Epicure, Lettre à Ménécée, extrait N°1 : Epicure et les dieux
Fiche de lecture : Epicure, Lettre à Ménécée, extrait N°1 : Epicure et les dieux. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar datac • 29 Avril 2023 • Fiche de lecture • 2 090 Mots (9 Pages) • 340 Vues
Epicure, Lettre à Ménécée, extrait N°1 : Epicure et les dieux
Commence par te persuader qu'un dieu est un vivant immortel et bienheureux, te conformant en cela à la notion commune qui en est tracée en nous. N'attribue jamais à un dieu rien qui soit en opposition avec l'immortalité ni en désaccord avec la béatitude ; mais regarde-le toujours comme possédant tout ce que tu trouveras capable d'assurer son immortalité et sa béatitude. Car les dieux existent, attendu que la connaissance qu'on en a est évidente.
Mais quant à leur nature, ils ne sont pas tels que la foule le croit. Et l'impie n'est pas celui qui rejette les dieux de la foule : c'est celui qui attribue aux dieux ce que leur prêtent les opinions de la foule. Car les affirmations de la foule sur les dieux ne sont pas des prénotions mais bien des présomptions fausses. Et ces présomptions fausses font que les dieux sont censés être pour les méchants la source des plus grands maux comme, d'autre part, pour les bons la source des plus grands biens. Mais la multitude, incapable de se déprendre de ce qui est de ce qui est chez elle et à ses yeux le propre de la vertu, n'accepte que des dieux conformes à cet idéal et regarde comme absurde tout ce qui s'en écarte.
Introduction
Ce second extrait de la Lettre à Ménécée porte sur la cause de la crainte des dieux et le remède à lui apporter.
Epicure, après avoir montré qu’être heureux et philosopher ne font qu’un, invite son disciple à s’attaquer au premier mal qui trouble l’âme humaine : la crainte des dieux. Pour ne pas les craindre, il faut commencer par se faire des dieux une idée conforme à ce qu'ils sont. C'est pourquoi dans une première, partie, qui correspond au premier paragraphe, Epicure définit ce qu'est un dieu : « un vivant immortel et bienheureux. » Dans un second temps, il montre que la foule se fait des dieux une opinion anthropomorphique : elle se représente les dieux comme des hommes (du grec anthropos : homme et morphè : forme). Epicure est soucieux de faire passer son enseignement, toujours le même, de façon qu'il marque l'esprit de son disciple « attache-toi à » « je vais te répéter » « médite-les » « commence par » : succession d’ordres, d’injonctions, à effet pédagogique, pédagogie d’autant plus importante qu’elle enseigne les « principes nécessaires pour bien vivre ». Epicure parle du bonheur en termes de « vrai » ou de « faux », alors qu'on s'attendrait à ce qu'il en parle en termes de « bien » et « mal », dans une lettre à tonalité éthique (ethos : comportement en grec ; équivalent de mores, en latin, qui a donné mœurs.) Si on trouve des concepts logiques (« prénotion », « présomption », « connaissance évidente »…) là où on attendait des préceptes éthiques, c’est que vivre bien suppose de porter des jugements vrais sur toute chose. (La logique est l’ensemble des règles d’élaboration des idées. C’est la science des opérations de l’esprit.)
1) La nature (ou essence) des dieux.
La béatitude est le bonheur suprême, c'est l'état d’un être à qui rien ne manque. Définir les dieux est présenté comme « le premier principe pour bien vivre ». Bien vivre, c'est éviter le trouble, or ce qui trouble l'âme en premier lieu, c'est la crainte des dieux. Savoir ce qu'ils sont vraiment évitera aux hommes de se faire des idées troublantes à leur sujet. Epicure subordonne la recherche du vrai à la poursuite du bien suprême. La connaissance est en vue du bonheur. A trois reprises avec des formulations proches, Epicure insiste sur ces deux attributs essentiels des dieux qui sont les critères d'un jugement vrai sur eux. On ne peut parler des dieux sans parler d’immortalité et de béatitude. On ne peut attribuer l’immortalité et la béatitude à d’autres êtres que les dieux. Discours de théologien (la science des choses divines : de theos : dieu, et logos discours, en grec).
La crainte des dieux, selon Epicure, vient du fait que la « certitude » pour tout homme que les dieux existent est accompagnée d'une représentation fausse de leur nature. Autrement dit, tous s’accordent sur leur existence, mais l’unanimité cesse quant à leur essence, ce qu’ils sont, au sujet de quoi la foule et le philosophe s’opposent. A ce stade de l’explication de l’extrait, il faut résoudre une aporie, autrement dit une difficulté à résoudre : Qu'est-ce qui permet à Epicure d'affirmer que « l'existence des dieux » est connue de manière « évidente » ? Les dieux ne sont-ils pas des entités métaphysiques (méta : au-delà, phusis : la nature, en grec), et par conséquent hors de portée d’une connaissance, un savoir véritable ne pouvant porter que sur ce qui est physique, pour reprendre les termes d’Aristote ?) La solution à ce problème logique vient de la physique d’Epicure, de sa représentation du monde. Pour lui, tout est constitué de matière ou de vide : c’est l’atomisme matérialiste, et les dieux sont donc matériels. Aussi la connaissance des dieux est évidente car il y a connaissance lorsqu'il y a répétition de la sensation d'une chose. En effet, on connaît toute chose par « empreinte » : de chaque corps émanent des simulacres, minuscules particules d’atomes, qui conservent la forme du corps dont ils sont issus, et viennent s’imprimer en nous. Connaître et sentir ne s’opposent donc pas dans un tel système philosophique. Une connaissance est donc évidente parce qu'elle consiste en une sensation, mais elle n'est pas persistante s'il n'y a pas de « prénotion ». Après la sensation, qui est le premier critère de la vérité, la prénotion est donc le deuxième critère. Elle prolonge la sensation en se constituant dans l’esprit une représentation stable (une idée) par la répétition d’impressions semblables. Prenons un exemple : si nous pouvons dire en croisant un individu humain (particulier) que c’est un homme (concept, généralité) c’est parce que la sensation répétée, à chacune de nos rencontres, d’individus humains, tous différents, a fini par « imprimer » en nous la forme générale de l’humanité, son concept, gommant toutes les particularités (homme/femme ; grand/petit ; peau claire/sombre, etc.) dont nous avions eu la sensation, grâce aux simulacres qui en émanaient. Ces simulacres se déposent sur chacun des organes de la sensation : les yeux, le nez, l’oreille, etc., conservant ainsi la forme générale, en modèle réduit, d’une image, d’une odeur, d’un son, etc. Cette prénotion trace en nous la « notion commune » des choses qui nous permet de les re-connaître quand nous les avons déjà perçu à de nombreuses reprises. Résumons : une prénotion est une sorte d'idée ou de souvenir laissé par une sensation répétée qui a laissé en nous une emprunte. Cette emprunte, une fois tracée ou creusée, permet d'anticiper les sensations futures. Aucun être humain ne peut donc nier l’existence des dieux : leur sensation est irréfutable.
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