Arthur Rimbaud, Cahiers de Douai, "Vénus Anadyomène", 1919
Commentaire de texte : Arthur Rimbaud, Cahiers de Douai, "Vénus Anadyomène", 1919. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar ritzzzzz • 13 Janvier 2024 • Commentaire de texte • 1 620 Mots (7 Pages) • 267 Vues
EL 1 : « Vénus Anadyomène »
Arthur Rimbaud, Cahiers de Douai, 1919
Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ;
Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;
L’échine est un peu rouge, et le tout sent un goût
Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu’il faut voir à la loupe…
Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;
– Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.
1e mouvement : « émergence de la tête » v.1 à 4 (1e quatrain)
2e mouvement : « description du cou aux reins » v.5 à 8 (2e quatrain)
3e mouvement: « description sensorielle » v.8 à 11 (1e tercet)
4e mouvement : « chute audacieuse du sonnet » v.11 à 14 (2e tercet)
INTRO
Arthur Rimbaud est un poète français rebelle du XIXe, on peut alors le considérer comme faisant parti du mouvement du symbolisme. En 1870, Rimbaud a 16 ans. « L’homme aux semelles de vent » comme le surnommera Paul Verlaine plus tard, fugue à plusieurs reprises. Durant ses vagabondages, il écrit 22 poèmes qui seront d’ailleurs publiés dix-huit ans plus tard sans qu’il ne le sache, dans un recueil nommé « Cahiers de Douai ». Les poèmes composant cet ouvrage évoquent les premiers émois amoureux, le désir d’errance et de liberté. Le jeune poète est aussi frappant pour son engagement politique et social qui fait entendre sa révolte et son désir de changement. Le texte étudié est le 2e du recueil. Vénus Anadyomène prend pour thème le mythe antique de la naissance de Vénus. Le titre et le thème de l’œuvre sont poétiques et traditionnels, et le poème est écrit en sonnet, qui est aussi une forme traditionnelle. Cependant, la description de la laideur est moderne et montre le caractère révolté de l’auteur. Rimbaud propose, de la sorte, un contre-blason (un blason étant un poème qui fait l’éloge d’une partie du corps féminin). Le corps de la femme est décrit de haut en bas : de la tête à l’anus.
Ainsi, nous verrons au cours de cette analyse dans quelle mesure cette parodie est signe d’émancipation créatrice. Nous étudierons ce poème en suivant la description de Rimbaud : tout d’abord l’émergence de la tête (vers 1 à 4), puis la description du cou au reins (vers 5 à 8) avant de passer d’une description sensorielle (vers 9 à 11) et enfin la cute audacieuse du sonnet (vers 12 à 14).
I- « émergence de la tête » v.1 à 4 (1e quatrain)
Le premier vers de ce poème débute par une comparaison grâce à l’outil de comparaison «Comme» (v1). Le poète compare la baignoire (prosaïque) dans laquelle se baigne la femme à un «cercueil» (v1), ce qui désacralise l’apparition de la déesse. L’indéfini «une tête»(v1) montre que Rimbaud joue des codes du blason, un poème censé admirer la beauté d’une femme. Nous sommes donc dans un contre blason que Rimbaud va développer tout au long de son poème.
Le vers 2 débute avec un complément du nom «De femme»(v2). L’enjambement avec contre-rejet met en valeur ce complément. L’adjectif «bruns»(v2), l’ adverbe «fortement»(v2) et le participe passé «pommadés»(v2) nous laissent voir une Vénus brune et un peu sale, qui contraste le mythe de la Vénus blonde par exemple, et qui contribue à enlaidir la femme dans le poème.
Dans le troisième vers, Arthur Rimbaud nous précise l’origine de sa Vénus « baignoire »(v3). Le verbe d’action « émerge »(v3), auxquels sont apposés les deux adjectifs « lente et bête », nous donne des précisions sur l’apparence physique de la Vénus. L’auteur continue de détourner l’image traditionnelle de Vénus qu’il représente donc comme intellectuellement limitée. Cette idée est d’ailleurs accentuée par la rime « tête / bête »(v1 et 3). L’adjectif « bête » est intéressant à observer dans la mesure où il est polysémique (il a plusieurs sens). Il sous-entend la bêtise de la femme mais aussi son côté animal qui sera développé un peu plus loin dans le sonnet.
Enfin, le vers 4 suggère la laideur de Vénus grâce à un euphémisme : « Avec des déficits assez mal ravaudés »(v4) mais aussi à l’aide de sonorités brutales en r, v et d de l’adjectif « ravaudés »(v4). Le lecteur comprend ainsi que la femme peine à dissimuler ses rides, ses imperfections derrière son maquillage.
II- « description du cou aux reins » v.5 à 8 (2e quatrain)
Le 2e quatrain s’ouvre sur la description du cou de la femme, Rimbaud use de la périphrase « col »(v5) . Il le décrit comme court et terne et insiste sur son manque d’harmonie avec la paronomase entre « gras et gris »(v5) .Puis il se concentre sur son dos en utilisant 4 adjectifs péjoratifs « larges »(v5) « courts »(v6) « gras et gris ». L’antithèse entre « large » et « court » rend visible la difformité du corps sur laquelle Rimbaud va insister encore plus via les trois subordonnée relative « qui saillent »(v6) « qui rentre et qui ressort »(v6). Le rejet « qui saillent » a fonction complément de l’antécédent « omoplates ». Elle décrit péjorativement le dos de la jeune femme, ce qui donne l’impression que l’on décrit qqn de robuste alors qu’une déesse est normalement plutôt douce. On retrouve également tout le long du quatrain des allitération en r, k et g « col gras et gris », « larges », « court qui rentre et ressort , qui ajoute de la lourdeur et accentue la laideur de Vénus.
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