Les petites cases
Étude de cas : Les petites cases. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Antsaniaina Stephanie RAOELISON • 14 Novembre 2023 • Étude de cas • 5 674 Mots (23 Pages) • 127 Vues
LES PETITES CASES
Au départ, j'ai été recruté par Henri, le directeur du bureau projets d'EnergyCorp, un groupe spécialisé dans le domaine de l'efficacité énergétique. Il m'a expliqué : « la compagnie connaît en ce moment des bouleversements majeurs: non seulement on a un nouveau PDG, Gérard, mais en plus on réorganise complètement nos activités pour gagner en efficacité. J'ai besoin d'un chef de projet à temps plein sur place. Quelqu'un en qui je puisse avoir totalement confiance et qui s'occupe de mettre en musique une réorganisation d'envergure ». Composé d'une équipe de cinq experts, directement rattaché à la direction générale, le bureau projets joue un rôle de stratège, d'organisateur et de chef de projet pour le compte du PDG.
Je connais Henri sur le bout des doigts. À l'époque où j'étais consultant externe dans un grand cabinet français, j'ai travaillé sur plusieurs grosses missions de développement stratégique avec lui. Il a l'âge d'être mon père, d'ailleurs, il se considère un peu comme mon papa dans le métier. À juste titre : tout consultant que j'étais, c'est de mes clients que j'apprenais le plus. Ma maîtrise des HEC en poche, c'est pour cette raison que j'ai choisi ce métier: pour profiter d'un apprentissage accéléré au contact de grands profes-sionnels. Développer une vision systémique de l'entreprise, une capacité à formalisation, une souplesse dans la relation. Mais après cinq années et une douzaine de missions, on finit par s'user. Il y a une pointe de servilité dans le métier de consultant, car c'est pour les autres que l'on travaille. Depuis peu, j'ai donc accepté un poste de directeur dans une petite entreprise, et mes anciens clients savent que je suis « à l'écoute du marché ».
Pour me convaincre d'accepter le poste, Henri m'a fait une proposition qui ne se refuse pas. « C'est toi que je veux et personne d'autre, m'a-t-il dit. Tu comprends, j'ai besoin de quelqu'un pour jouer le rôle de sherpa auprès du nouveau PDG, un rôle de conseiller du prince à la fois très technique et très politique.
Je ne pourrai pas mener la réorganisation moi-même, parce que je dois me focaliser sur des projets de développement d'envergure. Et puis mes relations avec Gérard sont un peu particulières. Tu auras une petite équipe très opérationnelle pour travailler avec toi. Je t'offre un salaire de 100K hors primes, sans compter tous les avantages qu'il peut y avoir à travailler dans un groupe comme EnergyCorp ». Une heure après cette conversation, j'appelais mon employeur pour démissionner.
« Rationaliser l'organisation »
EnergyCorp se spécialise dans ce qu'on appelle au sens large « les services en efficacité énergétique », avec trois métiers distincts: (1) la production et la distribution d'énergie (réseaux de chaleur, cogénéra-tions, centrales de production - on parle de CFU pour chaud/froid urbain); (2) la gestion de la performance énergétique des installations (exploitation et maintenance, formation des usagers, contrat global de performance énergétique - on parle de GM pour gestion/maintenance) et (3) l'intégration de service (gestion d'immeubles, multi-site, partenariats publics privés - on parle de FM pour facility management). Dans ces trois domaines, le groupe propose des prestations aux clients publics et privés dans le cadre de contrats qui décrivent les installations couvertes, les modalités techniques de mise en œuvre, les conditions de facturation, etc.
Le métier d'EnergyCorp touche donc à l'ensemble du « processus de production et de gestion de l'énergie », depuis l'approvisionnement sur les marchés, en passant par la conception et le maintien d'installations (essentiellement des chaudières), pour finir par l'assurance et la prise en charge de services connexes comme le nettoyage ou la petite logistique. Les techniciens de la compagnie peuvent intervenir chez des particuliers, pour réparer un chauffe-eau ou installer une climatisation, comme ils peuvent concevoir et gérer un réseau de chaleur alimentant une ville entière. C'est pour cette raison que l'entreprise intègre, en plus de ses activités d'exploitation, des activités de conception (bureau d'étude) et de finan-cement, liées à aux montages complexes qu'elle offre à certains gros clients. Pour un musée ou un ministère par exemple, EnergyCorp s'occupe aussi de la gestion d'immeuble au sens large facility manage-ment) : nettoyage, sécurité, accueil, etc.
EnergyCorp est une compagnie « bâtarde » structurée de façon un peu anarchique autour de plusieurs fonctions et divisions, réparties selon des logiques tantôt liées au métier, tantôt à la géographie, et tantôt issues du développement historique de l'organisation. Ainsi, on trouve chez EnergyCorp 4 divisions principales : la division Conrad spécialisée dans les gros réseaux de chaleur (CFU); la division Delors qui se focalise essentiellement sur la gestion/maintenance de petites installations (GM) et le facility management (FM); la division Concept qui intègre le bureau d'études, et enfin la division Financiaris, sorte de banque interne à l'entreprise, qui gère les montages financiers des grosses installations. À ceci s'ajoutent, évidemment, de nombreuses fonctions support réparties entre le siège et les divisions. La compagnie compte environ 800 salariés, dont 500 chez Conrad et Delors.
Si les divisions se focalisent sur un métier particulier, il n'est pas exclusif : on trouve aussi du GM chez Conrad et du CFU chez Delors. Bien que faisant partie du même ensemble, les divisions ont un historique et une culture propres, voire antagonistes. Ainsi, les salariés de Conrad marquent leur différence avec ceux de Delors, car l'activité GM est la moins rentable du marché, et qu'elle est techniquement moins complexe. Chez EnergyCorp, il est fréquent que les salariés se toisent, refusent d'échanger des informations cruciales, ce qui complique les tâches de coordination. Cette rivalité est accentuée par des conflits de personnes et par des « contresens organisationnels », comme le doublonnement de nombreuses fonctions support entre le siège et les divisions. De l'aveu d'Henri, « l'existence de cette structure est aussi le résultat du mode de gestion des précédents propriétaires qui envisageaient de vendre le groupe par divisions autonomes, en se servant sur la bête au passage. Et puis Conrad et Delors, les deux anciens patrons des divisions, se haïssaient au plus haut point ». Ces pratiques ont contribué à créer un climat de tension et d'incertitude qui pèse sur le moral des salariés, mais qui joue en faveur de la réorganisation: tout le monde attend « un nouveau projet d'entreprise clair et mobilisateur » avec une sincère bienveillance.
...