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Tradition et modernité chez Tahar Ben Jelloun et Mariama Bâ

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Par   •  2 Juin 2022  •  Dissertation  •  3 215 Mots (13 Pages)  •  696 Vues

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Tradition et modernité

Sur ma mère et Une si longue lettre

Tradition et modernité se mêlent souvent dans la littérature maghrébine ou africaine en général. Les sociétés traditionnelles évoluant de plus en plus, les coutumes ne sont alors plus forcément au goût du jour. Toutefois, il est intéressant de voir comment la littérature les relatent, quelles grandes questions elle soulève, et parfois dénonce. Dans Une si longue lettre, Mariama Bâ discute le sujet de la polygamie. Ramatoulaye est l’héroïne dans ce roman raconté de façon épistolaire. Aïssatou, sa meilleure amie, en est la destinataire. À travers ce roman, l’autrice raconte la vie quotidienne des femmes africaines, mais relate surtout la douleur de Ramatoulaye qui prend pour épouse une seconde femme après vingt-cinq ans de mariage. Dans ses lettres, elle expose ainsi les problèmes dans la société sénégalaise, souvent d’ordre traditionnel. Sur ma mère de Tahar Ben Jelloun est également un roman rythmé par les traditions et les coutumes marocaines. Il y écrit la vie de Lalla Fatma, sa mère, une femme qui s’est toujours pliée aux usages. Bien que les thèmes centraux soient plutôt la maladie, l’oubli, ou encore la solitude, Tahar Ben Jelloun ne cesse de nous introduire aux traditions de son pays, notamment celles des femmes du Maroc. Toutefois, l’évolution et la modernité se font ressentir de différentes façons dans ces deux romans. Dans ce cours mémoire, nous verrons comment tradition et modernité se mêlent et évoluent entre les deux romans. Nous analyserons dans un premier temps les relations hommes-femmes d’une société patriarcale en Afrique, en se concentrant sur la conception du mariage. Ensuite, nous étudierons la façon dont les funérailles sont présentées dans ces romans, puis nous terminerons par différentes considérations propres aux deux ouvrages, touchant à la tradition et à la modernité.

