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Commentaire : Cass. ch. mixte, 6 septembre 2002

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Par   •  30 Octobre 2015  •  Dissertation  •  2 998 Mots (12 Pages)  •  3 510 Vues

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Commentaire : Cass. ch. mixte, 6 septembre 2002

Chaque année, des milliers de courriers publicitaires annoncent à leur destinataire, nominativement, qu'il a remporté une somme ou un lot qui lui sera accordé sur simple réponse de sa part. Presque tous, pourtant, attendront en vain de recevoir leur gain. Certains se tournent alors vers le droit des obligations, et réclament que les promesses soient tenues. C'est dans le contexte d'une telle affaire qu'une Chambre mixte de la Cour de cassation eut à se réunir, le 6 septembre 2002.

Une personne avait été destinataire de documents publicitaires le désignant, de façon nominative et répétée, comme le gagnant d'une importante somme d'argent – plus de 100 000 francs. Il était posé pour seule condition que soit signé puis expédié un coupon-réponse. Le destinataire accomplit immédiatement cette formalité et attendit, mais ne vit rien venir. Le destinataire assigna donc la société expéditrice sur divers fondements, visant tous à obtenir la somme promise, qu'il s'agisse d'exécution d'un engagement ou de dommages et intérêts compensant la « confusion » créée dans son esprit. Une association de consommateurs réclamait quant à elle 100 000 francs en réparation du préjudice subi par la collectivité des consommateurs représentés.

Nous ne savons pas quel accueil fut réservé à ces demandes en première instance. La Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 23 octobre 1998, n'accorda qu'un franc à l'association de consommateurs. Quant au soi-disant gagnant de la loterie, il se vit accorder une certaine somme, dont le montant n'est pas précisé, mais dont on comprend qu'elle était bien inférieure aux 100 000 francs prétendument remportés. Pour justifier l'unique franc octroyé à l'association de consommateurs, la Cour d'appel se contente d'affirmer son pouvoir souverain d'appréciation s'agissant de l'évaluation du préjudice subi par la collectivité défendue. Pour justifier que la somme allouée au soi-disant gagnant soit bien moindre que le lot décrit dans le courrier reçu, la Cour d'appel précise qu'elle se situe sur le terrain de la responsabilité civile délictuelle, et qu'elle doit réparer le préjudice correspondant à une illusion déçue, qui n'est pas égal au lot attendu.

Laissons de côté le pourvoi formé par l'association de consommateurs, qui ne visait qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des juges du fond s'agissant de l'évaluation d'un préjudice subi, argument qui ne pouvait prospérer devant la Cour de cassation, juge du droit et non du fait. Plaçons-nous, dès lors, du seul point de vue du destinataire de la publicité, qui avait également formé un pourvoi en cassation.

La Chambre mixte devait donc préciser sur quel fondement et, par conséquent, suivant quel régime, il est possible pour le destinataire d'une loterie publicitaire trompeuse d'obtenir une somme de la part de l'expéditeur.

Pour répondre, la Cour de cassation soulève un argument d'office. Cette possibilité lui est ouverte s'agissant d'une question de pur droit. Les règles de procédure civile commandent alors d'en avertir à l'avance les parties, afin de leur permettre de formuler des observations. La Cour, de son propre chef, va revenir sur la qualification retenue par la cour d'appel – celle de faute délictuelle. Visant l'article 1371 du Code civil, elle reprend dans un attendu « chapeau » la définition du quasi- contrat que pose ce texte:il s'agit des « faits purement volontaires de l'homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers [...] ». Puis elle formule un attendu de principe, aux termes duquel : « l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer ».

La Cour abandonne donc des solutions qui avaient été retenues dans de précédentes décisions, et qui se fondaient sur les terrains plus classiques du contrat ou de la faute délictuelle (I). L'article 1371 ne contenant pas de liste limitative des quasi-contrats en droit français, elle prend ici

initiative audacieuse d'en créer un nouveau, basé sur la création d'illusion (II).

I – Les fondements déchus : contrat et délit civil

Si la Cour de cassation juge nécessaire de créer ex nihilo un nouveau quasi-contrat, cela signifie qu'aucun fondement plus classique ne permettait d'aboutir à un résultat satisfaisant. Pourtant, au premier abord, on peut songer à fonder l'action du destinataire de la publicité sur un engagement contractuel (A) ou, comme le faisait la cour d'appel, sur une faute civile (B).

A – Le fondement contractuel

Pourquoi ne pas considérer que l'envoi du document publicitaire est une offre de contrat ? Il est en effet précisé que, pour recevoir la somme d'argent correspondant au « lot » gagné, il suffit de renvoyer un coupon-réponse. On pourrait alors analyser la publicité comme une offre de contrat, et la réponse comme une acceptation. La rencontre des volontés se produit alors, la convention se forme et acquiert force obligatoire.

Cette analyse est loin d'être hors de propos. On en veut pour preuve qu'elle a déjà été mise en œuvre, dans au moins une affaire précédente concernant la même société, pour des faits similaires. Les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, avaient considéré qu'un contrat s'était formé. Cet arrêt fut rendu par la Première chambre civile de la Haute juridiction, le 12 juin 2001 (pourvoi n° 98-20309 ; Bull. civ., I, n° 174).

Pourquoi, dès lors, ne pas persévérer dans cette analyse ? La raison, pour certains auteurs, est que l'on recherchait une volonté contractuelle là où il était évident qu'il n'y en avait pas. La société émettrice des courriers n'entendait pas véritablement se lier, elle n'émettait donc pas une véritable offre de contrat. M. Alain Bénabent écrit ainsi : « il est certain que l'auteur de la publicité n'a pas voulu promettre : sa promesse est fausse et illusoire précisément parce qu'elle est vide de volonté ».

Ces critiques, pourtant, ne semblent pas totalement convaincantes. M. Denis Mazeaud a raison de rappeler que c'est au juge de décider si une offre présente une apparence suffisante de fermeté. Car ce qui compte, ce n'est pas ce que l'offrant a en réalité en tête, mais le contenu objectif de son offre de contracter. S'il donne toutes les apparences de vouloir prendre un véritable engagement, alors le juge doit en tirer toutes les conséquences. M. Mazeaud écrit ainsi : « il n'est pas dans le pouvoir de l'entreprise de vente par correspondance d'échapper au paiement de l'obligation, en affirmant que la fermeté apparente de sa volonté était démentie par son intention réelle contraire. Sa promesse doit donc être prise au pied de la lettre. « Tel est pris, qui croyait prendre » ».

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