Explication linéaire Lettre 161, Les Lettres persanes, Montesquieu
Commentaire de texte : Explication linéaire Lettre 161, Les Lettres persanes, Montesquieu. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar enphaseterminale • 23 Juin 2023 • Commentaire de texte • 1 728 Mots (7 Pages) • 189 Vues
Lettre 161
Extrait :
« ROXANE À USBEK.
À Paris.
Oui, je t’ai trompé ; j’ai séduit tes eunuques ; je me suis jouée de ta jalousie ; et j’ai su, de ton affreux sérail, faire un lieu de délices et de plaisirs.
Je vais mourir ; le poison va couler dans mes veines : car que ferais-je ici, puisque le seul homme qui me retenait à la vie n’est plus ? Je meurs ; mais mon ombre s’envole bien accompagnée : je viens d’envoyer devant moi ces gardiens sacrilèges, qui ont répandu le plus beau sang du monde.
Comment as-tu pensé que je fusse assez crédule pour m’imaginer que je ne fusse dans le monde que pour adorer tes caprices ? que, pendant que tu te permets tout, tu eusses le droit d’affliger tous mes désirs ? Non : j’ai pu vivre dans la servitude, mais j’ai toujours été libre : j’ai réformé tes lois sur celles de la nature ; et mon esprit s’est toujours tenu dans l’indépendance.
Tu devrais me rendre grâces encore du sacrifice que je t’ai fait ; de ce que je me suis abaissée jusqu’à te paraître fidèle ; de ce que j’ai lâchement gardé dans mon cœur ce que j’aurais dû faire paraître à toute la terre ; enfin de ce que j’ai profané la vertu en souffrant qu’on appelât de ce nom ma soumission à tes fantaisies.
Tu étais étonné de ne point trouver en moi les transports de l’amour : si tu m’avais bien connue, tu y aurais trouvé toute la violence de la haine.
Mais tu as eu longtemps l’avantage de croire qu’un cœur comme le mien t’était soumis. Nous étions tous deux heureux ; tu me croyais trompée, et je te trompais.
Ce langage, sans doute, te paraît nouveau. Serait-il possible qu’après t’avoir accablé de douleurs, je te forçasse encore d’admirer mon courage? Mais c’en est fait, le poison me consume, ma force m’abandonne ; la plume me tombe des mains ; je sens affaiblir jusqu’à ma haine ; je me meurs. »
Introduction :
Les Lettres persanes sont un roman épistolaire écrit par Montesquieu au XVIIIème siècle. L'"Espèce de roman" (Expression de Montesquieu lui-même pour désigner son œuvre) s’achève sur la lettre de Roxane ,l'épouse préférée du sultan Usbek. Cette dernière a été surprise dans les bras de son amant qui a été tué. Elle décide de mourir, à son tour, en s’empoisonnant. Malgré l’approche imminente de la mort, elle se révolte contre la tyrannie de son maître et défend sa liberté.
Il convient donc de se demander :
En quoi l'agonie tragique de Roxane, qui vient clore le roman du sérail, a-t-elle une portée politique ?
Développement :
I - L’annonce brutale de la mort comme révélateur de la vérité : une argumentation du paradoxe
*Le texte commence avec l'adverbe assertif « oui » qui correspond à la révélation d'une tromperie : « oui, je t'ai trompé ». Une révélation sans détour que fait Roxanne elle ne se cache plus et elle ne craint plus Usbek ou quelconque de ses représailles.
*La phrase qui suit est à rythme quaternaire « j'ai séduit tes eunuques ; je me suis joué de ta jalousie ; et j'ai su, de ton affreux sérail, faire un lieu de délice et de plaisirs ». Dans cette phrase, on remarque l'allitération en « j » puisque chaque début de phrase commence avec le pronom « je ». Ce « Je » est porteur d'une revendication d'autonomie. Elle établit un certain pouvoir et une supériorité de Roxane. Ce pronom est suivi de verbes relatifs à la supercherie : « séduit » ; « me […] joué » ; « trompé ». Ces verbes évoquent l'habilité de Roxanne à manipuler et métamorphoser le harem en un lieu agréable : « Et j'ai su, de ton affreux sérail, faire un lieu de délices et de plaisirs ».
*Dans ces phrases, le personnage Usbek est évoqué à travers des compléments indirects et déterminants « te » ou « tes », ce qui contribue à un renversement : Roxanne a pris le dessus, Usbek il n'a plus le contrôle ni sur elle, ni sur ses servants les eunuques, ni sur ses possessions son palais. Usbeck est dépossédé car Roxanne s’est emparé de son pouvoir.
*La seconde strophe commence avec « je vais mourir ; le poison va couler dans mes veines ». Ce début de phrase conjugué dans un futur périphrastique à valeur proleptique se transforme à la ligne suivante en un présent d’énonciation. Cela créer une ellipse temporelle, une accélération de la perception de la mort où cette dernière devient imminente.
*Pourquoi cette mort ? Et bien Roxanne donne une explication : « Car que ferais-je ici, puisque le seul homme qui me retenait à la vie n'est plus ? ». C’est une interrogation rhétorique introduite par la conjonction de coordination « car » dont la réponse est évidemment donnée par l'auteur dans la phrase qui suit : « je meurs ». Sa raison de vivre n'est plus : elle se tue.
*« Mais mon nombre s’envole bien accompagné : je viens d'envoyer devant moi ces gardiens sacrilèges, qui ont répandu le plus beau sang du monde. » ici il faut souligner deux éléments importants.
Tout d'abord on comprend que Roxanne n'est pas la seule à mourir : il y a aussi « ces gardiens sacrilèges » qui est une métaphore des eunuques.
Et le deuxième élément à souligner c'est que Roxanne trouve un aspect soulageant dans la mort, et même dans ces morts au pluriel.
*Cet aspect soulageant, elle le trouve dans sa propre mort car elle préfère abréger la souffrance qu'elle aurait connu en restant vivante à cause de l'absence de son amant.
Et elle le montre grâce à la métaphore de déplacement « s’envole » qui désigne la mort : il donne une dimension de légèreté à cette dernière : Roxanne se libère d'un poids, d’un mal-être. Et cet amour si fort qu'elle éprouve pour son amant est exprimée par la synecdoque topique hyperbolique de l'être aimé « le plus beau sang du monde ». Sa propore mort a un côté réconfortant pour Roxanne.
...