        Le mariage occupe une place prépondérante tout au long des deux œuvres que nous étudierons. Il est vu comme une vraie institution, qui rythme le cœur de chacune des sociétés. On le ressent particulièrement dans le livre de Tahar Ben Jelloun Sur ma mère où la cérémonie de mariage de Lalla Fatma nous est décrite dans les moindres détails. En effet, tout commence par la demande même en mariage, assez singulière et énigmatique. La narratrice relate un épisode au hammam, lorsqu’une dame vient demander « un peu de rassoul » à sa mère. Elle verra cette dernière lui en donner, tout en précisant : « (…) il vient de chez Chrif Wazzani, il sent bon et puis il fait du bien à la peau. ». La narratrice s’exprimera par la suite : « J’entendais cette discussion sans me douter que c’était une demande en mariage. » (p.15). Ainsi le premier élément traditionnel concernant le mariage nous est exposé ici, les femmes du Maroc avaient coutume de choisir des épouses pour leur fils dans les hammams, de façon très peu conventionnelle et presque ambigüe, pour qui n’est pas initié à cette coutume. Les critères de sélection sont tout aussi intéressants et traditionnels. On apprend plus loin qu’en réalité la mère de la jeune Lalla Fatma ne connaît rien du prétendant, si ce n’est : « Tout ce que je sais, c’est que c’est un jeune homme de qualité, issu d’une excellente famille aux origines bien connues (…) ». Ainsi, ce qui importe est l’origine, la renommée de la famille, et non pas l’individu en lui-même et ses qualités comme pourrait l’attendre une société plus moderne. Les coutumes de mariage se poursuivent avec la fameuse cérémonie du hammam où de nombreuses traditions se succèdent. La mariée se fait masser, laver, avant qu’arrive le « moment du taqbib » le versement d’une eau sur la tête de la future mariée, dans un récipient qui proviendrait de La Mecque, et lui apportant protection. Ensuite, nous est relaté le fameux épisode des préparatifs de la nuit de noce, avec la recommandation de la doyenne des négafats concernant le sang de la première nuit : « (…) on a besoin du sang sur ton séroual tout blanc (…) et surtout que tu nous prouves à nous toutes et tous que tu es vierge (…) ». Cette tradition du sang de la nuit de noces était relativement répandue dans la culture arabo-musulmane, aussi appelée « la coutume du drap » ou « de la chemise tachée de sang ». Le lendemain de la nuit de noces, le linge était exposé, de sorte à servir de preuve de la rupture de l’hymen de la jeune épouse. En outre, après la première nuit, il nous est indiqué que c’est le « jour du sbohi » soit une tradition qui consiste à envoyer des plateaux pleins de fruits secs à la belle-famille en signe de satisfaction. Concernant Mariama Bâ, les traditions dans le mariage se font surtout ressentir à travers la pratique de la polygamie. Ramatoulaye a une cinquantaine d’années et elle a douze enfants avec Modou Fall. Mais après vingt-cinq ans de mariage avec Ramatoulaye, Modou décide d’épouser la jeune fille Binetou. Cette dernière est une amie de leur propre fille Daba. Dans le roman, Mariama Bâ nous décrit la polygamie comme une institution humiliante et blessante pour les femmes qui sont concernées et la subissent. Modou néglige beaucoup Ramatoulaye après son second mariage, il ne lui offre plus d’affection et n’est plus présent pour ses enfants. Ramatoulaye n’approuve pas du tout son nouveau statut : « J’étais offusquée. Il me demandait compréhension. Mais comprendre quoi ? La suprématie de l’instinct ? Le droit à la trahison ? La justification du désir de changement ? Je ne pouvais être l’alliée des instincts polygamiques. Alors comprendre quoi ? » (p.68-69). De même, la grande amie de Ramatoulaye, Aïssatou, a également subie la polygamie, elle ne l’a également pas acceptée et a décidé de se séparer de son époux Mawdo. Elle lui écrit d’ailleurs une lettre poignante, en finissant sur ces mots très profonds : « Je me dépouille de ton amour, de ton nom. Vêtue du seul habit valable de la dignité, je poursuis ma route. Adieu. » (p.29). Ainsi on peut y voir un premier élément de modernité à travers la façon de ces femmes de faire face à l’oppression. Aïssatou refuse le rôle secondaire d’épouse qui lui est attribué par son mari, et le quitte. Elle décide de divorcer et de s’exiler à l’étranger, aux Etats-Unis, où elle peut accomplir ses projets de vie en toute liberté. Quant à Ramatoulaye, le mariage semble prendre le dessus mais elle ne peut quand-même pas supporter la cohabitation. Modou force alors Ramatoulaye à vivre seule, avec leurs enfants. Toutefois, si celle-ci semble condamnée à rester enfermée, c’est l’émancipation et la liberté qui viennent à elle par le biais d’Aïssatou qui lui achète un jour une voiture, symbole de la mobilité, liberté. De plus, plus loin Ramatoulaye fera part à son amie de son envie de potentiellement refaire sa vie, ce qui témoigne de son évolution et de son état d’esprit de plus en plus moderne. Par ailleurs, lorsque son beau-frère, Tamsir, la demande en mariage, elle refuse. Elle rapporte qu’effectivement « selon la coutume » le beau-frère « peut hériter de la femme », mais apportera une réponse néanmoins très franche et aux sonorités féministes : « Tu oublies que j’ai un cœur, une raison, que je ne suis pas un objet que l’on se passe de main en main. Tu ignores ce que se marier signifie pour moi : c’est un acte de foi et d’amour, un don total de soi à l’être que l’on a choisi et qui vous a choisi » (p.109-110). La polygamie est également présente dans le roman de Tahar Ben Jelloun. Après le décès de son premier époux, Lalla Fatma est rapidement remariée à un homme dont la première femme est malade. Le second époux décédé, elle sera remariée pour une troisième fois avec un homme ayant également une première épouse dont il divorcera lorsque Lalla Fatma sera enceinte. Toutefois, on note une nette différence entre la figure féminine de Sur ma mère et les figures féminines de Une si longue lettre. En effet, Lalla Fatma ne conteste pas le statut de coépouse et l’embrasse parfaitement. Elle ne se bat pas pour s’émanciper et acquérir sa propre liberté, comme l’ont fait Ramatoulaye et Aïssatou. Pour Lalla Fatma, qui est très jeune lors de ses différents mariages, c’est le destin et il convient de l’accepter. La conception du mariage est donc rythmée par les traditions dans ces deux romans, où se dégage tout de même quelques éléments de modernité, notamment chez Mariama Bâ. Si le personnage de Lalla Fatma est quant à lui particulièrement ancré dans les coutumes, nous verrons que Tahar Ben Jelloun nous dresse également un personnage aux antipodes de celui que nous venons de voir. Mais avant cela, nous pouvons nous intéresser à un second aspect des romans, qui est le thème des funérailles.

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