Moderniser l’économie française (1870-1990)
Dissertation : Moderniser l’économie française (1870-1990). Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Naomiles • 27 Septembre 2021 • Dissertation • 3 195 Mots (13 Pages) • 404 Vues
Moderniser l’économie française (1870-1990)
Joseph Caillaux aurait déclaré dans les années 30, que « Le problème de la France, c’est d’être trop industrialisée ». Si la phrase peut sembler étonnante, elle l’est encore plus quand on sait que Caillaux a été à plusieurs reprises ministre des finances sous la Troisième République. L’industrie étant durant l’entre-deux guerre le symbole de la modernité, comment un ministre de l’économie peut-il s’y opposer, et surtout qu’il ne soit pas immédiatement démis de ses fonctions ?
L’économie française a ainsi longtemps entretenu des rapports difficiles avec la modernité. La notion même de modernité prête à débat. Qu’est-ce qu’une économie « moderne » ? Une économie hautement productive ? Ou plutôt qui présente une forte justice sociale ? Tertiairisée ? Surtout, la modernité est un phénomène variable dans le temps : ce qui est moderne en 1870 a évidemment peu de chances de l’être en 1990. Pour caractériser la modernité, on peut néanmoins utiliser l’outil économique des « révolutions économiques » successives, chacune marquée par plusieurs secteurs phares, et vérifier si une économie nationale est plus ou moins pionnière dans ces domaines. Mais ce caractère pionnier n’est pas le seul déterminant d’une « modernité », il faut également vérifier que ces changements se produisent bien dans tout la société, et que l’économie dans son intégralité est moderne, et que les structures archaïques sont, sinon absentes, au moins minoritaires.
On voit déjà là une spécificité française : pionnière durant les première et deuxième révolutions industrielles, l’économie française n’en est pas moins considérée comme profondément archaïque durant toute la période de la Troisième République.
La France semble ainsi suivre une trajectoire singulière parmi les pays industrialisés : aussi moderne que le Royaume-Uni au XVIIIème, elle ne rentre jamais pleinement dans la révolution industrielle au cours du XIXème. De même, la sclérose de ses structures ne semble être dépassée que grâce à un traumatisme majeur, celui de la Seconde Guerre Mondiale. Comment expliquer qu’il soit si difficile de moderniser l’économie française ? Pourquoi l’économie française ne se modernise-t-elle qu’après la Seconde Guerre Mondiale, pour finalement se retrouver en difficulté dès les années 70 ?
De 1870 à 1945, l’économie française, malgré des périodes de forte croissance et une certaine modernité, échoue à se moderniser du fait du poids des structures archaïques de la société française. De 1945 à 1974, l’économie française se modernise de façon spectaculaire, grâce au traumatisme de la Seconde Guerre Mondiale qui hôte aux français leur foi en le modèle de la Troisième République. A partir de 1974 jusqu’à 1990, l’économie française traverse une nouvelle crise, et semble hésiter à choisir une voie de modernisation.
De 1870 à 1896, la France est plongée dans une profonde récession qui participe à créer des structures sclérosée qui handicaperont l’économie française durant tout le demi-siècle suivant. De 1896 à 1930, malgré une période de croissance importante et un rôle pionnier dans de nombreux domaines, la France échoue à se moderniser. Le marasme économique né de la crise de 1929, puis la défaite de 1940, empêche de 1930 à 1944 la France de se moderniser.
Eric Hobsbawm, parle, à propos de l’économie française du XIXème, de « gigantesque paradoxe ». En effet, alors que la France s’est, comme le Royaume-Uni, profondément modernisée sur les plans juridiques (code civil, marché intérieur unifié) et techniques (présente dans les secteurs majeurs de la première révolution industrielle : textile, métallurgie, machine à vapeur) via les révolutions successives, elle ne connaitra jamais au cours du XIXème de « take-off » économique et n’entrera jamais pleinement dans la première révolution industrielle, au contraire du Royaume-Uni, véritable « atelier du monde ».
D’autres auteurs, notamment Marx, s’étaient déjà penchés en leur temps sur ce « paradoxe », pour notamment montrer que cela est principalement dû aux structures particulières de la société Française.
La France en effet, cultive depuis les Révolutions successives un « idéal du petit », renforcé par l’accaparement des terres de la noblesse puis par l’encouragement de cette structure par les républicains, notamment les Radicaux, qui voient dans cet idéal du petit paysan ou artisan un objectif républicain à atteindre.
