Analyse incipit Moderato Cantabile
Dissertation : Analyse incipit Moderato Cantabile. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Annette74 • 18 Janvier 2024 • Dissertation • 4 418 Mots (18 Pages) • 177 Vues
Lecture analytique - Incipit Moderato Cantabile
Du début p.9 à « alors que la vedette lui passait dans le sang » p.11
Introduction
La fonction d'un incipit est de présenter le cadre spatio-temporel, les personnages, le registre et l'intrigue d'un roman. Il permet au lecteur de rentrer dans l'histoire développée dans le récit, et de s'imprégner de l'univers de l'auteur, en lui délivrant les informations essentielles, mais il doit aussi créer -et répondre à- des attentes et susciter l'intérêt et la curiosité du lecteur, afin de lui donner le désir de poursuivre son immersion dans l'oeuvre. Le premier chapitre du roman de 1958 de Marguerite Duras, Moderato Cantabile, campe donc le décor-une petite ville portuaire- et nous familiarise avec son personnage principal -une bourgeoise, mère au foyer, lors d'un cours de piano donné à son enfant - répondant ainsi aux impératifs traditionnels de l'incipit. Mais il porte néanmoins la marque du mouvement littéraire du nouveau roman, qui se libère des conventions habituelles du genre romanesque, en ce qu'il rejette l'omniscience du narrateur, place l'intrigue et les personnages en second plan, et demande une lecture plus sensible et active de son public. Comment cet incipit permet-il de nous placer rapidement dans cette position de lecteur-enquêteur et de nous inciter à goûter les subtilités du nouveau roman ? Par quels procédés l'auteur nous amène-t-elle à plonger dans l'univers de ses personnages?
Pour commencer, nous observerons les effets induits par le choix de l'auteur d'un narrateur externe sur l'exposition du cadre et des personnages de ce roman. Puis, conséquence de ce choix narratif, c'est l'aspect théâtral et cinématographique de la scène représentée qui retiendra notre attention. Enfin, nous montrerons combien cette scène, bien qu'anodine et anecdotique en apparence, est symptomatique des thèmes dominants et du style de l'auteur tout au long du roman.
I – Un narrateur externe ambivalent – qui en dit peu sur les personnages et le cadre de l'intrigue - Choix narratif propre au nouveau roman
a) | Un cadre flou et ambivalent pour attirer l'attention du lecteur sur la question du Temps et l'idée de la contrainte liées aux conventions (spatiales, sociales, culturelles) | - Indices spatiaux peu nombreux, concernant le cadre de l'intrigue – pas de description traditionnelle du lieu de l'action mais un faisceau d'indices qui permettent de situer l'action dans une petite ville portuaire (ville, mer) = flou qui permet de donner une valeur générale au propos : une ville, en France... + Cadre temporel flou : au printemps, dans les années 50 (indices : vedette, petit bateau en vogue à l'époque, et le langage : « Quelle tête vous avez-là », « ce qu'il y a d'écrit »)... Même objectif : conserver l'aspect universel du propos, afin d'attirer notre attention sur le fait que l'important n'est pas là. - En effet, présence d'indices paradoxaux, concernant le moment de la journée : « le soir venait d'éclater » (15) -pt de vue de l'enfant, pour qui la journée touche à sa fin, et qui regrette cette heure de liberté perdue ≠ « au coeur de de l'après-midi de ce printemps » (37) -pt de vue de l'adulte, du narrateur, plus objectif, pour qui la journée est loin d'être finie = vision du temps différente en fonction des personnages et de l'événement : met en évidence l'idée que le temps est subjectif, fonction du personnage et de l'événement vécu. - Ce qui est certain, c'est que la scène à laquelle nous assistons est une leçon de piano, comme nous l'indique le champ lexical de la musique : partition x4 (l.1, 4, 33, 39) clavier x3 (l.3, 10, 27), moderato cantabile x3 (l.2,5, 8) et le mode de dialogue entre la dame et l'enfant : questions et impératifs pour l'adulte, réponses courtes de l'enfant. Insistance sur le rapport de domination de l'adulte sur l'enfant mis en évidence par la réification de l'enfant « La dame reconsidéra l'objet qui était devant elle », « il reprit sa pose d'objet ». Ce procédé permet à la fois de suggérer le mépris de la dame pour ce mauvais élève, mais souligne aussi le fait que l'enfant est ici réduit au rôle qu'on exige de lui, contraint par les conventions, et se révolte en lui opposant toute sa passivité (que nous étudierons plus loin). -De même, contraste entre l'intérieur de l'appartement, et le dehors suggéré à plusieurs reprises par la mention récurrente de la fenêtre, ouverte sur la mer et l'activité du port : dedans-enfermement, comportement codifié et contraint, rôle à tenir, conventions, devoir, culture ≠ dehors : liberté, sensualité, moment présent, être, nature... |
