Le Conseil d'État, juge suprême
Fiche : Le Conseil d'État, juge suprême. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dgnspv • 12 Novembre 2023 • Fiche • 9 660 Mots (39 Pages) • 115 Vues
Répertoire du contentieux administratif
Section 3 - Le Conseil d'État, juge suprême
326. Le code de justice administrative dispose dans son article L. 111-1 : « Le Conseil d'État est la juridiction administrative suprême ». C'est la première fois qu'un texte comporte une affirmation aussi solennelle, voire triomphale. On pourrait s'étonner qu'elle ait figuré dans un code adopté par voie d'ordonnance sur le fondement d'une habilitation (L. no 99-1071 du 16 déc. 1999) permettant seulement une codification à droit constant (« Les dispositions codifiées sont celles en vigueur au moment de la publication des ordonnances, sous la seule réserve des modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés et harmoniser l'état du droit »). La formule n'est pas nécessaire au respect de la hiérarchie des normes et à la cohérence rédactionnelle ; elle va plus loin que l'harmonisation du droit (jolie expression, peu habituelle et peu appropriée à la discipline juridique). Elle n'en est pas moins exacte depuis que, selon la loi du 24 mai 1872, « le Conseil d'État statue souverainement sur les recours en matière administrative », et que, selon la jurisprudence, il n'est pas de décision administrative, juridictionnelle ou non, qui ne puisse, directement ou indirectement, être contestée devant lui.
327. Il en est ainsi en particulier pour les décisions rendues par les autres juridictions administratives statuant en dernier ressort : elles peuvent toutes faire l'objet d'un recours en cassation devant le Conseil d'État, alors même que le législateur ne l'aurait pas précisé – bien plus, alors même qu'il l'aurait exclu (CE, ass., 7 févr. 1947, d'Aillères, Lebon 50 ; RD publ. 1947. 68, concl. Odent, note Waline ; JCP 1947. II. 3508, note Morange ; GAJA, no 58, p. 374). C'est ainsi d'abord comme juge de cassation que le Conseil d'État peut apparaître comme juge suprême, à l'instar de la qualification souvent donnée à la Cour de cassation, qui est presque exclusivement juge de cassation.
328. Mais le Conseil d'État n'est pas que juge de cassation. Outre les fonctions de juge de premier et dernier ressort et de juge d'appel dont on a précédemment rendu compte, il exerce des fonctions de régulation de l'ordre juridictionnel administratif qui sont directement liées à sa place suprême dans cet ordre (V. P. DELVOLVÉ, Le Conseil d'État, Cour suprême de l'ordre juridictionnel administratif, Pouvoirs, 2007, no 123, p. 51).
Art. 1er - Le Conseil d'État, juge de cassation
329. La compétence du Conseil d'État en cassation pourrait apparaître aujourd'hui comme sa compétence normale après la création des cours administratives d'appel par la loi du 31 décembre 1987. Il est vrai que la pyramide tribunaux administratifs-cours administratives d'appel-Conseil d'État, qui peut paraître parallèle à la pyramide de l'ordre judiciaire (tribunaux de grande instance-cours d'appel-Cour de cassation) paraît donner au Conseil d'État une situation équivalente à celle de la Cour de cassation, qui n'est que juge de cassation. Il est vrai aussi qu'à s'en tenir aux statistiques, le rôle de cassation du Conseil d'État est aujourd'hui prédominant : si l'on additionne les affaires enregistrées au titre de différents recours en cassation devant lui, elles sont 5219 en 2009, 5651 en 2010 et 6082 en 2011, soit respectivement 53 %, 61 % et 64 % du total (source : EDCE 2011, no 62, t. 2, p. 38 ; 2012, no 63, t. 1, p. 36). Cela suffit à souligner l'importance du rôle du Conseil d'État en cassation, mais tout autant ses limites : il restait plus de 45 % en 2009, près de 40 % en 2010 et encore 36 % en 2011 d'affaires autres que de cassation enregistrées au Conseil d'État. On est loin d'un rôle exclusif de cassation. C'est toute l'originalité de sa situation dans l'ordre juridictionnel administratif, en relation avec son statut de juridiction suprême.
330. Son rôle de cassation est exprimé par l'article L. 331-1 du code de justice administrative : « Le Conseil d'État est seul compétent pour statuer sur les recours en cassation dirigés contre les décisions rendues en dernier ressort par toutes les juridictions administratives ». La formule est moins solennelle que celle, issue de la Révolution, selon laquelle, dans l'ordre judiciaire, « il y a, pour toute la République, une Cour de cassation » (COJ, art. L. 411-1 [pic 1]). Elle n'en est pas moins équivalente en ce que les recours en cassation en matière administrative ne peuvent être portés que devant le Conseil d'État. Ils doivent d'ailleurs toujours pouvoir être portés devant lui. C'est ce qu'a reconnu le Conseil d'État dans le fameux arrêt d'Aillières du 7 février 1947, précité [supra, no 327], qui, faute d'une volonté du législateur excluant clairement le recours en cassation à l'encontre de décisions juridictionnelles rendues en dernier ressort, avait admis qu'il existait de droit. Aujourd'hui c'est bien la volonté inverse qui est exprimée par l'article L. 331-1 précité : toute décision d'une juridiction administrative rendue en dernier ressort peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'État. Avec la réforme de 1987, son rôle de cassation s'est amplifié et apparaît comme son rôle normal dans le contentieux administratif.
331. Il consiste à vérifier que les décisions rendues par les juges du fond l'ont été conformément au droit. Cela comporte d'abord la vérification de leur compétence, de la procédure qu'ils ont suivie et de la forme de la décision (notamment la motivation). Cela comporte ensuite celle du respect de la règle de droit. Il est dit classiquement que le juge de cassation est juge du jugement non juge du litige, juge du droit non juge du fait : c'est ainsi l'erreur de droit qui est classiquement censurée ; si la matérialité des faits et leur qualification juridique sont également contrôlées, celle de leur appréciation ne l'est pas, sauf dénaturation. Il y a là des nuances qui peuvent prêter à des variations et dont le maniement permet au Conseil d'État d'exercer sa suprématie (V. Recours en cassation [Cont. adm.] ).
332. Celle-ci se manifeste encore en cas de cassation de la décision contrôlée. Car, si, comme la Cour de cassation, le Conseil d'État peut renvoyer l'affaire au juge du fond, il peut aussi, en vertu de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987, repris à l'article L. 821-2 du code de justice administrative, « régler l'affaire au fond si l'intérêt de la bonne administration de la justice le justifie ». Il utilise pleinement cette disposition pour éviter notamment une durée excessive dans la solution du litige. Si la décision cassée est une décision rendue en appel, le Conseil d'État statue alors comme juge d'appel ; si c'est une décision rendue en premier ressort, il statue comme juge de premier ressort. Si, statuant comme juge d'appel, il annule la décision rendue en premier ressort, il devient encore, par voie d'évocation, juge de premier ressort. C'est une illustration supplémentaire de sa qualité de juge suprême.
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