Jean-Luc Lagarce
Commentaire d'oeuvre : Jean-Luc Lagarce. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar SuperNovaTL • 21 Mai 2023 • Commentaire d'oeuvre • 1 797 Mots (8 Pages) • 172 Vues
Le monologue de Louis : I, 5 (scène complète)
Jean-Luc Lagarce (1957-1995) est un dramaturge, comédien et metteur en scène français reconnu du XXe siècle. En 1988, il apprend qu’il est séropositif et sait désormais que ses jours sont comptés et entreprend, en 1990, un voyage à Berlin où il écrira en trois mois Juste la fin du monde, œuvre testamentaire et certainement la plus connue de Lagarce, elle est également la seule de ses pièces à avoir été refusée par les maisons d’édition. Assurément sa pièce la plus jouée, Juste la fin du monde, met en scène un jeune homme de 34 ans, Louis, atteint du sida et devant annoncer sa mort prochaine à ses proches après douze ans d’absence. Tout au long de la pièce, la crise personnelle et intérieure de Louis se retrouve confrontée à une crise familiale, imprévue, somme de toutes les crises personnelles des autres personnages. Dans cette scène 5 de la 1ère partie, le spectateur et lecteur découvre un Louis seul face à son destin tragique et noyé dans son secret. Dans ce monologue, les zones d’ombres et les non-dits mettent en lumière la crise intérieure dont souffre Louis. A travers l’étude de la quête existentielle qui semble traversée Louis dans ce monologue et la mise en lumière de l’échec du dialogue, symbole d’une parole en crise, il s’agira de se demander en quoi ce monologue est-il un tournant dans la crise personnelle de Louis et de la crise familiale en elle-même en mettant à nu les ressorts de celles-ci.
DEVELOPPEMENT
I. AXE = QUETE EXISTENTIELLE
Dans ce monologue en versets concentré en à peine 4 phrases, Louis évoque un rêve, une « impression » qu’il a eu au réveil, qui l’ont amené à un constat implacable concernant sa relation avec sa famille ou plutôt son « absence » de lien avec celle-ci : « on m’aimait déjà vivant comme on voudrait m’aimait mort » écrit-il à l.67. En effet, à travers cette comparaison, Louis comprend qu’il est comme déjà mort pour les autres car il s’est isolé de sa famille, et ce, même si celle-ci ne sait pas encore la nouvelle. Son départ les a forcés à l’aimer, sans le voir, comme l’on ferait d’un défunt. Or, Louis se rend compte qu’ils sont devenus étrangers les uns aux autres. Il est un revenant, il revient du côté des vivants (avec paradoxalement, la mission de dire qu’il va mourir).
Cette idée qui n’était qu’une « pensée étrange et claire » (l.22) au réveil s’impose maintenant à Louis comme un constat « étrange et désespéré et irréductible encore » (l.65-66). La connotation devient beaucoup plus négative, pessimiste et donne lieu à une vision tragique des relations humaines et du langage.
Louis est seul. Seul face à lui-même, seul sur scène et seul « au milieu des autres ». Une barrière infranchissable semble s’ériger entre lui et ses semblables, entre lui et sa famille. Louis exprime en antithèse, un paradoxe : « la solitude dans la foule » (l.47), qui est l’obsession de toute l’œuvre de Lagarce et son problème existentiel. D’un côté, on remarque les polyptotes « proches », s’approche », « s’approchèrent » (l.14, 15) et d’un autre la négation du verbe « aimer » à tous les temps, « ne m’aime plus, ne m’aima plus » (l.19) qui souligne, une fois de plus, le manque indéniable ressenti par Louis. il éprouve un sentiment de solitude malgré les personnages présents dans sa vie.
Dans cette scène, Louis est plus que seul. D’une part car il est physiquement éloigné de sa famille, il a lui-même mis de la distance entre eux et lui. D’un autre côté, il ne remplit pas l’idéal familial d’une fusion des corps et des cœurs avec les membres de celle-ci.
Cependant cette solitude qui lui pèse désormais tant, et dont il clame avoir terriblement souffert, semble avoir été imposée par lui-même. La strophe suivante permet de montrer le paradoxe de Louis : il souffre car il est seul mais il s’est lui-même isolé « on m’abandonna, car je demande l’abandon » (l.23) il le redit différemment plus tard : « on m’abandonna toujours…. Parce qu’on ne saurait m’atteindre, me toucher » (l. 27-31). Cette dynamique de la formulation montre qu’il n’y a pas une bonne manière de dire.
A travers ce monologue qui revêt une dimension psychologique, Louis se rend compte qu’il est peut-être l’instigateur de son propre malheur, celui qu’il a si longtemps proclamé haut et fort. L’emploi du passé simple montre que cette dynamique vicieuse est antérieure à la scène.
La scène invoque le passé pour chercher réponse aux interrogations du présent. Cette pensée « étrange et claire » qu’il a au réveil va lui permettre de structurer son existence, son rapport à lui-même et aux autres. On pourrait parler d’épiphanie, il a eu une révélation, non pas divine, mais psychanalytique/psychologique de la relation qu’il entretient avec les autres (comparable à la focalisation interne des romans d’apprentissage).
Dans ce monologue, Louis semble être en quête de l’amour des autres et de fait, les formes toniques se multiplient : « les gens les plus proches de moi », « à moi-même », « qui s’approchèrent de moi » l28-29, « une certaine idée de moi » l.34 ou encore « ils renoncèrent à moi » l.51. Ainsi, le monologue de Louis fait émerger les problèmes de toute la pièce : comment être à nouveau ensemble ? comment montrer l’amour ?
A travers ce monologue, Louis semble vouloir recréer cette atmosphère familiale qui lui a finalement tant fait défaut
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