Balzac, La peau de chagrin

Dans les années 1830 émerge le mouvement du réalisme ; le genre de prédilection est le roman mais aussi la nouvelle ; les oeuvres s’ancrent dans l’Histoire et dans un contexte politique et culturel, et ont pour but de représenter la société de l’époque. Les auteurs réalistes du siècle ont souvent été considérés comme de simples photographes de leur époque, peignant leur société avec leur plume. Balzac, chef de file du mouvement, ancre sa Comédie humaine dans le cœur même du réalisme ; il s’agit de la première fresque littéraire qui ne compte pas moins de quatre-vingt-dix ouvrages. La Peau de Chagrin parait en 1842 ; il s’agit d’un roman d’apprentissage où nous suivons l’évolution de Raphaël de Valentin en proie aux affres du désir ; en effet, alors qu’il est aux portes du suicide, il croise la route d’un antiquaire fantasque auprès duquel il acquiert la fameuse peau ; s’offrent alors à lui des choix cornéliens puisque cette peau a la particularité de pouvoir exaucer tous les vœux du possesseur mais qu’en contrepartie elle réduit au fur et à mesure sa vie. Chaque désir a un coût. Raphaël commence par se jeter à cœur perdu dans l’aventure, exaltant de désirs, mais il réalise peu à peu que cette vie dissolue le rapproche de plus en plus de la tombe. Il décide alors de se retirer de la vie afin de ne plus désirer ; il vit en reclus, dans un état second d’opiomane. Bien que le roman ait des accents fantastiques, il n’en est pas moins caractéristique du réalisme ; il témoigne clairement d’une époque et Balzac, en secrétaire de son temps, cherche entre autres à y consigner sa société. Cependant, comme l’écrivait Maupassant dans sa préface de Pierre et Jean en 1888, « le réaliste, s’il est artiste, cherchera non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à vous en donner la vision la plus complète, plus probante que la réalité même ». Il s’agit donc de nous interroger sur les buts réels de ces réalistes. Charles Baudelaire écrit d’ailleurs à propos de Balzac qu’il lui a toujours semblé qu’il était, outre un véritable observateur, un réel visionnaire, un « visionnaire passionné », proposant des fictions « aussi profondément colorées que les rêves » . Le poète qui nous questionne au sujet du travail de Balzac nous invite en fait à nous demander s’il n’est qu’un romancier réaliste, simple témoin lucide et fidèle de son époque, ou s’il est essentiellement un inventeur, un créateur de fiction. Dans un premier temps, nous allons démontrer qu’il s’agit bien d’un observateur, Dans un deuxième temps, nous allons voir qu’il est plus qu’un simple observateur et que c’est un véritable créateur de fictions, transmetteur de « rêves colorés » . Enfin, dans un troisième temps, nous allons observer que le but de Balzac, à travers ses fictions, est en fait de montrer la réalité profonde et de faire réfléchir.

Dans un premier temps, nous allons montrer que Balzac est un observateur. Tout d’abord, nous allons voir qu’il observe avec finesse son époque. Ainsi ses romans ont sans conteste une dimension historique. En effet, dans La Peau de Chagrin, le narrateur fait référence aux débats qui ont eu lieu entre le parti du Mouvement et le parti de la Résistance. Il utilise donc ce qui se passe à son époque pour enrichir et ancrer son récit. Il évoque également l’Histoire à travers Hyacinthe Chabert, dans Le Colonel Chabert, dont il fait le témoin de la bataille d’Eyleau aux côtés du général Murat. D’autres contemporains adoptent la même posture ; en effet, Stendhal, dans ses deux romans, s’appuie sur des événements réels ; ainsi son Fabrice del Dongo, dans La Chartreuse de Parme , participe à un moment majeur du siècle puisque l’auteur le place sur le champ de bataille de Waterloo, aux côtés du général Ney. Enfin, Maupassant, dans Bel-Ami, évoque une certaine affaire du Maroc qui n’est pas sans rappeler celle de Tunisie qui avait occupé, en 1879, Jules Ferry et ses partisans. L’Histoire est donc très nettement exploitée par les réalistes du siècle. Ces derniers, dans les mêmes intentions d’observation et de restitution, ancrent aussi géographiquement leur récit ; dans La Peau de Chagrin, les personnages évoluent à Paris, aux abords du Palais Royal, le long de la Seine ou sous le pont des Arts. Zola, lui, dans L’Assommoir nous donne à voir, toujours à Paris, le quartier de la Goutte-d’Or et évoque le Mont-de-Piété … Maupassant, quant à lui, choisit l’Eglise de la Madeleine pour unir Suzanne et Georges. Les toponymes réels sont donc bien, eux aussi, des outils indispensables aux romanciers de cette époque ; les auteurs restituent des lieux réels et se montrent donc des observateurs confirmés. Enfin, ils analysent également le fonctionnement de la société qu’ils mettent en scène ; Balzac, par exemple, dans sa Peau de Chagrin, pointe du doigt l’une des grandes préoccupations de son temps, l’argent ; il choisit ainsi d’ouvrir son roman sur une description minutieuse d’une maison de jeu. Il y révèle un esprit qu’il a calqué sur celui de son époque. Il analyse aussi des milieux sociaux, principalement celui de l’aristocratie au cœur de laquelle déambule Raphaël de Valentin ; bien qu’il soit désargenté, il n’en reste pas moins un noble, il côtoie la Comtesse Foedora, richissime, et le banquier Taillefer qui représente la bourgeoisie opulente. Npus croisons encore dans le roman, à plusieurs reprises, des courtisanes dont Aquilina. Zola, dans Germinal, choisit, pour sa part, le milieu ouvrier, précisément celui de la mine, pour toile de fond. Nous venons donc de constater que Balzac, comme nombreux de ses contemporains, est bien l’observateur de son époque et de sa société .

Nous venons par conséquent de

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