b) | Un narrateur externe (neutre et objectif) Découvre en même temps que le lecteur Observateur attentif et sensible, qui restitue en détail les petites actions (gestes) Mais ne donne pas les descriptions physiques attendues (physionomie, vêtements) pas de caractérisation directe, très peu d'indices. Et omnisciences fugitives = ambiguïté de la focalisation | - Personnages qui sont présentés par des termes vagues « La dame », « L'enfant » : article défini qui donne l'idée que la scène est observée avant que le récit ne débute, mais aussi que le narrateur ne les connaît pas = distance et anonymat. De même, le personnage d'Anne n'est révélé que progressivement, à mesure que le dialogue nous livre des informations. D'abord introduit tardivement, après ceux de la dame et de l'enfant, par l'article indéfini « une femme », nous ne saurons son nom que l.13, par Mlle Giraud « Mme Desbaresdes, quelle tête vous avez là ! ». Narrateur qui semble découvrir les personnages en même temps que nous. - Phrases courtes, descriptions bornées à des indications objectives. Narration au passé : prédominance des passés simples, qui introduisent la parole, ou bien qui relatent les « actions » des personnages : (ponctua, soupira, se retourna, frémit, reconsidéra, frappa, tourna la tête, entra, passa /ou au contraire soulignent l'immobilité de l'enfant : resta immobile, ne bougea, ne bougèrent pas, reprit sa pose d'objet, remua à peine) = objectivité et attention portée sur les mouvements. - Importance du champ lexical du corps « tête, cil, yeux baissés, pieds, tête, mains, voix, mains, sang » = Actions en réalité limitées à des expressions corporelles : gestes, regards, mimiques + des détails minuscules : « Pas un cil de l'enfant ne bougea », « Il en frémit », « Anne Desbaredes reconsidéra cet enfant (...) mais d'une autre façon que la dame », « Ses mains restèrent fermées » = grande acuité du narrateur, qui est sensible à des détails (idem pour le bruit de la mer) remarques liées aux impressions sensorielles, ouïe et vue. - Peu de descriptions : un seul imparfait de description pour les mains de l'enfant « celles-ci étaient à peine écloses ». Pas d'indices de subjectivité, aucun jugement n'est énoncé explicitement : neutralité, peu de caractérisation directe des personnages par le biais du narrateur (ici, uniquement l'information du prénom du personnage, qu'il nous donne suite à l'apostrophe de Mlle Giraud, qui la nomme). - Mais changement de focalisation deux fois (omniscience), signalé par l'imparfait duratif (dans la proposition subordonnée relative) et l'adjectif antéposé 'seul(e)' à valeur adverbiale dans la principale (avec verbe de pensée) : « [l'enfant ] fut le seul à se souvenir que le soir venait d'éclater » « seule la mère le sut – alors que la vedette lui passait dans le sang », où le narrateur adopte furtivement le point de vue de l'enfant puis de la mère, quittant son objectivité pour traduire les impressions subjectives des personnages, suggérer leur complicité, et nous rapprocher d'eux, malgré le flou de leur portrait. = le narrateur lui-même est relativement flou, à la fois externe, mais peu généreux en indices, se concentrant sur les minuscules actions des personnages. |
c) | Des personnages énigmatiques Dans la bourgeoisie de province Caractérisation indirecte demande lecture active - relevé d'indices, - interprétation des indices - émission d'hypothèses = formulation questions - vérification : attente de nouveaux indices pour valider les thèses... | - Mise à distance : le prénom de l'enfant, le nom de la dame ne nous sont pas donnés dans cet extrait. Nous avons vu qu'il n'y a aucun portrait physique des personnages, en dehors de la description des mains fermées de l'enfant. Ce peu d'informations dont nous disposons crée une mise à distance avec les personnages, qui nous apparaissent comme des étrangers dont nous cherchons à identifier le milieu social et la personnalité. Pour cela, nous disposons seulement des indications contenues dans le cadre et le dialogue, qui sont rares, parfois ambiguës, et celles indications sur leur attitudes corporelles et réactions. - Ainsi, nous pouvons déduire que la mère et l'enfant sont de condition aisée, puisqu'elle a les moyens de lui donner des leçons de piano, caractéristiques d'une éducation bourgeoise. Nous pouvons aussi remarquer que l'enfant, fait preuve d'une grande maîtrise de soi et d'une forte volonté, ne cédant pas aux menaces de la professeur : « L'enfant ne jugea pas bon de répondre », « -Tu vas me le dire tout de suite, hurla la dame. /L'enfant ne témoigna aucune surprise. Il ne répondit toujours pas ». Ce contrôle de ses émotions, et cette froideur sont eux aussi typiques du milieu bourgeois, qui se doit d'adopter une attitude digne, qu'elles que soient les circonstances. La mère en fait preuve elle aussi, quoique avec moins de talent que son fils, car elle reste discrète et calme pendant cette crise où on lui reproche implicitement sa manière d'éduquer son enfant : « Mme desbaresdes, quelle tête vous avez là, dit-elle. Anne Desbaresdes soupira une nouvelle fois » » « -C'est un enfant difficile, osa dire Anne Desbaresdes, non sans une certaine timidité » « - Je ne veux pas savoir s'il est difficile ou non, Mme Desbaresdes, dit la dame. Difficile ou pas, il faut qu'il obéisse, ou bien... ». Cette passivité verbale, ces soupirs ambigüs, nous indiquent eux aussi une forme de flegme bourgeois. Par contraste, l'attitude de Mlle Giraud dénote d'un manque de maîtrise de soi et d'une violence non contenue qui mettent en relief l'impassibilité du couple formé par la mère et l'enfant. = Caractérisation indirecte qui demande l'interprétation du lecteur, l'amène à se poser des questions et à chercher des indices – une forme de suspense... |
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