Abbé Prévost, Manon Lescaut : Doit-on penser avec Montesquieu que les sentiments nobles des protagonistes de Manon Lescaut les réhabilitent aux yeux du lecteur ?
Dissertation : Abbé Prévost, Manon Lescaut : Doit-on penser avec Montesquieu que les sentiments nobles des protagonistes de Manon Lescaut les réhabilitent aux yeux du lecteur ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar flore2 • 25 Avril 2023 • Dissertation • 3 246 Mots (13 Pages) • 1 876 Vues
Sujet : Dans ses pensées, Montesquieu écrit au sujet de Manon Lescaut « Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l’héroïne une catin qui est menée à la Salpêtrière, plaise parce que toutes les actions du héros, le chevalier des Grieux, ont pour motif l’amour, quoique la conduite soit basse. Manon aime aussi, ce qui lui fait pardonner le reste de son caractère. » Doit-on penser avec Montesquieu que les sentiments nobles des protagonistes de Manon Lescaut les réhabilitent aux yeux du lecteur ?
Dans la préface de Manon Lescaut publié en 1731, l’abbé Prévost annone que « L’ouvrage entier est un traité de morale, réduit agréablement en exercice ». A travers ce roman, l’auteur porte un regard critique sur une société vénale, coercitive intolérante et profondément inégalitaire. Il nous y présente des personnages attachants, qui poussés par la passion amoureuse, vont se marginaliser par leurs actions considérées immorales. Publié au tome VII des mémoires et aventures d’un homme de qualité, Manon Lescaut provoque le scandale dès sa parution et est condamné à l’autodafé. Largement autobiographique, ce roman à visée philosophique développe les aspirations sentimentales des individus dans un monde où règnent les excès de rationalisme. Il est constitué d’un récit cadre dont le narrateur est Renoncour et d’un récit enchâssé dont le narrateur est Des Grieux. A dix-sept ans, le chevalier des Grieux tombe amoureux au premier regard d'une jeune fille, Manon Lescaut. Il quitte tout pour elle. Après maintes aventures les menant jusqu’à assassiner un homme, Manon est exilée aux Amérique où elle y meurt dans les bras de Des Grieux. Pauvres, de deux milieux différents, et vivant une union libre, les deux protagonistes se retrouvent en marge de la société. Leur situation permet de poser un regard critique sur la société. Montesquieu exprime son opinion sur ce livre en ces mots « Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l’héroïne une catin qui est menée à la Salpetrière, plaise parce que toutes les actions du héros, le chevalier des Grieux, ont pour motif l’amour, quoique la conduite soit basse. Manon aime aussi, ce qui lui fait pardonner le reste de son caractère. » Il est intéressant de se demander si, en accord avec Montesquieu, les sentiments nobles des protagonistes les réhabilitent aux yeux du lecteur. Assurément, les protagonistes sont animés de sentiments nobles que ce soit l’amour ou la soif de liberté. Ils essaient de vivre malgré la violence de leur passion qui s’oppose à la société. Ils sont alors contraints de commettre de nombreux crimes allant à l’encontre de la morale les marginalisant de plus en plus. Ils ne sont, par ailleurs, pas toujours motivés par les meilleures raisons. Ainsi, la cupidité et le plaisir sont des moteurs de leur action. Ils se retrouvent alors en marge de la société. La vision que porte le lecteur sur les personnages reflète la manière dont Des Grieux conte son histoire. Le récit rétrospectif et subjectif du narrateur enjolive sa vie et gagne l’attachement du lecteur. Le lecteur par ailleurs qui a appris à aimer les personnages ne ressent pas forcément le besoin de les juger. Cela fait le plaisir du roman : le récit rétrospectif et la complexité des personnages. Il nous apparait pertinent de nous demander comment le lecteur peut apprécier la complexité de personnages, qui deviennent attachant par le biais d’un récit subjectif, en se faisant juge de leurs actions immorales explicables par de bons sentiment. Pour répondre nous verrons dans un premier temps que les sentiments nobles qui animent les personnages peuvent racheter leur attitude immorale. Toutefois nous pourrons considérer dans un deuxième temps que les actions des protagonistes vont à l’encontre de toute forme de morale et donc de la société. En fait, dans un troisième temps, le lecteur peut prendre plaisir à la lecture de ce roman grâce à la complexité des personnages accentuée par la subjectivité des narrateurs.
