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Dissertation Les lettres Persanes - Le regard éloigné

Cours : Dissertation Les lettres Persanes - Le regard éloigné. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  7 Mai 2021  •  Cours  •  2 296 Mots (10 Pages)  •  719 Vues

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Synthèse : le regard éloigné dans les Lettres persanes

Le recours au « regard éloigné » permet à Montesquieu une critique politique, sociale, religieuse de la société française de son époque : par le prisme du regard étranger et étonné des persans, la société du XVIIIe siècle est analysée avec lucidité et détachement.

Usbek, le plus âgé, apparaît aussi comme le plus sage, celui dont la réflexion est plus profonde, philosophique : il semble être le double de Montesquieu.

Rica, plus jeune, évoque des sujets plus futiles, et fait preuve d’ironie et d’auto-dérision.

L’exil d’Usbek

Le roman nous invite cependant à adopter nous aussi un « regard éloigné », c’est-à-dire à faire preuve d’esprit critique. En effet, le roman épistolaire nous manipule, en nous offrant la version écrite par chacun des personnages : mais où est la vérité ?

Ainsi, Usbek dit au début du roman qu’il a quitté la Perse « pour aller chercher laborieusement la sagesse » (« Rica et moi sommes peut-être les premiers, parmi les persans, que l’envie de savoir ait fait sortir de leur pays, et qui aient renoncé aux douceurs d’une vie tranquille, pour aller chercher laborieusement la sagesse. ») Il faut attendre la lettre 8, adressée à son ami Rustan, pour qu’Usbek revèle la véritable raison de son voyage : « je partis, et je dérobai une victime à mes ennemis ». Il est en danger de mort en Perse, car il s’est fait des ennemis : « ma sincérité m’avait fait des ennemis ». Mais puisque Usbek est capable de mentir sur les raisons de son exil, ne ment-il pas aussi sur les raisons pour lesquelles ses ennemis veulent le tuer ? Il fait en effet un portrait très élogieux de lui-même : « j’osai être vertueux », « je portai la vérité jusques au pied du trône », mais qu’en est-il réellement ? Le lecteur doit-il se fier au lettres d’Usbek ? C’est le premier problème posé par le roman épistolaire.

Le sérail, un univers complexe

De même, toujours dans le cadre du roman épistolaire, donc polyphonique (à plusieurs voix), le système du sérail n’apparaît au lecteur que partiellement, de façon fragmentée, au fur et à mesure des lettres, et il faut être attentif pour en comprendre la complexité : cette fragmentation des témoignages et des positions rend difficile au lecteur l’appréhension d’un système inconnu. « Tu es le gardien fidèle des plus belles femmes de Perse », déclare Usbek au premier eunuque noir (lettre 2). L’eunuque garde donc les femmes au sein du sérail, femmes qui semblent aimer Usbek, à l’instar de Zachi dans la lettre 3 (“J’errais d’appartements en appartements, te cherchant toujours, et ne te trouvant jamais”).

Mais, dès la lettre 4, des failles font jour : Zéphis conteste le pouvoir de l’eunuque (« ce monstre noir a résolu de me désespérer »), dans la lettre 7, Fatmé indique que le sérail n’existe que pour et par Usbek (« je ne vis que pour t’adorer »), perdant toute signification en son absence. Les lettres montrent aussi l’équilibre fragile qui règne au sein du sérail : hiérarchie entre les eunuques, rivalité entre les femmes, position ambiguë des eunuques (ils commandent et obéissent à la fois). Enfin, la lettre 9 est un terrible témoignage du premier eunuque, qui évoque la violence et la cruauté d’une castration imposée par chantage (« lorsque mon premier maître eut formé le cruel projet de me confier ses femmes, et m’eut obligé, par des séductions soutenues de mille menaces, de me séparer pour jamais de moi-même »), et la douleur d’un désir non assouvi : « Hélas ! on éteignit en moi l’effet des passions, sans en éteindre la cause ». Pour supporter cette situation d’infériorité et d’humiliation, l’eunuque se venge alors sur les femmes, qui elles-même se vengent sur lui : c’est « un flux et un reflux d’empire et de soumission », univers cruel et despotique dans lequel celui qui est soumis tente de recouvrer, fût-ce de façon éphémère, un semblant de liberté en opprimant son oppresseur.