La France de la fin du XIXème est ainsi particulièrement archaïque : plus de 60% de la population est rurale (en considérant certaine villes de 5000 habitants, très rurales, comme urbaines), 90% des exploitations agricoles font moins de 50 hectares, la majorité des entreprises ont moins de 5 salariés, voire aucun salarié.
De fait, son économie est plutôt mal adaptée aux structures modernes : la « trahison » de Napoléon III avec le Traité Cobden-Chevalier révèle les failles de l’économie française, avec un commerce extérieur en volume chroniquement déficitaire, y compris avec ses colonies, malgré un équilibre atteint en valeur grâce notamment aux investissements extérieurs.
Ces conditions défavorables sont renforcées par la « Grande dépression », période de stagnation économique de 1873 à 1896, qui, suite à l’effondrement du secteur ferroviaire, empêche tout investissement massif dans les industries, confortant le modèle du paysans-ouvrier pratiquant la poly-activité sans rompre avec le milieu rural.
De 1870 à 1896, si l’économie française continue son expansion, et que le niveau de vie des français augmente résolument, les structures économiques de la France n’en sont pas moins complètement sclérosées comparées aux industries lourdes allemandes ou à l’industrie manufacturière de masse britannique.
Cette sclérose des structures cependant, aurait dû logiquement disparaître avec la reprise de 1896, les périodes de stagnation permettant selon Schumpeter de détruire les entreprises peu adaptées pour les remplacer par des entités plus productives.
En réalité, de 1896 à 1940, la France échoue à se moderniser.
De 1896 à 1914, la France ne parvient pas en effet à profiter pleinement de la reprise économique. Face à la fin de la dépression mondiale, et l’émergence de « pays neufs » (Argentine et surtout Etats-Unis) qui concurrencent fortement l’agriculture et l’industrie française, la France adopte rapidement des mesures protectionnistes (Tarifs Méline en 1892, Loi du Cadenas en 1897), afin de protéger son agriculture, qui, à l’évidence, n’est plus adaptée pour faire face à la concurrence mondiale.
Ces mesures auront pour conséquence de maintenir artificiellement en vie les structures rurales françaises, empêchant la formation de ce que Marx appelle le « prolétariat déraciné », masse de paysans cherchant dans les villes de meilleures conditions. Les industries, qui retrouvent de la vigueur avec la reprise, ne peuvent alors embaucher suffisamment d’ouvriers pour croitre suffisamment rapidement.
Les investissements se détournent alors de l’industrie nationale, pour se concentrer à l’extérieur (Emprunts Russes, Amérique du Sud, colonies…). Privé d’investissements et de main d’œuvre, l’industrie française, moteur de la modernité, ne va ainsi pas pouvoir se développer durant la « Belle époque » de croissance économique.
Pourtant, la Première Guerre Mondiale va constituer une formidable opportunité pour se moderniser. En effet, les grands groupes des secteurs modernes (Saint-Gobain en chimie, Wendel dans l’acier, Renault dans l’automobile etc.) déjà en place lors de la Belle Epoque vont se retrouver largement sollicités par l’Etat pour soutenir l’effort de guerre. La production de munitions, camions, canons va ainsi être un formidable stimulant pour une industrie déjà dynamique, mais aussi désormais aussi indispensable que l’agriculture dans l’esprit des français.
Cette opportunité est renforcée par la prise en main de l’économie par l’Etat, qui organise cartels et corporations afin d’améliorer la productivité. Mais la victoire de 1918 va mettre rapidement un terme à cet engagement, l’Etat renouant avec une politique libérale chère aux Radicaux et Modérés.
Les années 20 sont ainsi elles-mêmes paradoxales. Alors que l’industrie est dynamique, que les investissements explosent (via la Bourse de Paris en plein essor), que l’électricité, l’automobile, les produits chimiques se répandent dans toute la France, les structures archaïques sont maintenues. Comment justifier en effet l’abandon d’un modèle qui a conduit la France à la victoire ? Ainsi, si la part de la population active industrielle augmente, le modèle du petit n’est guère entamé, à cause du biais de la victoire, qui a conforté les Français dans la croyance de l’exceptionnalisme de leur modèle.
Ce biais logique va se retrouver renforcé par la crise de 1929 aux Etats-Unis.
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