Dissertation sur Les Cahiers de Douai de Rimbaud
Dissertation : Dissertation sur Les Cahiers de Douai de Rimbaud. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar rafifoulefou • 11 Juin 2024 • Dissertation • 3 731 Mots (15 Pages) • 197 Vues
Entre mai et octobre 1870, Rimbaud part sur les routes, écrit la plupart des poèmes des Cahiers de Douai, les confie à son ami poète Paul Demeny, et met au point sa méthode poétique.
Le 15 mai 1871, Rimbaud écrit à son ami une lettre célèbre : il a décidé de se faire « voyant par un immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Un mois plus tard, il lui demande de brûler les deux Cahiers de Douai.
Heureusement, Demeny n’en fera rien. Mais après cela Rimbaud n’écrira plus jamais de la même manière. Il composera des poèmes comme « Le Bateau Ivre » puis Une saison en Enfer et Les Illuminations.
Comment les Cahiers de Douai ont-ils constitué pour Rimbaud une expérience créatrice et émancipatrice décisive ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre à travers 12 thèmes.
Sur mon site, vous trouverez une explication linéaire de chaque poème, ainsi qu’une série de dissertations, des podcasts et fiches PDF. Si vous en avez l’occasion, n’hésitez pas à soutenir mon travail : pour le prix d’un livre de poche, vous accédez à toute ma bibliothèque !
1) Poésie des premiers émois amoureux
Dans notre recueil, la première expression poétique passe à travers… les baisers. « Première soirée » s’appelait d’ailleurs d’abord « Comédie en trois baiser » où dans ce poème les baisers remplacent les répliques des personnages.
Alors que dans « Les Réparties de Nina », Nina ne répond aux baisers du poète que par des éclats de rire. Chez Rimbaud, la naïveté de l’amour est souvent ainsi menacée par la dérision.
Dans « À la musique », le poète se tient à l’écart de la fanfare militaire, admire les jeunes filles et « ne dit pas un mot » mais « des baisers lui viennent aux lèvres ». Cette poésie des baisers serait alors la véritable musique célébrée par le titre…
De même dans « Roman », l’éloignement de la ville produit une ivresse qui fait monter aux lèvres… certainement, les vers d’un poème…
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! — On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête...
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête…
On retrouve d’ailleurs cette petite bête dans le wagon rose de « Rêvé pour l’hiver » :
Et tu me diras : « Cherche ! » en inclinant la tête,
— Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
— Qui voyage beaucoup…
Cette petite bête qui vagabonde : ce n’est donc pas qu’un baiser, c’est le wagon rose, le poète en fugue, les rimes qui s’égrainent, une invitation à la poésie et au voyage…
Dans « la Maline », la servante se comporte étrangement, et pour obtenir un baiser dit avoir pris « une froid sur la joue ». Pas besoin d’une ruse complexe, un simple détour suffit. La poésie est une fausse énigme dont la réponse est un baiser.
Dans « Soleil et chair » le baiser est inspiré par Vénus, grande force d’amour qui traverse le Nature et que le poète tutoie :
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L’Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d’un immense baiser !
Pan, dieu antique de la Nature, est une figure du poète, qui arrondit ses lèvres pour jouer de la flûte de pan, du syrinx :
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d’amour ;
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante.
2) Mystique de la Nature
Derrière les émois amoureux se cache donc un grand amour, plus profond, l'amour infini de la Nature, que le poète trouve en fuguant… Dans « Sensation par exemple » :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.
Et en effet, une femme, une poétesse hante le recueil des Cahiers de Douai : Ophélie, personnage du Hamlet de Shakespeare, est bouleversée par le chant de la Nature.
C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,
À ton esprit rêveur portait d’étranges bruits ;
Que ton cœur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits.
Cette mystique de la Nature s’oppose alors aux religions qui sont au service d’un pouvoir injuste, de la violence et de la guerre. Ce qui s’oppose à cette Nature sainte, est « Le Mal » aux yeux de Rimbaud.
Tandis qu’une folie épouvantable broie
Et fait de cent milliers d’hommes un tas fumant ;
— Pauvres morts ! dans l’été, dans l’herbe, dans ta joie,
Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !…
Rimbaud, en fugue pendant la guerre franco-prussienne, a-t-il croisé des cadavres ? Son « Dormeur du val » illustre bien cette horreur contre-Nature : le « soldat jeune », au lieu de grandir, devient enfant, puis nourrisson bercé par la Nature.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
3) Voyage et errance
Dans Les Cahiers de Douai, le poète s’éloigne progressivement de la ville. Dans « Roman », la promenade des tilleuls est encore trop proche de la ville pour offrir une véritable ivresse.
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits — la ville n'est pas loin —
A des parfums de vigne et des parfums de bière…
Dans les « réparties de Nina », le poète un peu naïf voudrait partir avec son amante, goûter cette ivresse du « vin du jour »… Mais au conditionnel : Nina reste une citadine.
LUI. — Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein ? nous irions, [...]
Aux frais rayons
Du bon matin bleu, qui vous baigne
Du vin de jour ?…
Dans « Ma Bohème » cette liberté trouvée sur les chemins est comparée à la musique des étoiles, matérialisée par une rosée enivrante. Les cailloux des chemins sont des rimes, la poésie est un parcours de Petit Poucet.
— Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Et ainsi, le voyage n’a pas forcément de destination : c’est l’errance. Dans « Rêvé pour l’hiver » le wagon rose, toujours en mouvement, est en soi un lieu de retrait hors de l’hiver.
Le « Cabaret-Vert » n’est qu’une étape : chez Rimbaud, le voyage est synonyme de liberté et donc de bonheur.
Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins. J’entrais à Charleroi.
— Au Cabaret-Vert.
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