Le sérail, un régime despotique

Par le biais du sérail, Montesquieu permet au lecteur une réflexion politique : il recrée en effet un univers despotique, dans lequel tous les pouvoirs sont au sultan. Le ressort d’un tel pouvoir est la crainte : on obéit car on craint pour sa vie « Oderint, dum metuant ». Mais un tel pouvoir est fragile : en l’absence du tyran, la crainte s’affaiblit, la révolte gronde.

C’est ainsi que le sérail s’effondre à la fin du roman.

Usbek, un tyran antipathique

Ainsi Usbek, si philosophe et critique face au monde occidentale, est un tyran dans son monde : de quel droit peut-il alors juger le nôtre ?

Effectivement, si le lecteur est attentif au texte, Usbek, se révèle antipathique : il dit ne pas aimer ses femmes dans la lettre 6 « ce n’est pas, Nessir, que je les aime : je me trouve à cet égard, dans une insensibilité qui ne me laisse point de désirs ». En homme de pouvoir, seule la jalousie le gouverne « il sort une jalousie secrète qui me dévore »

De même, il exerce un pouvoir tyrannique envers ses eunuques, les humiliant et les menaçant de mort : « Et qui êtes-vous, que de vils instruments, que je puis briser à ma fantaisie ; qui n’existez qu’autant que vous savez obéir. »

La lettre 155, ultime lettre qu’écrit Usbek avant que le lecteur n’assiste à l’effondrement du sérail, est révélatrice de l’absence totale de compassion d’Ubek envers ses pairs : « Je vis dans un climat barbare, présent à tout ce qui m’importune, absent à tout ce qui m’intéresse ». Usbek n’a donc rien appris de son voyage, il est malheureux en Occident. Mais il est conscient qu’il lui est aussi impossible de rentrer en Perse : il subirait le châtiment qu’il a fui, et retrouverait un sérail en déliquescence. « Rebut indigne de la nature humaine, esclaves vils dont le cœur a été fermé pour jamais à tous les sentiments de l’amour, vous ne gémiriez plus sur votre condition, si vous connaissiez le malheur de la mienne ». Ce sont les derniers mots d’Usbek dans le roman. Mots de haine, mots d’un égoïste qui ose comparer sa situation à celle des eunuques. Usbek ne peut que sembler antipathique au lecteur.

Rica, un personnage plus profond qu’il n’y paraît 

Dans la lettre 141, Rica fait part de sa discussion avec une dame de la cour : « Elle me fit mille questions sur les mœurs des Persans, et sur la manière de vivre des Persans. Il me parut que la vie du sérail n’était pas de son goût, et qu’elle trouvait de la répugnance à voir un homme partagé entre dix ou douze femmes. Elle ne put voir, sans envie, le bonheur de l’un ; et sans pitié, la condition des autres »

Après la discussion, Usbek lui envoie une « conte persan » : or ce dernier décrit un sérail sur lequel règne un tyran, nommé Ibrahim, qui ressemble fort à Usbek. Ce tyran tue l’une de ses femmes, Anaïs, car elle s’oppose à son autorité (récit qui rappelle le personnage de Roxane). Anaïs se rend ensuite dans le « séjour des délices », sorte de paradis dans lequel elle devient sultane : tous ses désirs sont exaucés, deux hommes « la reçurent dans leurs bras ». Il lui faut huit jours pour sortir de cet état extatique, et pour se rappeler l’enfer qu’elle a quitté : elle ordonne alors à un des jeunes hommes de pendre la figure de son mari et de le chasser du sérail, en prenant sa place. Le faux Ibrahim accompli sans difficulté sa mission, prend la place du sultan : « il congédia tous les eunuques, rendit sa maison acessible à tout le monde : il ne voulut même pas souffrir que ses femmes se voilassent ». Le lecteur comprend, par le biais de ce conte, que le monde oriental est lui aussi conscient de ses erreurs : mais la nature humaine est telle qu’il est plus facile de se laisser aller à ses vices que de pratiquer la vertu. En envoyant ce conte, Rica signifie au lecteur qu’il est d’accord avec les réticences de la dame de cour, mais qu’un bon sérail est possible, à condition que le sultan ne soit pas un despote. Rica s’oppose donc implicitement à la conception du sérail d’Usbak. C’est pourquoi les deux hommes sont en désaccord à la fin du roman : la dernière lettre d’Usbek (lettre 155) nous montre un homme éploré et seul : « J’ai pressé mille fois Rica de quitter cette terre étrangère : mais il s’oppose à toutes mes résolutions : il m’attache ici par mille prétextes : il semble qu’il ait oublié sa patrie » (155). Rica s’est donc assimilé et refuse de partir.

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