Lecture linéaire du récit de la rencontre entre Des Grieux et Manon

Abbé Prévost – Manon Lescaut,

La rencontre entre Des Grieux et Manon

Lecture linéaire

Passage :  J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens1. [ ... ] C'était malgré elle qu'on l'envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s'était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens.

INTRODUCTION

L’auteur : l’abbé Prévost

Une vie mouvementée, « une vie de roman » souvent en marge, obligé fréquemment de s’enfuir.

Le contexte  social, politique et moral

Le début du XVIIIe siècle

Sur le plan social : la société est  toujours divisée en trois corps (Tiers-Etat - Noblesse et Clergé).

Sur le plan politique

La Régence (1674-  1723), les premières années du règne de Louis XV (1723- 1743)

Sur le plan des mœurs (ou moral)

Période au cours de laquelle on assiste à un certain relâchement des mœurs (le libertinage) où l’individu aspire au bonheur

Mais  les règles sociales morales et religieuses sont encore très présentes etcontraignantes (on ne peut pas épouser une personne qui n’appartient pas à son milieu,  on force des jeunes gens à rentrer au couvent ou au monastère, on jette en prison,  les parents pouvaient demander qu’on emprisonne leur fils à cause de la débauche à laquelle il se livrait...., la censure condamne des ouvrages jugés scandaleux parce qu’ils offensent les bonnes moeurs, etc.)

L’œuvre

Manon Lescaut intitulée dans un premier temps Les Aventures du Chevalier Des Grieux est un roman  qui devait constituer un épisode des  Mémoires d’un homme de qualité dont le narrateur fictif  est le marquis de Renoncour. Ce dernier a renoncé à placer ce récit dans ses Mémoires mais a proposé au lecteur de le lire séparément.  

En effet il raconte comment il a rencontré à deux reprises le Chevalier Des Grieux ( récit –cadre) dont il rapporte  au discours direct le récit (récit enchâssé) qui constitue l’essentiel du roman.

Le passage

Récit rétrospectif  à la première personne fait  par Des Grieux  (narrateur du récit enchâssé)  à Renoncour  ( narrateur du récit-cadre) de sa rencontre avec Manon ( topos de la rencontre amoureuse, du coup de foudre)

Problématique

En quoi s’agit-il du récit d’un coup de foudre funeste ?

LECTURE LINÉAIRE

Amorce du récit de la rencontre  ( 1 er mouvement)

J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens1. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt !2j'aurais porté chez mon père toute mon innocence

.

• récit enchâssé : à l’intérieur d’un autre récit, (le récit cadre), celui du Renoncour qui a raconté comment il a rencontré pour la deuxième fois Des Grieux ;  il l’avait rencontré une première fois alors que ce dernier allait suivre Manon en  Louisiane où on l’avait envoyée pour la punir  = > le lecteur sait déjà que l’aventure de Des Grieux avec Manon a eu des conséquences funestes.
• récit fait oralement et restitué au discours direct : cf. interjection « Hélas ! 

• récit à la première personne : c’est à travers les propos et les récits de Des Grieux que nous allons découvrir le personnage de Manon  qui restera pour le lecteur une sorte d’énigme tout au long du roman
• récit rétrospectif : Des Grieux revient sur son passé : il raconte les évènements à la lumière de ce qu’il sait  et de ce qu’il vécu

Au début du récit, le narrateur, Des Grieux, annonce  à son destinataire et au lecteur le caractère déterminant  et funeste de l’événement qu ‘il s’apprête à raconter : il dit que si cet événement n’avait pas eu lieu, « [il] aurait porté chez  [son ] père toute [son] innocence :

• nous en déduisons qu’il l’a perdue et qu’il le regrette amèrement 
• l’évocation de son père est importante dans la mesure où son père représente le milieu qu’il a quitté, dont il est à présent exclu : en perdant « son innocence », il a perdu son intégrité morale,  il a perdu sa réputation, etc.

• Cette amorce  tout en suscitant la curiosité du lecteur qui  veut savoir ce qui s’est passé pour Des Grieux pendant les deux ans qui séparent la première rencontre entre Renoncour et Des Grieux » lui suggère le caractère tragique de la fin du récit : le lecteur  suppose  que son aventure avec Manon s’est mal finie  (prolepse)

2ème  mouvement : le récit de la rencontre qu’on peut décomposer en plusieurs parties

a) Début du récit : les circonstances de la rencontre

La veille même de celui que je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s'appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche3 d'Arras4, et nous le suivîmes jusqu'à l'hôtellerie5 où ces voitures descendent.

Avant la rencontre proprement dite,  un effet d’attente est ménagé : le narrateur raconte les circonstances de la rencontre et insiste sur la banalité de ces circonstances

• une promenade sans conséquences, à priori, avec son ami Tiberge (un personnage secondaire important)
• une décision due à la simple curiosité (tournure restrictive pour renforcer l’idée que rien ne le prédisposait à priori à faire une rencontre qui allait décider de sa vie)
• circonstances rapportées avec un certain réalisme (évocation du coche, de l’hôtellerie)

• une rencontre due au hasard à laquelle Des Grieux qui allait entrer dans l’ordre de Malte  (ordre religieux) n’était absolument pas préparé.

b) Le récit d’un coup de foudre en deux temps (l’apparition de Manon, puis l’effet que cette apparition produit sur le narrateur)

Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s'arrêta seule dans la cour, pendant qu'un homme d'un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur6, s'empressait pour faire tirer son équipage7 des paniers8. Elle me parut si charmante que moi, qui n'avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d'attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d'un coup jusqu'au transport9. J'avais le défaut d'être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d'être arrêté alors par cette faiblesse, je m'avançai vers la maîtresse de mon cœur.

...