne pouvons pas plus défaire ce qui a été que nous n’avons d’intérêt à reproduire de l’antériorité. Le présent étant par conséquent ce qui s’impose, composons donc avec la réalité. Elle seule ouvre des possibles. Réconcilions nous autant avec nous-même qu’avec le « terrain qui commande ».
La réalité exige en premier à faire le deuil de ce qui n’est plus et à en éviter d’en fabriquer une pâle copie. Il convient donc de ne pas vivre son nouvel état de civil sur le mode de l’absence de son statut de militaire. Apprendre à « vivre sans », c’est parvenir à construire un nouveau rapport au monde. Cette opportunité de passer à autre chose annule la mélancolie tueuse de l’estime de soi.
La réalité engage également à différencier ce qui est utile de ce qui est inutile. En un mot, se souvenir consiste à oublier et oublier c’est sélectionner. Une hypermnésie nuit à l’imagination. Trop de mémoire abolit toute créativité, le cerveau n’a plus de place pour une pensée nouvelle. Pour ne pas être écrasé par le poids du passé, il importe de distinguer, discerner, hiérarchiser ce que nous retenons de ce que nous gardons en réserve, ce que nous gardons en réserve de ce que nous rejetons véritablement.
Vital, oublier est aussi une question de bonheur. Qui vit vraiment ne doute pas que la vie lui réserve encore de bonnes surprises. Qu’importe ce qu’il a vécu, il espère toujours en son destin. Qui vit au présent aime chaque instant. Qui vit croit. Qui croit… croît. Qui se reconvertit doit se vouer tout entier à son futur, non restaurer un passé idolâtré. Pour les inscrire dans un temps prometteur, ses projets ne seront heureux que s’il refuse de rabâcher des choses précédentes et qui n’ont plus de motif de perdurer.
EN EFFET, ROMPRE AVEC SON PASSÉ N’EST PAS SYNONYME D’OUBLIER.
Encore une fois, il ne s’agit pas d’ignorer ce que nous avons été. Rompre n’est pas détruire mais bâtir. Bâtir non au sens de reproduire pareillement mais de créer du nouveau. La reconversion ne mène pas à un déracinement, mais bien à une transplantation. La plante reste la même, elle change seulement de terreau. Et il y a tout lieu de penser que si le jardinier la soigne bien, elle ne puisse fleurir de plus belle dans un environnement tout autre. À nous d’être, telle la vie, une force qui va !
Un autre parallèle est possible. Le reconverti ne peut être comparé à un voyageur sans bagages. Imaginons le désastre et sa solitude. Il s‘aventurerait démuni, ignorant quoi faire de sa propre histoire et à qui en parler, sans boussole, sans carte. Sans repères, il serait perdu et isolé au milieu d’une foule oppressante. C’est la raison pour laquelle il doit porter son passé à bout de bras, non pour le brandir mais pour s’y appuyer. Cet héritage lui permet d’éclairer sa lanterne. Sa lanterne éclairée, il voit et il est vu.
La solution idéale consiste à faire de son passé un présent. Un présent dans l’acception de « don ». En effet, notre rapport au passé doit être actif, non passif. Si nous voulons nous donner un avenir, méfions-nous de la fascination du passé qui s’épuise dans une vaine nostalgie. Nous devons en revanche mettre en œuvre un processus de tri sélectif. En l’occurrence, classer ses compétences et qualités et analyser celles qui sont transférables en l’état de celles qui méritent d’être valorisées est finalement la première démarche utile à accomplir sur son passé militaire.
Encore faut-il acquérir de cet esprit critique qui consiste à voir clair. Ainsi, se remémorer son passé n’est pas se raconter d’histoires. De fait, le danger de se représenter son passé, c’est de prendre la pose du spectateur. Loin de l’examiner, nous le reconstruisons alors. Le modifiant au gré de nos envies, nous finissons par focaliser sur des événements qui n’ont pas eu lieu ou qui nous arrangent. Dès lors, quelles leçons pourrions-nous tirer de ces fictions ? Quels attraits peuvent-ils avoir ? Nous ne devons ni fantasmer notre passé ni le rendre artificiel sans prise avec le réel. Notre passé ne vaut qu’à l’aune de ce que nous en faisons, et ce que nous en faisons durant la reconversion c’est le marché de l’emploi qui le dicte.
Le réel n’étant pas du cinéma, vivre ne s’invente donc pas.
L’interrogation « faut-il rompre avec son passé » est une utopie et une hérésie.
C’est impossible parce que s’obliger à oublier c’est s’obliger à penser de ne pas y penser. Et un outrage parce que le passé mérite, quel qu’il fut, une attention et du respect. De fait, avoir un passé est une chance à la condition de ni le travestir ni de s’y complaire. L’avenir s’ouvre en effet avec les clefs du passé. Le présent sert à les assembler en trousseau. Voilà pourquoi et comment le passé ne doit être ni oublié ni sublimé, mais assimilé. Nous n’avons pas trop d’une vie pour nous approprier notre propre histoire, c’est-à-dire pour nous assumer.
Oui, aller de l’avant est le contraire de courir après un passé qui n’est plus ou de se réfugier dans un passé à refaire. Aller de l’avant c’est aller dans le sens de la vie, or la vie est mouvement et changement. C’est la raison pour laquelle la reconversion n’est pas plus une seconde chance qu’une nouvelle vie, elle est mieux que ça, elle est toujours votre vie, car votre vie est unique et en continu. Oui, vous n’avez qu’une vie, alors vivez-là jusqu’au bout, alors vous la vivrez au-delà ! En résumé, il y a bien une vie après l’armée et elle est belle tout autant.
Précisément n’est-ce pas ce dépassement de nous-même que notre vécu militaire nous a enseigné…
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