Certes, les sentiments nobles des protagonistes les réhabilitent aux yeux du lecteur. Tout d’abord, ils n’agissent que par amour qui devient une valeur absolue justifiant tous les crimes. L’amour est une force supérieure qui pousse Manon et Des Grieux l’un vers l’autre en permanence et ce alors que tout semble vouloir les séparer rendant leur destin tragique. Des Grieux utilise à multiple reprise le mot « transport » pour décrire sa passion amoureuse. Ainsi, cette dernière ne relève pas de sa volonté et il le reconnait lui- même « J’étais dans une espèce de transport, qui m’ôta pour quelques temps la liberté de la voix ». Son amour pour Manon va jusqu’à lui voler sa liberté le contraignant à toujours revenir vers elle et la suivre jusqu’aux Amériques . Animés par cette vive passion, les protagonistes commettent un certain nombre de délits qui sont cependant toujours justifiés par l’amour qu’ils portent l’un pour l’autre. Des Grieux notamment s’évade de St Lazare dans le but de retrouver et délivrer Manon de sa prison. Il explique sa douleur à la seule pensée de l’imaginer seule emprisonnée : « Je souffrais mortellement dans Manon. Il faut la délivrer, dis-je à mes trois amis. Je n’ai souhaité la liberté que dans cette vue ». La négation restrictive accentue son désespoir et montre l’unique raison derrière ses actions : l’amour. De la même manière, Manon explique ses différentes trahisons par la motivation unique de l’aimer et de vouloir lui assurer leur fortune. Elle dit ne travailler « que pour rendre mon Chevalier riche et heureux » et ainsi prête à attraper des hommes dans ses « filets » afin de satisfaire les besoins des deux protagonistes. Ensuite Manon et Des Grieux sont également habités d’un autre but. Ils désirent être libre et donc s’affranchir de l’emprise de la société patriarcale dans laquelle ils vivent. Le début de cette quête de liberté est marqué par leur fuite au milieu de la nuit. Manon fuit le destin imposé par ses parents qui veulent l’envoyer dans un couvent où elle dit qu’elle se trouverait « malheureuse ». Manon annonce à Des Grieux que s’il pouvait « la mettre en liberté » elle lui serait alors « redevable de quelque chose plus cher que la vie ». Ainsi, encore une fois la liberté devient une valeur absolue justifiant leurs actions. De la même manière, Des Grieux, en s’enfuyant et en quittant ses études pour aller vivre à Paris avec Manon, s’oppose à la volonté de son père. D’autres figures dans le roman vont également représenter cette société patriarchale tel que le père supérieur que Des Grieux menace d’un pistolet lors de son évasion de prison. Ce dernier se tient entre la porte et le chevalier. Il ne devient alors qu’un obstacle entre lui et « le plus cher de tous les biens » : la liberté. Manon comme Des Grieux utilisent tous les deux le superlatif pour exprimer l’importance que revêt la liberté à leurs yeux. Enfin, les personnages évoluent dans le récit. Si ils ont commis de nombreux délits, leur histoire prend la forme d’un parcours de rédemption qui excuse les geste passés. Ils ne sont plus les jeunes « enfants » du début mais de jeunes gens assagis par l’expérience et les coups du sort. En effet, au début de l’histoires, les deux personnages ne que sont que âgés de seize et dix-sept ans or l’histoire prend fin cinq ans plus tard. Ils ont alors le temps d’évoluer et d’apprendre de leurs erreurs. Après s’être retrouvé exilés aux Amériques, Manon et Des Grieux expriment, tout d’eux, le souhait de trouver la quiétude dans une vie simple loin de tous les plaisirs parisiens. Ils vivent alors désormais dans une « cabane, composée de planche et de boue ». Alors que leur condition semble alors être au plus bas, Manon dit à Des Grieux qu’il est « le plus riche des hommes ». Être l’un avec l’autre leur suffit amplement désormais pour être heureux. Ainsi ce roman semble se clôturer sur un bonheur trouvé dans la simplicité de la vie. Des Grieux travaille et ils vivent de manière honnête. Ils veulent également mettre fin à leur union libre en se mariant car ils ne peuvent pas vivre « dans l’oubli du devoir ». C’est la première fois que la notion de devoir est abordé par Manon et Des Grieux dans le roman. Par la fin de cette union libre, ils feraient disparaître une des principales raisons qui les a poussé dans la marginalité. Les personnages se sont ainsi assagis et ont retrouvé la voix de la raison. Les crimes commis ne semblent alors n’être plus que dans le passé en France. Le lecteur ne peut les condamner face à leur rédemption.
...